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IBK change de premier ministre parce qu’il refuse de changer de comportement politique. Préoccupant ! (1/4)

Publié le jeudi 17 avril 2014 à 23h38min

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IBK change de premier ministre parce qu’il refuse de changer de comportement politique. Préoccupant ! (1/4)

Drôle de timing pour un changement de premier ministre. Voilà tout juste sept mois que Oumar Tatam Ly avait été nommé à la tête de ce qu’on présentait, alors, comme un gouvernement de transition (cf. LDD Spécial Week-End 0601/Samedi 7-dimanche 8 septembre 2013). Moins de trois mois plus tard, le Mali organisait ses élections législatives. On pensait donc qu’il y aurait, du même coup, comme le veut la tradition, un changement d’équipe gouvernementale. D’autant plus que les mois qui venaient de s’écouler n’avaient pas été sereins.

Réconciliation en panne sèche, regain de tensions politiques et sécuritaires dans le Nord-Mali, affaire du capitaine-général Amadou Haya Sanogo, agacement de Paris et de beaucoup d’autres capitales (sans oublier celle du Burkina Faso) quant au comportement politique d’Ibrahim Boubacar Keïta, non seulement concernant l’application de l’accord préliminaire de Ouagadougou mais également le retour aux vieilles pratiques clientélistes maliennes. Dans son discours de Nouvel An, IBK pouvait se réjouir de ce qui avait été fait en six mois : il avait été élu à la présidence de la République, avait prêté serment, nomme un premier ministre, formé un gouvernement, voyagé un peut partout et remporté les législatives. Il était encore, disait-il, dans « la première phase » de son action : « redressement » et « normalisation ». Et, pour la mise en œuvre de cette phase, il n’avait pas manqué de rendre hommage à son premier ministre, Oumar Tatam Ly, et à son équipe. C’est « un homme discret, loyal, travailleur et compétent ». Ce qui laissait entendre, en ce soir du 31 décembre 2013, qu’il serait reconduit dans ses fonctions lors de la formation du prochain gouvernement pour mettre en place la « seconde phase » qui devait débuter en 2014.

« C’est une phase plus axée sur le redressement et le développement économique, pour le bonheur des Maliens », précisait IBK. Il s’agissait, ajoutait-il, de relever « quatre défis » : transition démocratique ; transition démographique ; transition économique ; transition culturelle. IBK prônait « un Etat fort, un Etat juste, qui exalte le mérite et sanctionne la faute », une « démocratie sincère et durable » et décrétait 2014 « année de la lutte contre la corruption […] Nul ne s’enrichira plus illégalement et impunément sous notre mandat ». Il entendait, bien sûr, créer « les conditions de l’émergence » et se félicitait d’avoir, « pour la première fois dans notre histoire », un ministère « dédié à l’anticipation, la planification, la prospective ». Discours de circonstance.

A Bamako, et dans les capitales de la « communauté internationale », cet « Etat fort », cet « Etat juste », promis par IBK tardait à émerger. C’est que le Mali a vite retrouvé ses vieux réflexes. Une hyperprésidence fondée sur le déplacement permanent du chef de l’Etat, confortée par une Assemblée nationale à sa dévotion présidée par Issaka Sidibé, « père de la belle-fille présidentielle », donnait peu de visibilité à celui qui était en charge du gouvernement et semblait avoir été choisi pour sa compétence technocratique éloignée des dérives politiques maliennes. Si Sidibé est le « père de la belle-fille présidentielle », c’est aussi que le fils du président de la République, Karim Keïta, surfant sur l’élection de son père, était parvenu à se faire élire député et, dans la foulée, président de la commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale. Avec bien plus d’ambitions affairistes que politiques.

Oumar Tatam Ly, tout au long de ses sept mois en tant que chef du gouvernement, n’a pas pipé mot. Peu visible sur la scène médiatique, il a été cependant l’instigateur du « contrat de législature » qui se voulait un acte politique fondateur fixant la configuration de la majorité présidentielle même s’il faisait craindre, à certains commentateurs, le retour à la « politique du consensus » chère à Amadou Toumani Touré (ATT). Signé par 14 formations politiques de la nouvelle Assemblée nationale (ADP, Adema, APR, ASMA, UDD, CNID, MPR, Miria, CDS, RPM, Yelema, UM-RDA, Codem, FARE), soit 112 députés, il ne laissait donc, dans les rangs de l’opposition, que les 35 élus appartenant essentiellement à l’URD, au Parena et au PDES. Ly s’est déplacé à Bruxelles, début 2014, pour s’entretenir avec José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Kristalina Georgieva, Commissaire chargée de l’aide humanitaire d’urgence, ainsi qu’avec les responsables de la Mission EUTM-Mali qui assure la formation de l’armée malienne.

Mais les entretiens dans la capitale belge (et européenne) avaient surtout concerné, dans le cadre du suivi de la conférence des donateurs de mai 2013, les PTF (partenaires techniques financiers). Selon Ly, sur les 1.902 milliards de francs CFA octroyés par les donateurs, 1.400 milliards ont déjà fait l’objet d’accords de financement signés et 767 milliards (soit environ 40 % des ressources) ont été engagés et auraient fait l’objet de décaissements. Les PTF avait « salué les efforts de l’Etat dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière et en matière de décentralisation ».

Autant dire que, sans bruit ni fureur, Ly travaillait. Dans le cadre du Programme d’actions du gouvernement (PAG 2013-2018) mais aussi dans une perspective de long terme, fixée par l’Etude nationale prospective (ENP Mali 2025) qui se veut « un élément important du processus de réflexion sur le renouveau de la planification au Mali, fondé sur la définition des grands objectifs de développement du pays, au terme d’une démarche participative et en s’inscrivant dans une perspective à long terme de la société malienne suivant un horizon excédant la durée des mandats électoraux » (Oumar Tatam Ly – cérémonie d’ouverture de la Journée nationale de la prospective au Mali – 23 janvier 2014).

Ly travaille tandis que IBK se retrouve dans le collimateur. Il n’est pas un acteur extérieur de la « crise malo-malienne » qui ne lui rappelle qu’il est en « présidence surveillée » et que sa feuille de route a été fixée, le 18 juin 2013, par les « accords préliminaires de Ouagadougou ». Dans les capitales étrangères (mais aussi au Mali), on s’agace du retour aux pratiques affairo-politiques et au clientélisme. Dans Jeune Afrique publié ce dimanche 6 avril 2014, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, dit les choses clairement, il ajoute même « très clairement » concernant un processus de réconciliation nationale « qui n’avance pas assez vite ». « Je pense, confie-t-il à François Soudan et Rémi Carayol, que l’heure est venue. Le processus de réconciliation est impérieusement nécessaire pour garantir l’intégrité du Mali, la paix et le développement. Je l’ai déjà dit à Ibrahim Boubacar Keïta, à Bamako, en janvier dernier ». « Impérieusement » ! Effectivement, on ne peut pas être plus clair.

D’autant plus « impérieusement » que les révélations se multiplient sur les connexions affairo-politiques d’IBK. Dans son édition du samedi 29 mars 2014, Le Monde, dans une enquête signée Gérard Davet et Fabrice Lhomme, montre du doigt, sans ambages, IBK et son ami et sponsor Michel Tomi. « Il fournit des vêtements de marque au futur président malien, paie ses séjours à l’hôtel parisien La Réserve, met à sa disposition des avions pour sa campagne présidentielle ».

Tomi était présent à la cérémonie d’investiture de IBK, assurerait la logistique des déplacements à Marseille du nouveau président de la République du Mali (IBK se rendrait, selon Le Monde, deux fois par mois à l’hôpital de La Timone à Marseille), l’hébergerait dans une suite du Royal Monceau à Paris, lui procurerait des véhicules de haut de gamme, s’occuperait de sa sécurité. IBK serait partenaire de Tomi dans la salle de jeux Fortune’s Club, à Bamako, et aurait accordé à son ami une autorisation d’ouverture de casinos dans la capitale malienne. Le problème, c’est que le sulfureux Tomi fait l’objet d’une information judiciaire pour « blanchiment aggravé en bande organisée », « abus de biens sociaux », « faux en écriture privée ». Et qu’il est une star des réseaux corses en Afrique noire francophone.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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