LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

La diplomatie française existe. Il y en a même qui l’ont rencontrée (1/2)

Publié le mardi 1er avril 2014 à 04h52min

PARTAGER :                          
La diplomatie française existe. Il y en a même qui l’ont rencontrée (1/2)

Alors que, selon les commentateurs, la question se pose, à L’Elysée, de savoir s’il faut garder Laurent Fabius au Quai d’Orsay ou le propulser à Matignon, autour de celui-ci ses réseaux se sont mis en action pour souligner qu’il est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.

Notre ministre des Affaires étrangères, qui avait pris garde de laisser son collège Jean-Yves Le Drian gérer les dossiers malien et centrafricain, regardant tout cela de loin et avec circonspection, a retrouvé un terrain diplomatique à la hauteur de son expérience et de ses ambitions du côté de Kiev.

Et alors que depuis deux ans, la crédibilité des hommes et des femmes politiques de l’équipe Hollande/Ayrault n’est pas au top, il s’est imposé, voici quelques semaines, comme le ministre ayant le meilleur indice de satisfaction des Français (devant Manuel Valls) et comme la deuxième personnalité de gauche la plus appréciée (derrière Valls)*. Il est le vingtième ministre des Affaires étrangères de la Vème République et pourrait bien s’affirmer comme un de ceux qui ont marqué l’histoire du Quai d’Orsay non pas tant pour son action diplomatique stricto sensu que pour son parcours politique exceptionnel. Et un pragmatisme qui lui a permis de s’imposer comme un des ministres les plus appréciés de François Hollande alors que sa détestation à l’égard de celui-ci n’a jamais été cachée.

L’enthousiasme des Français pour la guerre au Mali puis en Centrafrique étant retombé, Fabius est donc revenu sur le devant de la scène. D’autant plus qu’au sein de ce gouvernement Hollande/Ayrault les têtes d’affiche sont moins nombreuses que les têtes à claques. Fabius à gauche, à l’instar d’Alain Juppé (lui aussi ayant eu en charge, mais à deux reprises, la diplomatie française) à droite, avec son côté politique « à l’ancienne » rassure les électeurs. Rien de vibrionnant ; décence, cohérence, intelligence. Au total, un homme rassurant. Apaisant même, y compris en matière diplomatique (cf. LDD Spécial Week-End 0587/Samedi 1er-dimanche 2 juin 2013).

Mais ayant été le plus jeune premier ministre de la France au temps de François Mitterrand, il ambitionnait depuis d’être autre chose. Les présidentielles se sont passées sans lui. Il a 68 ans et aime à dire, désormais : « C’est à la tête de la diplomatie française que je dois laisser une trace ». Du coup, il affirme être au Quai d’Orsay « pour cinq ans ». « Sûr de lui et dominateur », ayant occupé, à l’exception d’un seul, tous les postes de responsabilité que compte la République française (ministre, premier ministre, président de l’Assemblée nationale…), Fabius, débarquant au Quai d’Orsay, a eu quelques difficultés avant de savoir à quels diplomates se vouer, préférant se fier à ses amis de longue date, membres comme lui de l’élite socialo-intellectuelle et familiale.

Et puis, sur bien des dossiers à gros retentissement (à commencer par la Syrie), il voudra aller trop vite, trop loin, plus volontariste que réaliste. Plus souvent en l’air que sur terre (12,5 fois le tour de la terre en 2013 précise son conseiller de presse), il aura parfois du mal à sortir la tête des nuages pour contempler la vérité du monde contemporain. L’affaiblissement de l’exécutif français sur la scène politique intérieure va lui permettre d’affirmer sa différence sur la scène diplomatique où, dit-il, « il n’y a plus véritablement de patron [Cette] « vacance du pouvoir global » permet à la France, puissance numériquement moyenne, de peser davantage que ce qui se déduirait de ses seules forces ».

Fabius, qui a fait ses classes sous Mitterrand, sait qu’il faut « laisser du temps au temps ». A l’âge qui est le sien et compte tenu de son parcours intellectuel et politique, il ne peut plus guère avoir d’impatience. Sauf celle de « laisser sa trace » en matière de relations internationales. Vincent Jauvert, dans Le Nouvel Observateur (20 mars 2014) dit qu’il « voudrait formuler une vision puissante – et personnelle – de la place de la France dans le monde. Il cherche l’idée qui fera mouche. Il aimerait inventer un concept aussi percutant que « l’hyperpuissance » qui a rendu Hubert Védrine célèbre en Amérique […] Il assure que, dans ce monde-là, la France est « une puissance d’influence », une « puissance repère ». Mais ces formules manquent de dynamique ». Védrine avait pris soin de caractériser l’Amérique : une « hyperpuissance » ; Fabius, lui, veut définir la place de la France dans la diplomatie mondiale ; pas facile dès lors que l’Hexagone n’est pas au mieux de sa forme.

Il vient cependant de recevoir un coup de pouce non négligeable de la part d’un carré d’as de la diplomatie française. Quatre ambassadeurs de France, et non des moindres. Et quand je dis « ambassadeurs de France », j’entends évoquer non pas la fonction mais la dignité à laquelle ils ont été élevés. Ils s’appellent François Scheer, Loïc Hennekinne, Daniel Lequertier et Philippe Faure. Ils ont été élevés à la dignité d’ambassadeur de France respectivement en 1993, 1999, 2005 et 2012. Autant dire que ce n’est pas la nouvelle génération des diplomates français. Mais qu’importe, ils ont le titre suprême et l’expérience qui va avec.

Dans Libération de ce matin (26 mars 2014), ils ont donc entrepris d’affirmer que « à l’étranger, la France tient son rang ». « Depuis deux ans, écrivent-ils, nous nous sommes réconciliés avec des pays avec lesquels les relations s’étaient inutilement dégradées : Algérie, Chine, Japon, Mexique, Pologne, Turquie notamment. Le repositionnement de la France là où le monde bouge a été engagé à travers l’adaptation du réseau diplomatique consulaire, culturel et scolaire ainsi que les visites ministérielles et présidentielles. L’accent est mis sur les grands et les néo-émergents en Asie, en Amérique su Sud et sur l’Afrique ».

Nos mousquetaires à la retraite soulignent « l’offensive en matière économique » du Quai d’Orsay, la « réorientation » de la politique en matière européenne, le « nouveau départ » donné aux relations franco-allemandes, la valorisation « d’autres relations » européennes : Pologne, Italie, Espagne, une « action de la France au Mali unanimement saluée », la « place retrouvée » en Afrique, la « fermeté » au Moyen-Orient où la France est désormais reconnue comme « un interlocuteur crédible », l’engagement « sur le sujet crucial du dérèglement climatique en organisation la conférence Paris Climat 2015 ». Au total, nous dit le Club des Quatre, la France s’est affirmée, « dans les crises du Moyen-Orient et de l’Afrique » comme « une puissance d’entraînement » ; il précise même : « une puissance d’initiative et d’entraînement qui accepte de s’engager et assume ses responsabilités ».

« Une puissance d’initiative et d’entraînement ». Pas mal quand même : d’abord, nous sommes encore une « puissance » ; et c’est nous qui « donnons le la ». Nous impulsons. Même si nous n’avons pas les moyens de notre politique au-delà de cette phase d’impulsion. Seul problème, il n’est pas certain que tout le monde pense ainsi. C’est le cas notamment des « Arvernes » (ethnie gauloise qui s’illustra quelques siècles avant JC du côté de l’Auvergne qui lui doit son nom), groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes, d’entrepreneurs qui « souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s’enferment trop souvent les élites françaises ».

Ancrés à droite, relayés sur le net par le site d’information Atlantico.fr, « Les Arvernes » ont publié récemment (12 mars 2014), dans Libération, un texte intitulé : « Deux ans après, quel bilan pour Laurent Fabius ». C’est d’ailleurs cette chronique qui a justifié la réaction des mousquetaires de la diplomatie française au prétexte que « si la nostalgie peut permettre de rédiger des tribunes, elle ne constitue pas une politique ».

* Enquête IFOP pour Le Journal du Dimanche mesurant l’indice de satisfaction des Français à l’égard des ministres : Laurent Fabius (61 %) devant Manuel Valls (53 %). Enquête BVA pour Le Parisien, Fabius est la deuxième personnalité de gauche
la plus appréciée derrière Valls ; 63 % des sondés jugent qu’il est un bon ministre des affaires étrangères.

A suivre
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique