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Documentaire "BORRY BANA" :Voyage dans l’affaire Zongo

Publié le mardi 2 décembre 2003 à 06h59min

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La projection officielle du film "Borry Bana" a eu lieu le 29
novembre au Centre de presse Norbert Zongo. 57 mn 30 s de
"témoignages et d’extraits de discours" en hommage à Norbert
Zongo et aux autres victimes du drame de Sapouy.

Ce film réalisé par Luc Damiba et Abdoulaye Diallo commence
par un extrait de l’Indépendant du 2 juin 1994. Augustine Zongo,
la mère de Norbert, plante le décor : "Mon fils, je suis venue te
dire une chose : de nombreuses personnes sont venues me
dire que tu écris encore des choses sur le président. Elles m’ont
dit que ta vie est en danger parce que le président qui est au
pouvoir ne se contentera pas de t’emprisonner comme l’autre
avant, mais celui-là va te tuer. Si ce qu’on dit est vrai, je viens te
supplier de ne plus écrire. Si tu meurs..." On peut imaginer la suite.

Mais Norbert Zongo, lui-même, se garde de franchir le rubicon. "La suite de cette conversation que j’ai eue avec ma mère, je ne
l’écrirai jamais dans un journal", peut-on entendre dès les
premiers instants du film. Au rythme d’une musique exprimant à
la fois le deuil et la détermination, la voix de Zongo (interprétée
par le journaliste Yanou Yaya Tamani) pénètre les tympans, à la
conquête des esprits : "Je n’ai fait qu’écouter, écouter et écouter.
Des nuits blanches, des nuits agitées, balloté entre deux idées :
suspendre la parution de l’Indépendant ou continuer". Un vrai
dilemme. En définitive, "je n’ai pas répondu ouvertement à cette
interrogation. J’ai fini par oublier d’instinct la question. J’ai pris la
décision de poursuivre sans réellement me dire, m’avouer (qu’)
il faut continuer".

Du coup, le documentaire bascule dans le
drame. Et les témoignages commencent, aussi pathétiques les
uns que les autres. Douleurs, colère, indignation se succèdent.
Une véritable onde de choc. Le film raconte de façon rythmée
"comment l’assassinat du journaliste d’investigation, Norbert
Zongo, est devenu une affaire d’Etat au Burkina". Les
mouvements de protestations du Collectif contre l’impunité, les
mises en garde du pouvoir, la création de la Commission
d’enquête indépendante, bref, tout le scénario est campé.
Conclusion : Norbert Zongo a été tué parce qu’il écrivait sur le
meurtre de David Ouédraogo, chauffeur du petit frère du
Président du Faso.

Et puis, entre temps, les réalisateurs évoquent le discours de
Blaise Compaoré, prononcé le 21 mai 1999 : "Concitoyens,
concitoyennes, je vous ai compris", avait-il lâché, après six mois
de silence. S’ensuit un scénario à trois épisodes. Acte 1 : la
création d’un Collège de sages dont le rapport se résume en
une analyse des crimes économiques et de sang. "Le pouvoir
de Blaise Compaoré est (alors) dans l’embarras", note le
commentateur du film.

"Tribunal terrestre, tribunal divin"

L’acte 2 du scénario porte sur le procès de l’Affaire David
Ouédraogo. Certes, des éléments de la garde présidentielle ont
été condamnés mais il y a tout de même "un goût d’inachevé".
Cet acte s’achève par une musique qui semble interpeller qui de
droit.

Et voici l’acte 3 qui parachute dans le film : la Journée
nationale de pardon, célébrée en grande pompe le 30 mars
2001, au Stade du 4 août à Ouagadougou. La famille de Norbert
Zongo est absente. Sa mère, affectueusement appelée "Maman
Zongo", dénonce, le coeur meurtri, les différentes tentatives de
corruption et d’intimidation dont elle a été l’objet. L’un des
enfants du journaliste, Guy Zongo, affirme qu’"on ne peut pas
admettre qu’on demande pardon dans un stade"...

Et voici la caméra de Gidéon Vink et de Jaap Van Heusden qui
s’oriente vers Sapouy. Retour sur les lieux du meurtre. Pris dans
le champ des projecteurs, Shérif Sy, journaliste et membre de la
Commission d’enquête indépendante, tente d’expliquer le
drame. Il ne s’agit pas d’un accident. Ce meurtre n’est pas non
plus l’oeuvre de braconniers, explique-t-il en substance. Le
documentaire évoque une fois de plus les "sérieux suspects"
épinglés par la Commission d’enquête.

Cinq ans après, le ciel de Sapouy est toujours obscur. Justice
où es-tu ? Réponse du Pr Joseph Ki-Zerbo : "En plus du tribunal
terrestre, il y a le tribunal divin. Quoi qu’on fasse, on ne peut pas
échapper aux tribunaux". Et Me Bénéwendé Sankara de
souligner de vive voix que la réaction du peuple face à cette
affaire est légitime : "L’objectif n’était pas de prendre le pouvoir
mais plutôt de dire que ce pouvoir-là est criminel, qu’il a tué et
qu’il ne doit plus tuer".

Entre temps, Alpha Blondy, le reggaeman ivoirien a lui aussi
crié sa colère dans le film. Le président de Reporters sans
frontière (RSF), Robert Ménard a également "craché" ses vérités.

A ce tableau s’ajoutent le président du Collectif, Halidou
Ouédraogo, Mgr Anselme Sanon, François Xavier Vershaves,
Liermé Somé, Newton Ahmed Barry, Germain Nama, Frédéric
Bakuez et bien d’autres. En somme, ceux qui ont accepté d’être
interviewés et ceux qui ont simplement fourni des informations
aux auteurs du film. Mais les réalisateurs avouent avoir eu du
mal à recueillir les témoignages de certains acteurs du pouvoir.

"Les recettes du documentaire serviront à rééditer "Le
parachutage", l’un des romans de Norbert Zongo, dont la
demande "est actuellement forte" sur le marché, confie
Abdoulaye Diallo. "Ce cinéma militant", comme le qualifie
Halidou Ouédraogo, contribue à "fixer dans l’Histoire, un
moment important de notre histoire", déclarent les réalisateurs.

Le pire, disait Norbert Zongo, "n’est pas la méchanceté des
gens mauvais mais le silence des gens biens". Le film "Borry
Bana" répond, selon ses auteurs, à un devoir de mémoire...

Par Hervé D’AFRICK
Le Pays

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