LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Pr Luc Marius Ibriga à propos du dialogue politique national : « Si on avait appliqué les résolutions des différents dialogues qu’il y avait eus, nous ne serions pas encore aujourd’hui en train de dialoguer »

Publié le mardi 7 octobre 2014 à 00h21min

PARTAGER :                          
Pr Luc Marius Ibriga à propos du dialogue politique national : « Si on avait appliqué les résolutions des différents dialogues qu’il y avait eus, nous ne serions pas encore aujourd’hui en train de dialoguer »

Voilà deux semaines que le Président du Faso a appelé au dialogue politique. Deux semaines au cours desquelles opposition et majorité ont essayé d’accorder leur violon sur la crise politique sur fond de modification de l’article 37 de notre Constitution que traverse le Burkina Faso. Peine perdue ? L’impasse dans laquelle se trouve l’initiative du Président du Faso n’incite en tout cas pas à l’optimisme. Le Professeur Ibriga, avait- il raison ? La semaine dernière que nous l’avons rencontré, cet enseignant-chercheur en droit constitutionnel à l’Université de Ouagadougou n’y croyait pas véritablement. Après ses éclairages sur le débat contradictoire portant sur le référendum, nous revenons dans cette deuxième partie sur l’appréciation que l’homme de droit et activiste politique faisait déjà de ce cadre de dialogue proposé par le Chef de l’Etat. Il ne manque pas dans son propos de faire des propositions pour une sortie de crise apaisée.

Lefaso.net : Comment avez- vous accueilli l’initiative de dialogue du Président du Faso ?

Pr Luc Marius Ibriga (LMI) : La première impression est positive dans la mesure où quand les acteurs politiques prennent langue, cela augure d’une situation dans laquelle on recule le potentiel de violence qui s’accumule au niveau de la crise actuelle au Burkina Faso. De prime abord, c’est une appréciation positive. Mais cette appréciation positive est teintée de scepticisme, non pas parce qu’on appelle au dialogue mais scepticisme par rapport à la mise en place d’un véritable dialogue. Parce que quand on regarde le passé- et c’est ça qui est important-, alors que dans notre histoire politique on tente de nous rendre amnésiques par rapport à ce qui s’est passé et qui doit nous instruire pour comprendre la situation présente et peut-être imaginer l’avenir. Si on prend la passé, on voit que le dialogue a émaillé la quatrième république. Chaque fois que le pouvoir a été dos au mur, il a appelé au dialogue, au sursaut patriotique pour le Burkina Faso. Les gens y ont cru, ils sont allés de bonne foi et on a produit des résultats. Mais on remarque que chaque fois que les signes de la crise s’éloignent, on revient aux mêmes pratiques de monopolisation du pouvoir, d’exclusion et cela est une réalité de notre vie politique. Aujourd’hui si on avait appliqué les résolutions des différents dialogues qu’il y avait eus, nous ne serions pas encore aujourd’hui en train de dialoguer.

Lefaso.net : De quels dialogues vous parlez ?

Pr Ibriga : Si on avait appliqué les conclusions du collège des sages, nous ne serions pas en train de discuter de l’article 37 ; si on avait appliqué les travaux du comité national d’éthique que l’on a créé suite à la journée nationale de pardon et qui a disparu comme ça, c’est comme on dit en droit c’est une absence ou une disparition parce que on ne nous a pas dit que le Comité national d’éthique est dissout mais il est non fonctionnel. Si on avait appliqué les conclusions du MAEP (Mécanisme africain d’évaluation par le pairs, ndlr) on n’en serait pas là. Et tout près de nous, après les élections de 2011, on a appelé au dialogue pour les réformes et on a posé des règles du jeu : ce qui est consensuel on réforme, ce qui n’est pas consensuel on n’y touche pas. Le CCRP (Cadre de concertation sur les réformes politiques, ndlr) s’est tenu, les délégués n’ont pas réuni le consensus sur la révision de l’article 37. La question était résolue. Mais on se rend compte que dans tous ces dialogues, ç’a toujours été des entourloupes, des dialogues alibis, des dialogues instrumentalisés pour sauver la mise, se donner du temps et conserver le pouvoir. Et donc on s’est retrouvé dans une situation où aujourd’hui on peut douter de la sincérité du dialogue. Et donc on s’est retrouvé dans une situation où aujourd’hui on peut douter de la sincérité du dialogue.

Lefaso.net : Autrement dit, vous n’y croyez pas ?

Pr Ibriga : Non ! Ce n’est pas que je n’y crois pas. Mais je suis devenu un Saint Thomas, il faut que je vois pour croire. Si ç’avait été une fois, on aurait dit que c’est peut-être une erreur. Mais j’ai l’impression que chassez le naturel, il revient au galop. Parce qu’il y a cette tendance à vouloir toujours contourner les règles quand elles vous imposent quelque chose. Et je dis, pour que je puisse apprécier véritablement ce dialogue, il y a trois interrogations auxquelles il faut répondre : comment dialoguer, quelle est la méthode du dialogue ? Avec qui dialoguer, quelles sont les acteurs du dialogue ? Et troisièmement quel est le but du dialogue, la finalité du dialogue ? C’est en réponse à ces trois interrogations qu’on peut dire si le dialogue il est sincère ou pas. Mais avant toute chose, le dialogue dans une société en crise normalement doit être un dialogue ouvert, inclusif et participatif. Dans le dialogue, la question fondamentale est de savoir quel est le problème au cœur de la crise. Et en ce moment on se rend compte que c’est la révision de l’article 37 qui est au cœur de la crise. Il faut d’abord résoudre ce problème. Aujourd’hui que l’on veut réviser l’article 37, la question que nous devons nous poser est de savoir qui a intérêt à la révision de l’article 37 ? Quand on analyse la situation, on se rend compte qu’au Burkina Faso il y a un seul individu qui a intérêt à la révision de l’article 37, c’est le Président en exercice monsieur Blaise Compaoré. Aucun autre Burkinabè qui remplit les conditions pour être candidat à l’élection présidentielle n’est barré par l’article 37.

Lefaso.net : Dans le même temps certains du parti au pouvoir vous répondront qu’ils ont intérêt dans la révision de l’article 37 !

Pr Ibriga : Non ! Dans la mesure où si vous prenez l’article 37, il l’alternance individuelle. Il ne prescrit pas l’alternance de parti. Le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, parti au pouvoir, ndlr) peut toujours garder la présidence du Faso aux prochaines élections. Mais notre Constitution dit, un individu à qui l’on confie la fonction de Président ne peut pas faire plus de deux mandats. Parce qu’elle veut instituer une circulation des élites non seulement de façon générale, mais au sein des partis politiques. Parce que cette alternance, si c’est un militant du CDP qui est élu en 2015, cette alternance permet la circulation des élites et permet le fonctionnement démocratique des partis politiques. Et c’est là un élément important. Parce qu’aujourd’hui, qu’on me dise au CDP qu’il n’y a pas de présidentiable à telle enseigne qu’on doit reconduire quelqu’un contre le prescrit de la constitution, en ce moment le CDP est un parti qui a son avenir derrière lui. Or il n’y a pas longtemps, après les événements de 2011, le CDP s’est empressé de dire qu’il va rajeunir les cadres du parti. Mais on a l’impression que ce rajeunissement ne doit pas toucher la fonction présidentielle. Or, sur ce plan, il y a quelque chose que je vais vous lire, cela est très intéressant dans la mesure où ce sont les propos du Président Faso lui- même. Ce qui montre qu’aujourd’hui nous avons une crise artificielle et factice créée de toutes pièces, parce qu’il suffit que le Président du Faso dise qu’il n’est pas candidat à l’élection de 2015 pour que ce qu’on appelle crise soit fini. Le Président en exercice disait ceci le 07 juillet 1997 dans Sidwaya, le n°3296 : « Je vais vous dire franchement, là où je suis, ce qui me ferait le plus plaisir, ce n’est pas de rester éternellement à la tête du Burkina Faso. Mais c’est plutôt de voir un jour après moi que les structures fonctionnent, que la constitution est respectée et appliquée. Je crois que cela serait pour moi le plus grand plaisir. Ce qui me préoccupe, c’est de voir comment le système auquel je crois peut fonctionner avec des Burkinabè sans moi. » C’est une affirmation du Président Compaoré en 1997. L’occasion lui est donnée aujourd’hui de gouter à ce plaisir.

Lefaso.net : Il peut avoir changé d’avis…

Pr Ibriga : Qu’il nous dise maintenant pourquoi et qu’est ce qui fait que cette affirmation n’a plus droit de cité aujourd’hui. Parce que s’il a changé d’avis à ce niveau, cela va en droite ligne de ce que je disais tout à l’heure, c’est- à dire le non respect de la parole donnée. Quand vous prenez le discours de la journée nationale de pardon vous vous dites au Burkina Faso nous serons dans un paradis. Avec toutes ces résolutions qui ont été prises. Rien ! Quand on prend le discours du Président quand il a reçu les conclusions du MAEP, quand on prend l’invite et la règle de base du CCRP, on se retrouve dans la même situation chaque fois. Comme on dit, c’est à prendre les autres pour des nez percés. Et ça dénote d’une vision de la politique qui n’est pas bonne et que l’on développe dans l’opinion publique, à savoir que la politique c’est l’art du dribble, de la feinte, de la magouille, etc. Toutes choses qui n’ennoblissent pas la politique. Aujourd’hui il suffit que le Président Compaoré dise malgré l’appel de ses partisans « Je suis Président du Faso, j’ai juré de respecter et de faire respecter la constitution dans mon serment. La constitution considère comme le crime le plus grave l’attentat à la constitution. Et en tant que respectueux de l’Etat de droit républicain, moi je vais respecter la constitution, je ne me présente pas. » Et c’est terminé. Voilà pourquoi je dis, normalement ce dialogue ne devrait même pas durer. Il ne devrait même pas durer parce qu’on a la solution aux problèmes que nous avons aujourd’hui.

Lefaso.net : Entre autres solutions, vous vous proposez dans le cas ultime de coupler le référendum à la présidentielle de 2015.

Pr Ibriga : Le CFOP (Chef de fil de l’opposition politique, ndlr) dit, il faut respecter la constitution, et donc deux mandats, pas plus. Le Front républicain et le CDP disent, il faut interroger le peuple pour savoir s’il veut ou non la limitation des mandats. Je dis, la question est résolue parce que le respect de la constitution s’impose au Président du Faso. Donc nous disons, on respecte la constitution, et donc le Président Compaoré est disqualifié pour se présenter en 2015. Lors des élections de 2015, on couple l’élection présidentielle d’un référendum au cours duquel on va demander aux Burkinabè : « Etes-vous pour ou contre la limitation des mandats ? ». Et si les Burkinabè décident qu’ils sont contre la limitation des mandats, à ce moment, on va engager la procédure de révision en respectant la constitution. Pas comme ce qu’on veut faire en violant la constitution. Et on aura dans la constitution burkinabè la fonction présidentielle sans limitation. Si tant est que pour le CDP et le Front républicain la révision ne vise pas à permettre à monsieur Blaise Compaoré de se présenter. Donc il y a les acteurs qui avancent masqués. Mais la réalité c’est de dire la question fondamentale qu’on doit poser au peuple burkinabè pour qu’on parle de référendum. Il s’agira de demander, « est- ce que vous êtes pour ou contre la révision ? ». Mais pourquoi on veut que cette question intervienne avant 2015 ?

Lefaso.net : Dans le même temps, Professeur, pourquoi elle ne pourrait pas intervenir avant 2015 ?

Pr Ibriga : Non ! Parce que même si elle intervient, celui qui y a intérêt ne pourrait pas normalement en jouir.

Lefaso.net : Et pourquoi ?

Pr Ibriga : Vous vous souvenez qu’en 2005, le Conseil Constitutionnel par rapport à la loi de révision qui réduisait le mandat à cinq (05) ans et qui mettait la limitation des mandats, a considéré que cette loi n’est pas rétroactive et qu’elle s’appliquait à la fin du mandat du Président. Ce qui a permis au Président Compaoré de pouvoir encore avoir deux mandats de cinq (05) ans. Si cette jurisprudence a été appliquée en 2005, elle doit normalement être appliquée en 2015. Ça veut dire que même si on révise la constitution, le Président Compaoré ne pourra pas en jouir. A moins que le Conseil Constitutionnel n’ait pas de la cohérence et de la suite dans les idées et nous sorte une jurisprudence aux ordres. Sinon, la nouvelle loi s’appliquerait après le mandat du Chef de l’Etat, ce qui fait que c’est l’article 37 qui continue à le régir jusqu’à la fin de son mandat. Dans cette situation, le Président du Faso ne peut pas. A moins peut-être qu’il démissionne avant la fin de son mandat pour pouvoir en bénéficier. Puisqu’il pourrait dire à ce moment qu’il n’a pas fait deux mandats de cinq ans mais un mandat de cinq et un mandat de quatre ans. Encore là nous rentrons dans un autre système et il n’est pas certain que le Chef de l’Etat puisse après revenir parce que cela aurait aiguisé les appétits de certains et qui vont faire qu’on risque fort d’aller vers un échec. Donc je dis, aujourd’hui, c’est le caractère républicain et la hauteur de vue du Président du Faso. C’est lui qui détient la solution au problème. Ce n’est ni le CDP, ni le CFOP qui ont la solution. Parce que leur discussion va aboutir à quoi ? Si les discussions doivent aboutir à des résolutions dans lesquelles le Président comme d’habitude va piocher ce qui l’arrange pour l’appliquer, en ce moment, ce n’est pas la peine de discuter, ce n’est pas la peine de dialoguer. Parce qu’un proverbe de chez nous dit qu’ « on ne piétine pas les couilles d’un aveugle deux fois. » De ce point de vue il y a la solution.

« La solution est entre les mains du Président Compaoré »

Puisque d’aucuns claironnent que quand on va au dialogue, chacun doit mettre de l’eau dans son vin. Ok. Le CFOP met de l’eau dans son vin en disant oui ! Le référendum va se tenir mais il se tiendra avec l’élection présidentielle. Le CDP met de l’eau dans son vin et dit, la constitution sera respectée. Et le problème est résolu. Et il peut même être résolu de façon plus rapide si l’intéressé à la révision sort et dit : « Peuple burkinabè, j’ai juré sur la constitution de la respecter et de la faire respecter, et je m’en tiens au prescrit de la constitution, je ne suis pas candidat en 2015. » On va voir que cette crise dont on parlait va retomber comme un soufflet. Ceux- là qui sont appelés à dialoguer, à se concerter n’ont pas la solution du problème. La solution est entre les mains du Président Compaoré. C’est lui qui, pour ma part, avance masqué parce que personne ne peut dire qu’il n’y a que lui. Imaginons que dans le pire, comme on dit, je crache par terre, que le CDP se réveille un matin et le Président Compaoré n’est pas là. Qu’est ce qu’il fait ? Il ne peut plus avoir de candidat ? Non ! Je pense qu’aujourd’hui nous devons méditer ces paroles de l’Archevêque de Bobo qui disait au moment de la crise du Sénat : « Nous sommes tous des contingences, seul Dieu est indispensable aux hommes. » Pour comprendre que si nous voulons une démocratie, ce n’est pas sur les épaules d’un individu que nous devons asseoir notre constitution démocratique. Fut- il un leader charismatique et autre. Parce que les systèmes fondés pour ou sur des hommes conduisent à long terme sur l’instabilité. Et l’expérience de la sous région l’a démontré à suffisance. De ce point de vue, les qualités qui sont reconnues au Chef de l’Etat, homme de paix, médiateur, facilitateur, devraient l’amener à porter comme il a voulu le faire et comme il veut le faire actuellement, son habit de Chef d’Etat. Contrairement à ses déclarations à Réo où il se voyait le Chef de fil d’une majorité dans laquelle il disait « Nous allons imposer notre point de vue parce que nous sommes majoritaires. »

« Le Président peut appeler à un référendum pour poser une question au peuple et non réviser la Constitution »

Et voilà pourquoi je dis, on respecte la Constitution, premier niveau. Dans le respect de la Constitution, le Président Compaoré n’est pas susceptible d’être candidat. Deuxième situation, le Président a la possibilité d’appeler le peuple à un référendum pour lui poser une question mais pas pour réviser la Constitution. Pour lui poser une question. Et là je dis, pour éviter d’avoir des frais extraordinaires, le référendum est couplé à l’élection présidentielle puisqu’ils sont devenus des spécialistes des élections couplées. Donc nous allons coupler les élections présidentielles et le référendum, à ce moment le peuple burkinabè va se prononcer en toute objectivité. Et non pas comme on veut le faire : lui proposer un plébiscite. Parce que la question ne sera plus « Etes- vous pour ou contre la limitation des mandats ? », mais si on le fait comme on veut le faire, la question sera : « Etes- vous pour ou contre Blaise Compaoré ? » A ce moment nous ne sommes plus dans un référendum, nous sommes dans un plébiscite. Et ça, c’est travestir le référendum.

Propos recueillis par Samuel Somda
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique