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« La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche pas la grande trouille de leurs peuples (3/8)

Publié le lundi 8 septembre 2014 à 00h42min

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« La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche pas la grande trouille de leurs peuples (3/8)

14 avril 2014, des centaines de jeunes filles, des élèves de Chibok, Etat du Borno, au Nord-Est du Nigeria, sont enlevées par Boko Haram. 7 mai 2014, le président nigérian, Goodluck Jonathan, téléphone au président français. 11 mai 2014, François Hollande annonce le principe d’un mini-sommet, le samedi 17 mai 2014, des pays concernés par les actions de Boko Haram ; le Nigeria et ses voisins : Bénin, Niger, Tchad, Cameroun.

Paris, engagé militairement au Mali et en Centrafrique, ne veut pas être débordé par le groupe terroriste sur ces terrains. « François Hollande mène, une fois de plus comme au Mali et en Centrafrique, le bon combat. C’est tout à son honneur et à celui de son pays, la France » affirmera l’édito du quotidien privé burkinabè Le Pays (mardi 13 mai 2014). Occasion de fustiger les présidents africains. « Car, il faut bien l’avouer, cette grandeur de la France contraste bien avec la faillite morale dont font preuve les chefs d’Etat africains […] Comment l’Afrique peut-elle espérer être prise au sérieux quand elle se montre incapable, ne serait-ce que de crier son indignation quand ses enfants tombent dans les « griffes » de tels fous ? […] Goodluck Jonathan incarne aujourd’hui le symbole de cette faillite morale. Il aura perdu tout son temps pour avouer son impuissance et appeler à l’aide […] L’Afrique n’a plus de visionnaires à la tête de ses Etats. Par conséquent, elle est toujours surprise par les événements, ne tire presque jamais de leçon de ce qui arrive dans l’un ou l’autre de ses Etats, et s’infantilise aux yeux du reste du monde, surtout de l’Occident ».

Le Nigeria est, économiquement et démographiquement, le pays africain le plus puissant. Il en est le premier producteur de pétrole. Un sénateur nigérian gagne 1 million de dollars par an quand le salaire annuel du président US est de 400.000 dollars (selon Nicolas Norbrook, Jeune Afrique du 22 janvier 2012). Le pays ne manque pas de moyens. Quelques jours avant la rencontre de L’Elysée, le World Economic Forum s’était tenu à Abuja. C’est dire que le monde des affaires n’est pas impacté par la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays. Mais il est vrai que le Hilton d’Abuja avait été transformé en forteresse et que, jusqu’à présent, aucune personnalité majeure de la nébuleuse affairo-politique n’a été enlevée ou exécutée. Alors que Boko Haram sème la terreur dans le Nord-Est du pays, à Abuja les « élites » planchent sur une thématique qui peut sembler anachronique dans un pays qui a érigé la corruption en mode de production politico-économique : « Forger une croissance inclusive. Créer des emplois ». Mais ainsi va le Nigeria qui, disent les démographes, sera le troisième pays le plus peuplé du monde d’ici à 2050, après l’Inde et la Chine !

Le 17 mai 2014, à Paris, au palais de L’Elysée, le président du Nigeria a appelé au secours. A l’instar d’un Mali bien plus démuni que lui. Jonathan a crié son « impuissance » et a réclamé une aide militaire régionale et internationale. Jonathan était à Paris, déjà, en décembre 2013 quand L’Elysée avait organisé dans la capitale française un sommet Afrique-France consacré à la lutte contre l’insécurité du continent. Jonathan était venu ; mais, manifestement, n’en n’avait rien retenu. « Dans ce qui apparaît jusque-là comme une lutte sans résultats contre Boko Haram, on ne peut manquer de déplorer cette incompétence, de plus en plus criarde, du gouvernement fédéral nigérian et surtout de son armée », écrira D. Evariste Ouédraogo dans L’Observateur Paalga, quotidien privé burkinabè (13 juin 2014).

« Sommet de guerre à l’Elysée », titrera Le Journal du Dimanche le 18 mai 2014. Paul Biya, dont on s’étonnait qu’il ait fait le déplacement pour un mini-sommet, d’ordinaire peu enclin à s’exprimer, sera le plus virulent : « Nous sommes ici pour déclarer la guerre à Boko Haram. Nous vaincrons cette chose terroriste ». Détermination et mépris. Ce n’est pas que Biya soit soucieux de ce qui se passe au Nigeria, mais il a des notions de géographie et d’histoire et sait que les « élites » du Nord-Cameroun, depuis que Ahmadou Ahidjo a quitté le pouvoir en 1982 pour le lui céder, trouvent le temps long.

Dans un pays où le tribalisme renvoie à sa pire histoire pré/postindépendance, où les tentations sécessionnistes sont fréquentes (la réunification du Cameroun remonte à octobre 1961) et où le chef d’Etat est au pouvoir depuis plus de trente ans toute opération régionale déstabilisatrice active les alarmes. D’où la réactivité de Biya à la présence de Boko Haram dans le Nord et l’Extrême-Nord de son pays. Mais les tensions diplomatiques entre Yaoundé et Abuja sur la question de la péninsule de Bakassi sont telles que Biya, lors de la rencontre de L’Elysée, refusera aux militaires nigérians un « droit de poursuite » sur son territoire, accepté par contre par le Niger, Mahamadou Issoufou étant convaincu de la « collusion entre Boko Haram et les autres groupes terroristes de la région, notamment AQMI ».

La « chose terroriste » ne va pas tarder à rappeler à Biya qui est le maître du terrain dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Ayant réussi quelques opérations de libération d’otages (dont la famille Moulin-Fournier en avril 2013 et le père Georges Vandenbeusch en décembre 2013) et entrepris de mener des opérations militaires contre les bases arrières de Boko Haram sur le territoire camerounais au cours du premier week-end de juin 2014 (une quarantaine de morts parmi Boko Haram), Biya pouvait penser qu’il était en passe de « vaincre » après avoir « déclaré la guerre ».

La réplique de Boko Haram va être sanglante et symbolique : ce sera l’attaque du côté de Kolofata, dans l’extrême Nord du Cameroun, au-delà de Maroua et non loin du parc de Waza, de la propriété du vice-premier ministre camerounais, Amadou Ali. Un dignitaire du Nord et une personnalité politique. Ministre dès la formation du premier gouvernement de Biya, en 1982, il sera par la suite ministre de la Justice et le maître d’œuvre de l’opération « Epervier » censée éradiquer la corruption dans les rangs du gouvernement et de la haute administration. Il est, depuis la fin de l’année 2011, vice-premier ministre, ministre des Relations avec les Assemblées. Ali échappera à la capture mais pas sa femme, ni le lamido, son épouse et ses filles ainsi qu’une petite vingtaine d’autres otages. Ajoutons à cela les morts camerounais.

Nous sommes alors le dimanche 27 juillet 2014. Plus de deux mois après le mini-sommet de L’Elysée. Plus de cent jours se sont déjà écoulés depuis l’enlèvement des jeunes filles de Chibok. Sans qu’aucune réponse n’ait été apportée à cette agression (Jonathan ne s’est jamais déplacé à Chibok ; il a attendu le mardi 22 juillet pour recevoir les parents des « captives » à Abuja !) Et voilà que c’est le Cameroun qui, à son tour, subit une des plus grandes humiliations de son histoire. Ce qui n’empêchera pas Jonathan et Biya de se rendre à Washington à l’occasion de l’US Africa Leaders Summit (4-6 août 2014) ; le président camerounais, quelques jours plus tard, le 15 août 2014, sera en France pour la commémoration du 70è anniversaire du débarquement de Provence (assis à droite du président Hollande puisqu’il était, parmi les présents, le plus ancien président en exercice). Biya poursuivra sa « grande vadrouille », comme à son habitude, avec sa cour et sa garde rapprochée (soit des centaines de personnes selon la presse camerounaise ce que l’on dément, bien sûr, dans l’environnement du chef de l’Etat), du côté de l’Inter-Continental de Genève. Pour trois semaines de… repos. Genève est bien loin des vergers de Kolofata du vice-premier ministre, Amadou Ali, là où son épouse et quelques autres ont été capturés.

Comme l’écrivait au lendemain de « l’affaire de Chibok », une éminente personnalité camerounaise, « comme le dit le proverbe, l’élargissement du déshonneur n’a pas de limite ». C’est Marafa Hamidou Yaya qui l’écrivait (Le Monde daté du 15 mai 2014). Cet ancien proche de Biya, considéré un temps comme son successeur, est en prison au Cameroun, condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement pour corruption. C’est aussi un Peul de Garoua ; autrement dit, pas un ami des Kanuri qui composeraient l’essentiel des troupes de Boko Haram.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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