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Femua14 : Anoumabo, capitale de la musique panafricaine

Publié le samedi 12 avril 2014 à 03h35min

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Femua14 : Anoumabo, capitale de la musique panafricaine

Du 1er au 6 avril, s’est tenue la septième édition du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo en Côte d’Ivoire. Retour sur ce rendez-vous des meilleurs artistes du continent

Dimanche 6 avril tard dans la soirée. Dans le complexe sportif de Yopougon, le plus grand quartier populaire d’Abidjan, les dernières notes musicales s’éteignent. On débranche les câbles et on range les guitares et autres instruments qui ont permis d’offrir aux mélomanes des concerts d’une exceptionnelle qualité technique. Le public, majoritairement jeune, se disperse dans le calme. Salif Traoré, alias A’Salfo, le leader du Groupe Magic System et organiseur du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) affiche un sourire de satisfaction. « Ce soir, je suis un homme comblé, tout s’est bien passé, il n’y a pas eu d’incident, les artistes ont été formidables et le public a répondu présent ».

Lancé en 2008, le FEMUA est bel et bien devenu un rendez-vous des musiciens les plus en vue sur le continent africain. Pour cette septième édition, 17 artistes dont 9 étrangers, tous bourrés de talents, étaient là : le groupe Nigui Saff Kdance de Côte d’Ivoire, promoteur du Mapouka traditionnel, une danse pratiquée naguère au clair de lune par les femmes sur les sables fins de Jacqueville, à l’occasion d’évènements heureux et malheureux ; Gyedu-Blay Amboulley du Ghana, grande figure du Hi-life. Après un séjour de plusieurs années en Amérique, il revenu dans son pays et a créé une société de production pour encadrer les jeunes qui veulent se lancer dans la carrière musicale. Gyedu-Blay Amboulley porte en permanence des habits frappés de l’effigie de Kwamé Nkrumah, le premier président du Ghana indépendant et surtout grande figure du panafricanisme. Cette thématique constitue la trame de la musique d’Ambolley : « Nigérians, Maliens, Burkinabè, Congolais, etc., nous sommes tous les fils d’un même continent et nous devons unir nos forces pour promouvoir le développement de l’Afrique, parce que toutes les richesses sont chez nous », martèle-t-il en boucle. Fodé Baro, grand espoir du reggae guinéen a confirmé tout le bien qu’on pense de lui. Le Femua 2014 a été l’occasion de découvrir Maxi Sedumedi, une musicienne à la voix puissante venue du Botswana et Sae Lis, une jeune libanaise qui a le sens de la scène.

Pour la 7e fois consécutivement, le Burkina était représenté cette année encore au Femua. « C’est le seul pays étranger qui a toujours été présent depuis le début du festival, révèle A’Salfo, et pour couper court à certains mauvais esprits qui pourraient penser que cela est lié à mes origines, la raison est simple : la communauté burkinabè est la plus importante en Côte d’Ivoire et pour nous, programmer un artiste burkinabè, c’est comme si c’était un Ivoirien », explique le personnage central du Femua. Après Alif Naba en 2013, c’est Sana Bob qui a porté avec brio, les couleurs du Pays des hommes intègres cette année. Dès son arrivée à l’aéroport, lui et son équipe avaient été accueillis par un groupe de jeunes Burkinabè, habillés aux couleurs nationales. « C’est un honneur pour moi de représenter le Burkina parce que c’est ici que j’ai commencé à faire la musique avant de rentrer au pays. Je ferai tout pour faire honneur à mon pays et ne pas décevoir le public », nous avait-il confié la veille de sa prestation.

Alpha Blondy, tête d’affiche


Le 5 avril, sous le coup de 22h 30 mn, le reggae man burkinabè au chapeau de Saponé est apparu sur la scène tout de blanc vêtu. Les membres de son fan club, visiblement bien mobilisés, hurlent et l’acclament. Durant 40 minutes, il a entretenu le public en haleine avec ses titres phares, ses pas de danse dans une ambiance qui crée des frissons. Sana Bob a relevé le défi face à des grosses pointures qui l’ont précédé et succédé. Pierrette Adams, avec son “Journal intime” repris en cœur par le public, le célèbre couple malien Amadou et Mariam et leur “Dimanche à Bamako”, Youssoufa (France), le fils du regretté Rochereau et son duettiste S-Pi, ou encore Lady Ponce du Cameroun et ses acrobatiques danseurs bikoutsi. Les jeux de reins endiablés de cette étoile montante du bikoutsi rappellent la belle époque de la chanteuse congolaise Schala Muana, mais pour la suite de sa carrière qui s’annonce prometteuse, elle gagnerait à densifier le contenu de ses chansons.

La tête d’affiche de l’édition 2014 était incontestablement Alpha Bondy, Mr Jagger pour les fans, apparu sur la scène à 5h 30 du matin devant une foule en délire. Il porte un costume gris métallisé, une chemise jaune et une casquette qui mange 3/5 de son visage. Dès le premier morceau, il met les pieds dans le plat en fustigeant ceux qui, au nom d’Allah, commettent des crimes et attentats, puis enchaîne avec « Démocratie, ce n’est pas tribalisme ». L’ambiance est surchauffée, des bousculades éclatent à certains endroits. A’Salfo intervient pour appeler le public à ne pas gâcher la fête ; Alpha Bondy invite les « Baramogos » à rester calme. Le message est entendu et celui dont les positions politiques n’ont pas toujours été bien comprises par certains Ivoiriens durant la longue crise que la Côte d’Ivoire a connue, enchaîne avec Cocody Rasta, un de ses succès en début de carrière, puis « Politiki Magni ».

En trois nuits, le Femua a attiré du beau monde et à l’heure du bilan (Voir Itw), A’Salfo et ses camarades de Magic System, Tino, Manager et Goudé peuvent avoir des motifs de satisfaction. Les 17 artistes prévus étaient là et se sont produits ; le public d’Anoumabo n’a pas boudé son plaisir et a assisté massivement aux concerts, de 21h jusqu’à l’aube.

De nombreux sponsors

Le Femua, ce n’est pas seulement la fête de ma musique, c’est aussi, grâce aux nombreux sponsors de l’évènement-plus d’une trentaine, dont la CEDEAO, l’OIF, MTN- le moyen par lequel ses promoteurs apportent un soutien social aux populations d’Anoumabo, un village de 72 000 habitants et qui forme avec 92 autres, le district d’Abidjan, peuplé de 6 millions d’habitants. Cette année, une « Ecole maternelle Magic System » a été inaugurée et la première pierre de construction d’un commissariat a eu lieu, peu après la cérémonie d’ouverture du Femua dans l’après du 3 avril, en présence de personnalités politiques et diplomatiques dont notre ambassadeur, Justin Koutaba. « Grâce au Femua, notre village est maintenant mondialement connu et nous implorons les bénédictions des ancêtres pour qu’ils accordent longue vie à ses promoteurs », s’est réjoui le chef traditionnel d’Anoumabo. Quant au maire de Marcory, la commune qui accueille le Festival, il a souligné que chaque édition avait des retombées économiques pour sa commune. « Les hôtels affichent complet, les restaurants et autres maquis sont pleins. Chacun y trouve son compte avec les 3 millions de visiteurs que nous recevons durant le Femua », a-t-il déclaré. Pour le directeur général de Côte d’Ivoire tourisme, le Femua est l’occasion de présenter aux étrangers les atouts touristiques de son pays. « Après la crise, la Côte d’Ivoire est de retour », a-t-il lancé.

Incontestablement, le Femua est une réussite musicale, économique et surtout sociale qui rassemble, sans distinction, les populations des quartiers populaires d’Abidjan que la crise politique survenue en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002 avait profondément divisées. Le succès du Femua au fil des ans confirme qu’avec le sport, la culture est un facteur d’union et de cohésion nationale dans nos états fragiles importés. Certes, les racines du Femua sont fortement implantées à Anoumabo, mais il pourrait être délocalisé dans d’autres quartiers, voire à l’intérieur du pays, ce qui assoirait définitivement sa dimension nationale. Quant à ceux qui l’imaginent carrément dans d’autres pays africains, le commissaire du Femua se veut catégorique : « Pour l’instant il n’est pas question d’aller dans un autre pays ; ce n’est pas à l’ordre du jour et je leur dis qu’on en reparlera après la 10ème édition ».

Rendez-vous en 2015 pour le prochain Femua, peut-être hors de la capitale.

Joachim Vokouma, Envoyé spécial ; Lefaso.net (France)


A’Salfo : « Le Femua ne sera jamais payant »

Leader du Gropue Magic System, Traoré Salif, plus connu sous le sobriquet de A’Salfo fait le bilan du Femua 2014 et dévoile les ambitions de ce festival de dimension continentale

Au soir du dernier jour du Femua 7, quel bilan en tirez-vous ?

Franchement il n’est pas dans mes habitudes de faire dans l’autosatisfaction, mais j’avoue que je suis très satisfait de la manière dont les choses se sont passées pour cette édition. Au plan technique, organisationnel, il n’y a rien à dire et les artistes ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Et puis, vous l’aurez remarqué, la météo nous a été favorable puisque la température est resté douce durant tout le festival

Comparativement aux éditions précédentes, comment appréciez-vous la participation du public ?

Nous avons eu plus de monde cette année à Anoumabo que l’année dernière puisqu’en deux jours, on a quand même eu plus 120 mille personnes et ce n’est pas négligeable sachant que notre festival est encore jeune. Au début, nous avions entre 10 et 15000 participants alors que cette année, rien que la deuxième journée, on a atteint le pic de 70 000 personnes pour la seule soirée avec Alpha Blondy. La première journée a entrainé environ 50 mille et franchement en termes d’affluence, c’est l’édition la plus réussie

On a vu des bousculades qui ont failli dégénérer. Est-ce que le dispositif de sécurité mis en place a bien fonctionné ?

Oui, tout s’est aussi bien passé de ce côté, même si on a eu des bousculades la deuxième soirée ! La raison est simple : ce n’est pas tous les jours qu’on voit Alpha Blondy, Sana Bob, Pierrette Adam’s, Amadou et Mariam, etc., à Anoumabo ; Donc chacun voulait les voir et comme il y a avait beaucoup de gens, les bousculades ont éclaté mais ça été vite circonscrit puisque ce n’était pas dans le mauvais esprit. A 7 h, il y a avait encore un monde fou et il fallait quand même que je prenne la parole pour calmer les esprits.

Vous insistez sur le volet social du Femua ; vous dites même que c’est son ADN. Pourquoi ?

Oui, le FEMUA, ce n’est pas seulement une semaine d’animations et de réjouissances, c’est aussi et surtout, une manifestation à caractère social. Nous on vient de ce village et même si nous sommes conscients qu’on ne résoudra pas tous les problèmes des gens ici, nous voulons faire quelque chose pour les soulager un tant soit peu. Donc, cette année, il y a eu l’inauguration d’une école maternelle Magic System, l’action sociale principale de cette édition, puis la pose de la première pierre du commissariat de police pour sécuriser le village. C’est une promesse faite par le ministre Amed Bakayoko l’année dernière en réponse à la demande de la population du village. Il vient de respecter sa promesse et s’il plaît à Dieu, au Femua 8, on va aussi inaugurer ce commissariat

Après la cérémonie d’ouverture, on n’a plus vu d’hommes politiques sur le site du Femua. Pourquoi ?

Oui, vous savez, dans ce type de projet, il faut éviter de mélanger les choses. Vous savez pourquoi le Femua a été créé ; c’est une plateforme qui permet aux populations de se réunir, sans barrière, sans distinction. Nous essayons de réussir là où les politiques ont échoué, donc il ne faut pas que les politiques soient mêlés à ça même si on a besoin de leur soutien ce qui est normal dans un pays

Est-ce que le but du Festival, c’est aussi de gagner de l’argent ?

Ah non, pas du tout ! C’est juste pour aider les populations et comme je l’ai déjà dit, c’est une reconnaissance pour ce village qui nous a vus naître et grandir. Non, l’objectif du Femua, c’est aider les habitants d’Anoumabo en leur apportant des moments de joie et en leur procurant des réalisations sociales. Même les personnes de bonne volonté que nous sollicitons, c’est pour aider les populations. Tout est offert ici et cela est rare pour être souligné. On aurait pu effectivement faire payer l’accès aux concerts et avec cette brochette d’artistes, on aurait fait le plein et vendu tous nos tickets, mais ça allait être le contraire de notre objectif qui est d’aider les plus pauvres et non nous remplir les poches. Nous ne nous plaignons pas, avec nos droits d’auteurs et les disques vendus, ça nous permet de vivre correctement et on ne va pas faire de l’argent sur le dos des plus démunis sachant que nous venons de là et connaissons les difficultés auxquelles sont confrontés les gens au quotidien

Vous rassurez donc que le Femua ne sera jamais payant ?

Jamais ! Tant que nous sommes là, que nous avons les moyens d’offrir ces moments de bonheur aux populations, l’accès aux concerts sera toujours gratuit

Qui produit le Femua ?

C’est Gaou Productions qui en est propriétaire ; vous savez que ce type d’évènement doit être mené par une structure et nous avons créé Gaou Productions pour ça. Pour l’instant, c’est le seule évènement que cette structure produit

Le Femua a signé une convention de partenariat avec la CEDEAO. De quoi s’agit-il exactement ?

Oui, la Côte d’Ivoire est le pays le plus brassé de la CEDEAO, Abidjan en est la ville la plus cosmopolite. La CEDEAO a eu la bonne idée de signer une convention avec nous parce que jusque-là, elle évoque quelque chose de politique, alors que la diversité culturelle est un des maillons les plus importants de l’intégration africaine. La CEDEAO a compris cela en s’engageant à nous accompagner et je salue la vision d’un homme, le président de la commission de la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo qui a eu l’initiative et nous sommes heureux qu’il ait associé la culture aux actions de la CEDEAO.

Le partenariat vise à apporter l’appui de la CEDEAO parce que le Femua est un projet d’intégration vu sa programmation, et la CEDEAO peut bien utiliser le Femua pour faire passer des messages. Bientôt, nous irons à Abuja pour travailler en profondeur sur le contenu de cette convention qui nous lie désormais.

L’Afrique du Nord n’a jamais été représentée au Femua ; comptez-vous y remédier ?

Oui, cette partie de l’Afrique nous intéresse aussi et dans les prochaines éditions il y aura certainement des musiciens du Maghreb. Nous avons invité une artiste botswanaise, parce que ce pays est moins connu ici que l’Algérie ou le Maroc. Mais, je peux vous assurer que même les Caraïbes et les Antilles sont dans nos projets pour faire du Femua un rendez-vous mondial

Magic System at-il un album en perspective ?

Oui, notre prochain album sort le 19 mai, il est prêt et on attend la fin du Femua pour le lancer, suivi d’une tournée internationale en Afrique et en Europe.

Propos recueillis à Yopougon par Joachim Vokouma ;

Lefaso.net (France)

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