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Balaké et la sauce Gombo d’Africando !

Publié le mardi 2 décembre 2003 à 15h28min

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La Révolution d’août battait son plein. Invité à se prononcer sur sa capacité à contribuer au sein de l’Union nationale des anciens du Burkina (UNAB) à la lutte du peuple burkinabè, le vieux président Aboubacar Sangoulé Lamizana avait répondu par cette sentence : " Ce n’est pas parce qu’il neige sur le toit, qu’il fait froid dans la maison. "

A voir la tignasse grisonnante du Kôrô Ahmadou Traoré dit Balaké, on ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit cette maxime. La soixantaine bientôt, cet homme né un 8 mars (ça ne s’invente pas !) est toujours d’attaque.

Le chanteur qui a remporté le premier disque d’or de l’histoire de la musique burkinabè sur les bords de la lagune ébrié, avec "Taximan n’est pas gentil" en 1982, vient de décrocher avec "Bétécé" chanté avec le groupe Africando en 2002, son second disque d’or. Comme quoi, le vin se bonifie en vieillissant !

Depuis plus de deux ans, sociétaire du groupe de salsa africaine Africando, cet infatigable artiste est le prototype du musicien exemple d’intégration et de rapprochement entre les peuples. Suivez le guide !

Ahmadou Traoré, grâce à la musique devient Balaké par la volonté des fans de l’orchestre Harmonie voltaïque. Ceux-ci n’arrêtaient pas de crier "bissez ! bissez !" lorsque, de retour de Guinée en septembre 1968, il interprétait avec brio cette chanson populaire (Balaké) de la patrie d’Ahmed Sékou Touré.

Celui qui a fait danser les foules d’Abidjan, Bamako, Dakar et Conakry, mais aussi d’Europe et d’Amérique a débuté sa carrière musicale en 1958 avec le célèbre groupe ouagalais "Harmonie voltaïque". Après un court séjour à Bamako en 1962, il jette son baluchon en Guinée où il réussit la prouesse de devenir chef d’orchestre du grand Horoya Band de Kankan pendant sept mois. Le talent ne ment pas ! Des lieux mythiques tels que le Solecte bar de Kankan, la Paillote ou encore le Jardin de Guinée à Conakry, l’on a vu côtoyer tour à tour Balla et ses Baladins, Kélétigui et ses Tambourini… Souvenir ! souvenir !

Percussionniste-chanteur, celui que les mélomanes du Bafing Jazz de Mamou avaient surnommé " Réotra " (Verlan de son nom), décide malgré son succès, de rentrer au bercail en 1968. La musique nourrissant difficilement son homme à l’époque, il continuera à travailler comme manœuvre dans des sociétés de travaux publics alors dirigés par des européens.

Comblé d’avoir fait danser des générations de burkinabè, Balaké peut a juste titre se venter d’avoir participé à la construction d’édifices mythiques, tel que l’Hôtel Indépendance en 1961. Il a par ailleurs pris part au premier bitumage de la route Ouaga-Pô en 1969. C’est sur ce chantier qu’une fracture à la jambe va le décider à se jeter corps et âme dans la musique et ça marche.

Malgré son succès international, Ahmadou Balaké reste cet artiste simple et modeste qui dans les maquis de Ouaga, se rappelle toujours aux bons souvenirs des mélomanes burkinabè. En déclarant récemment sur le plateau de la télé nationale, qu’il souhaiterait être conduit à sa dernière demeure au son de la musique nationale burkinabè (n’importe laquelle s’il vous plaît !) il démontre à quel point il aime son cher Faso.

Et pourtant, il a fallu que son ami milliardaire malien, Babani, de passage à Ouaga lors de la CAN 1998, surpris de voir notre Balaké national arriver à l’hôtel à mobylette, lui offre de quoi s’acheter une automobile " au revoir la France ". Ainsi va le Faso.

On se souvient encore des rires sarcastiques qui tendaient à taxer le Kôrô de déviationnisme, lorsqu’il a produit Baya Mapouka pour être dans le vent. C’était pour lui une façon de dire que malgré son âge, il demeurait vert de talent au point d’aller chasser avec brio sur des terres de la jeunesse musicale. L’ire de Balaké n’avait alors d’égale que la trop grande (tout excès est nuisible !) modestie des Burkinabè qui les conduit souvent à n’apprécier un talent que lorsqu’il vient de loin.

Comme le dit l’adage dioula, "Celui qui côtoie quotidiennement le margouillat, ne s’imagine pas que sa viande est délicieuse." S’il est vrai que nul n’est prophète chez soi, il n’en demeure pas moins exacte que la reconnaissance et le soutien des siens est indispensable à la mise sur orbitre de tout artiste, quelle que soit l’imensité de son talent. C’est cela que le Maestro Boncana Maiga en visionnaire de la musique universelle a cerné, en décidant de donner ce souffle nouveau au groupe Africando.

Le groupe du PDG Ibrahim Sylla, qui fait la fierté du continent noir tout entier, va porter Balaké au firmament de son succès. Si, grâce au plus mécène que producteur Abdou Lassissi, Balaké avait pu enregistrer en duo avec le célèbre Salsero Monquito (décédé l’année dernière) à New-york, c’est Boncana Maïga rencontré à la même époque à Abidjan, qui le fera rejoindre avec Gnonas Pedro, Laba Sosseh, Sekouba Bambino, la clique des Medoune Diallo, Nicolas Menehm, Miguel Gomes, Ronnie Barro...

Le talent est intact, la gloire éternelle. La récente tournée (25, 26 et 27 septembre 2003) du célèbre groupe Africando au Pays des Hommes intègres est aussi un hommage mérité à ce grand artiste national. Après cette sortie réussie, Balaké fit un tour début octobre en Guinée, où depuis trois ans il est l’invité des distinctions nationales de la musique guinéenne, les "Djembé d’or." Là-bas, au pays d’Aboubacar Demba Camara (un autre Balaké), il a reçu des distinctions honorifiques des mains des plus hautes autorités de l’Etat. Normal qu’il soit amer, lorsqu’il évoque le fait que son disque d’or, qu’il a pourtant dédié au "Burkina Faso et à son président" lors des derniers Kundé d’or, ne lui ait été remis que par son collègue Sekouba Bambino. Il y a des détails qui tuent !

Dans la famille de Traoré Ahmadou Balaké, aucun de ses neufs enfants ne veut suivre les traces musicales de papa. Pire ! l’une des filles (qui poursuit ses études en France) et dont papa Balaké reconnaît qu’elle ferait une grande chanteuse, aime l’asticoter au sujet de son métier d’artiste musicien. Malgré cela, Balaké, chanteur polyglotte, a du punch à revendre. Alors, entre deux tournées d’Africando, il persiste dans le talent et signe un album : Natoma dont la K7 est dans les kiosques depuis quelques semaines.

Comme quoi pour mieux apprécier la sauce gombo d’Africando, rien de tel qu’un bon tô burkinabè. Bon appétit !

Par Ludovic O. Kibora
L’Evénement

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