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Vol AH 5017. L’axe Ouagadougou-Paris marginalise l’axe Alger-Bamako (5/7)

Publié le mardi 5 août 2014 à 21h32min

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L’opération « Serval » sera achevée dans deux jours : le vendredi 1er août, officiellement, elle aura cessé d’exister. Elle cédera la place à l’opération « Barkhane ». Evolutive. Dans les milieux diplomatico-militaires français, où on sait le poids des mots, on dit que sa caractéristique majeure est de pouvoir être « reconfigurée » à l’instar de ces dunes de sable (barkhane) dont la configuration évolue en fonction des vents.

La guerre est finie. Une fois encore. Cela tombe bien, tout le monde a envie de foutre le camp en vacances. Le crash du vol AH 5017 a occulté la conférence d’Alger. Tant mieux. Elle n’a pas fait, pour l’instant, bouger les choses (cf. LDD Burkina Faso 0436/Mardi 29 juillet 2014). Mais permet à Bamako de respirer un grand coup d’air frais : on va lui lâcher les baskets. Enfin, plus exactement, on va cesser d’observer sur quelle marque de montre de luxe Ibrahim Boubacar Keïta regarde l’heure !

« Serval » était une opération bilatérale menée par la France au Mali. « Barkhane » est une opération transversale de « contre-terrorisme »* qui se veut franco-africaine. On change de dimension ; on change de cible. Et on oublie, finalement, ce qui s’est passé le 17 janvier 2012 quand le MNLA a déclaré la « guerre » à Bamako pour que l’Azawad soit reconnu « comme une entité à part ». Le vol AH 5017 tombe à pic (même si l’expression est mal venue) pour passer de « Serval » - dont la logistique a permis de sécuriser le site d’Alglinta - à « Barkhane » et oublier au passage les revendications des Touareg même si celles-ci ne cessent d’être mal formulées. Non pas qu’il y ait un lien quelconque entre le crash de l’avion et le « contre-terrorisme », mais la façon dont l’opération de « sauvetage » (même s’il n’y avait rien, hélas, à sauver) a été menée a servi de révélateur sur la capacité de réaction et d’action des uns et des autres. Et du même coup, on sait sur qui on peut compter et ceux sur qui il faut tirer un trait.

La mort brutale et violente de familles françaises qui avaient choisi de s’établir au Burkina Faso, de parents venus les visiter pendant les congés d’été, de familles burkinabè qui devaient rejoindre des parents ici ou là, de familles mixtes franco-burkinabè… sans oublier cette colonie libanaise que l’on marginalise trop souvent mais qui est attachée à la France, à la francophonie et à l’Afrique**, cette fusion des corps dans un drame aérien ajoute à la connexion entre Paris et Ouaga, sur bien des sujets et, tout particulièrement, celui du Nord-Mali et du « contre-terrorisme ».

Le problème du Nord-Mali est désormais un problème malo-malien ; le « contre-terrorisme » devient une affaire régionale qui oblige Paris à avoir des partenaires fiables et déterminés. Est-ce la raison pour laquelle Blaise Compaoré a ressorti de la poche de son Faso Dan Fani le général de brigade Gilbert Diendéré, son chef d’état-major particulier, omniprésent « chef de l’Equipe de gestion de crise (EGC) » ? On notera au passage que son ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, est un général, que son ambassadeur à Bamako est un général, que son ambassadeur à Alger est un général.

Plutôt rassurant quand on est engagé dans une opération de « contre-terrorisme » ! « Le général Gilbert Diendéré, sans protocole et sans garde du corps, se laisse bombarder de question sans [en] esquiver aucune » écrivait ce matin (mercredi 30 juillet 2014) Adama Ouédraogo Damiss dans L’Observateur Paalga qui a publié un long entretien avec le chef de l’EGC.

L’événement c’est, bien sûr, cette médiatisation d’un homme peu enclin à la médiatisation. Et le voilà qu’il accorde un entretien à L’Observateur Paalga, un quotidien privé burkinabè. Entretien accordé le mardi 29 juillet 2014. Diendéré y donne des précisions sur la façon dont le site du crash a été découvert par « ses » services. « Personnellement, j’ai eu la première information à 13 h 08 et j’ai demandé de confirmer cette information parce que celle que nous avons eue nous donnait une position possible de l’appareil et que le témoin que nous avons contacté nous a affirmé avoir vu un avion tomber dans la nuit à 1 h 50 mn. Avec une telle piste, j’ai dépêché sur les lieux une équipe avec un hélicoptère qui est allée dans un premier temps à Djibo puis à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso prendre notre témoin oculaire avec lequel elle s’est rendue sur les lieux. Mais ils se sont quelque peu perdus et c’est à 18 h 23 que notre hélicoptère et notre équipe ont atterri sur les lieux de l’accident. Cette équipe a alors capturé des images de la scène de crash. Ce sont ces images qui ont été transmises tout de suite à toutes les chaînes de télé ». On se souvient que Diendéré et le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, Alain-Edouard Traoré, sont intervenus à la télévision dès le 20 h de la RTB ce soir-là, jeudi 24 juillet 2014.

On se souvient aussi que Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, avait déclaré (déclaration reprise par Le Temps d’Algérie du 26 juillet 2014) : « La première information sur le lieu du crash a été donnée par un mouvement armé du Nord du Mali, dont les membres se trouvent à Alger dans le cadre des négociations en cours menées sous l’égide de l’Algérie pour trouver une solution à la crise malienne […] Des éléments de ce mouvement se trouvaient près du lieu du crash et l’information a par la suite été confirmée par toutes les parties ».

Par ailleurs, à en croire le premier communiqué d’Air Algérie, qui avait affrété le MD 83, il y avait 119 passagers dont 7 membres d’équipage, et le contact aurait été perdu à 1 h 55, soit cinquante minutes après le décollage. « L’avion, précise la compagnie, n’était pas loin de la frontière algérienne quand on a demandé à l’équipage de dérouter à cause d’une mauvaise visibilité et pour éviter une collision avec un autre avion assurant la liaison Alger-Bamako ». Enfin, c’est Ibrahim Boubacar Keïta qui aura semé le trouble dans les esprits, dès le jeudi après-midi, quand il avait assuré : « Je viens d’apprendre que l’épave a été aperçue entre Aguelhoc et Kidal », soit à des centaines de kilomètres au Nord du site du crash et, surtout, dans une zone où les groupes armés du Nord-Mali font leur loi. Ceci devant expliquer, sans doute, cela.

Justement, Ouédraogo Damiss, qui interroge le général Diendéré, va poser la question que tout le monde se pose : quid des Maliens dans cette affaire dès lors que les Burkinabè (à l’instar des Français d’ailleurs) semblent faire au Mali « comme chez eux » ? « Avant d’y aller, nous avons coordonné avec les autorités maliennes. Il y a là-bas aussi une cellule de gestion de crise et nous avons eu des échanges avec le responsable de ce comité qui est le chef d’état-major de l’armée de l’air du Mali. Nous avons demandé l’autorisation d’aller faire une reconnaissance aérienne avant d’envoyer notre hélicoptère. Cela s’est fait de concert avec les autorités maliennes, qui nous ont permis d’aller là-bas avec les moyens dont nous disposions ». Le site maliactu remarquera d’ailleurs que IBK, lui, s’est contenté de se rendre, « habillé en touriste », à Gao ; lui qui avait pleuré devant les cameras quand il lui avait fallu évoquer l’assassinat à Kidal de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les journalistes de RFI. Autre temps, autres mœurs.

* « Contre-terrorisme » est l’expression désormais consacrée par Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, pour caractériser « l’objectif unique, désormais » de l’opération « Barkhane » (Le Monde daté du dimanche 13-lundi 14 juillet 2014).

** La communauté libanaise, elle aussi durement touchée par ce drame aéronautique, devait se rassembler en cette soirée du mercredi 30 juillet 2014, à l’hôtel Laïco. Le secrétaire général du ministère libanais des Affaires étrangères, Jomaa Haytham, a fait le déplacement ainsi que le directeur du comité de crise du Liban, Kheir Mohamed, l’ambassadeur du Liban auprès du Burkina Faso (résident à Abidjan), Soueidan Ahmed. Il y aura également le consul honoraire du Liban au Burkina Faso, Joseph Hage.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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