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Richard Bohringer : "J’ai retrouvé le sens de la vertu au Burkina"

Publié le jeudi 10 février 2005 à 09h47min

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Présent à Ouagadougou dans le cadre des préparatifs du XIXe FESPACO dont il est le parrain, l’acteur-comédien français Richard Bohringer, très connu des cinéphiles, joue dans plusieurs films africains. Dans son style de philosophe, l’homme s’est prêté aux questions de Sidwaya.

Sidwaya (S). : Qui est Richard Bohringer ?

Richard Bohringer (R.B.) : Tout simplement un homme comme vous, un homme à la quête de l’Afrique. Je veux parler plus précisément de l’Afrique subsaharienne, celle que j’ai connue. Au fil des ans mon sentiment d’attachement, de reconnaissance à ce continent s’est renforcé. J’ai demandé au président Diouf d’être au moins sénégalais. Il m’a donc attribué la nationalité sénégalaise. Je le suis officiellement, et depuis plus de deux mois et demi, je suis parti à la découverte du Burkina Faso, en cœur avec la Francophonie et ma première participation au FESPACO.

S. : En quelle année ?

R.B. : En 2001, sur invitation de M. Jean Guion, le président du Conseil international de solidarité avec ce pays (CISAB) ; il m’a accompagné au Burkina Faso, en plein FESPACO. J’ai découvert Ouagadougou, capitale du Burkina dans cette période où toute l’Afrique était présente à la fête du cinéma. Depuis, je m’y suis attaché. L’attachement du Burkinabè est une chose incroyable.

Je connais aussi l’histoire politique de ce pays. L’importance est le bonheur d’un peuple face à des possibilités qu’est la politique en théorie. Tout se passe au travers d’un prisme où il y a des marchands d’art africain à Paris. Mais à ceux-là, je ne me suis pas habitué. Tous ceux-ci sont des voleurs, des corrompus de l’âme des peuples africains qui ne savent pas spécifier les masques. Un jour, ils écoperont une sanction.

S. : Laquelle précisément ?

R.B. : Celle à quoi l’on s’attend le moins dans l’espace. Il y a quelqu’un qui donne la vie ici non ? L’importance est que l’Afrique comprenne que sa part est forte et qu’elle punisse avec autant de fermeté, ces voleurs, ces pilleurs de l’art africain qui est un trésor précieux. Si un jour, l’Afrique se retrouvait sans sa culture parce que tout le monde la lui a volée, que deviendra-t-elle ?

Un procès s’ouvre à Paris, encore une affaire de 800 masques volés. Là-dessus, ces messieurs demandent des excuses incroyables pour leur forfait ; je suis contre. A Ouagadougou j’ai découvert en quelque sorte l’art et puis je connaissais très bien l’existence du cinéma africain depuis une vingtaine d’années.

S. : Parlez-nous de votre filmographie.

R.B. : Elle n’a pas une grande importance. De ces cent (100) films, j’ai été récompensé dans tous les pays du monde, mais ce n’est pas ce que je recherche. C’est plutôt le sensationnel dans les films africains. Ça m’emmerde d’employer le terme africain parlant du cinéaste africain. Moi je suis obligé de rajouter africain à cinéaste parce qu’ils sont mieux appréciés chez eux qu’ailleurs. Je ne sais pas de quoi l’Afrique est insultée. Je suis obligé de parler du bien des cinéastes du continent parce que leurs œuvres sont magnifiques. Il y a de très grands cinéastes en Afrique, pas de petits, mais de grands.

S. : Vous êtes acteur-comédien, dans quels films africains vous avez joué ?

R.B. : J’ai joué dans un film d’Idrissa Ouédraogo : "Le cri du cœur". De toute façon, je suis prêt à relancer l’expérience, à tourner dans tous les films africains. Je sais que les films africains n’ont pas de sous, je le ferais gratuitement. J’ai envie d’être un des acteurs de ces films, c’est pourquoi je les qualifie de beaux. Je n’ai pas envie de tourner en France. Dans le cinéma français, il n’y a pas beaucoup de films qui me touchent l’âme. Je parcours le monde pour faire un film, et je pense que c’est cela la voix des masses.

Le parcours vers le monde est d’aller à travers, et de parler de ce qu’on a vu ailleurs. Il faut permettre aux hommes de trouver une voie royale. Si avant l’amour il y a l’estime, après l’amour il y aura l’estime. C’est déjà pour leur faire savoir à quel point ils se trompent, ce qu’ils pensent être et que les autres ne sont pas. Je dis cela parce que cela a existé et on ne peut pas le nier. Comment l’Afrique a été abandonnée, elle a été...C’est incroyable ! C’est comme si l’Occident avait été mis à l’écart de l’histoire africaine. C’est fou !

S. : Que représente le FESPACO pour vous ?

R.B. : Le FESPACO, est un diamant brut. C’est l’un des plus grands festivals du monde. Il n’est pas simplement consacré aux compétitions de films, mais à la vie de l’Afrique. Toute l’Afrique est présente à ce festival. Il n’y a donc pas que les films, il y a la musique, les visages, les pensées, les beautés. On a vraiment envie de pénétrer l’Afrique. Le FESPACO est un grand voyage non identifié, un diamant brut qui doit profiter à l’Afrique. Le Burkina est un pays qui n’a pas d’argent, mais un effort considérable a été fait pour que le FESPACO existe, il faut le promouvoir.

La culture allemande existe déjà au Burkina, plusqu’en France, et c’est une chose importante. La façon dont le pouvoir au Burkina prend en considération la culture de son pays traduit toute son importance. La culture africaine connaîtra des lendemains meilleurs, le jour où les "cyniques" disparaîtront, où les voleurs et trafiquants du trésor culturel africain seront tous morts. La culture africaine, est un grand vecteur vers le monde, et son impact dans les pays africains qui n’ont pas de sous-sol, ni de richesses de la terre, la seule richesse étant la culture.

C’est donc celle-là qu’il faut protéger, en arrêtant les voleurs qui pillent les villages. La fortune de l’Afrique sera une réalité dans les années à venir. C’est très embarassant de qualifier ce continent de pauvre, parce qu’il est gigantesque et riche de ce qu’elle renferme : sa nature, son passé, sa culture. Le peuple burkinabè a une richesse inestimable qu’est l’hospitalité légendaire. Il est extrêmement droit et vertueux. J’ai retrouvé le sens de la vertu au Burkina.

S. : Quels seront votre rôle et votre contribution à cette XIXe édition du FESPACO ?

R.B. : Vous n’êtes pas membre du jury ? Je suis le président d’honneur du jury, c’est ma contribution, et elle est philosophique, juste humaine. Je ne suis pas là pour juger de la qualité des films, mais pour dire qu’il faut que le cinéma africain demeure et continue sa lancée. Il faut que les cinéastes africains aient confiance en eux-mêmes.

S. : Que pensez-vous du thème de cette édition ?

R.B. : J’ai tantôt parlé de l’affiche et thème proprement dit. Un thème qui me fait penser, et que je vais en parler avec M. Jean Guion, un peu plus profondément. Avec l’aide de Français, d’Allemands et de Suisses, une structure sera mise très prochainement en place pour former des hommes de lumière, des scripts (femmes d’écriture) des cadreurs etc... Dans cette faculté, ils pourront discuter, parler, apprendre à signifier des choses très compliquées dans l’art du cinéma. Ils pourront donner une confrontation plus ludique, plus chaleureuse entre les moyens les plus efficaces et leur façon de faire. Ce sera une sorte d’université créative entre l’Afrique et les Européens qui voudraient participer à cette aventure.

Nous partirons du principe que l’Afrique n’a rien à donner de son sous-sol, et qu’elle n’a que l’humain et l’art comme richesses. La création de cette structure est fondamentale pour le cinéma et l’art africain qu’il faut absolument protéger des pillards blancs ou noirs. Je crois que cette Afrique du Sahel à ce moment-là aura une chance d’avoir une meilleure existence, et qu’elle sera impérieuse à la culture.

S. : Que pensez-vous alors de l’avenir du cinéma africain en général et du FESPACO en particulier ?

R.B. : Il faut que le FESPACO continue. Il faut pour cela qu’il soit vigilant avec son essence première, avec tout ce qu’il a voulu exprimer à ses débuts. Il faudra faire très attention à garder l’idée première du FESPACO. Les hommes et les femmes qui ont œuvré à son élaboration ont eu une bonne idée. Cette idée doit demeurer la même aujourd’hui et demain. Quant à l’avenir du cinéma africain, il a une place d’honneur dans l’histoire du cinéma mondial.

Quelles sont les plus grosses vedettes du cinéma aux Etats-Unis ? Les stars sont Africains, et les plus grands acteurs sont des Africains. On les adore, on admire leurs œuvres, mais combien de temps faut-il pour cela ? Entre la case de l’Oncle Tom et Banania le Sourd-là, Denzel, Washingon... tous sont devenus de grandes stars. Quelles souffrances ont-ils endurées ? Le cinéma africain est déjà prêt à souffrir. C’est un cinéma "Shakespearien" qui deviendra un jour, le premier cinéma du monde.

Interview réalisée par Privat OUEDRAOGO
Sidwaya

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