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Shen Cheng-Hong, Ambassadeur de Chine (Taïwan) au Burkina : « Les relations entre la Chine populaire et Taïwan sont en train d’évoluer »

Publié le mardi 18 février 2014 à 00h09min

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Shen Cheng-Hong, Ambassadeur de Chine (Taïwan) au Burkina : « Les relations entre la Chine populaire et Taïwan sont en train d’évoluer »

Le 11 février 2014, le taiwanais Wang Yu-chi (G) en charge de la politique à l’égard de la Chine continentale et le chinois Zhang Zhijun, ont entamé une rencontre à Nankin. Cette rencontre constitue le premier contact officiel entre les deux pays depuis la fin de la guerre civile en 1949. Rencontre dite historique, l’Ambassadeur de Taïwan au Burkina Faso y revient dans le cadre d’un entretien qu’il nous a accordé le 12 février 2014 à Ouagadougou. Avec lui, il a aussi été question de l’avenir géopolitique de la République de Chine (Taïwan).

Une rencontre que d’aucuns qualifient d’historique se tient entre votre pays et la Chine Continentale. Pouvez-vous nous présenter le contexte et les sujets au centre de cette rencontre ?

Depuis des dizaines d’années, des rencontres entre Taïwan et la Chine continentale se déroulent à travers des organes semi-officiels. Il s’agit de la fondation des échanges entre les deux rives et l’association pour les échanges à travers le détroit de Taïwan. C’est à travers ces deux organes semi-officiels que les rencontres se sont déroulées, surtout à partir de 2008 avec la prise de fonction du président Ma Ying-Jeou. Avant 2008, il y avait beaucoup de conflits des deux côtés, soit politiques, soit diplomatiques.

A ce jour, les deux entités ont signé 19 accords, trois protocoles d’accord et un consensus. Ces documents concernent la coopération postale, la liaison maritime et aérienne. Ils concernent aussi la coopération dans le domaine de la sécurité alimentaire. Il y a aussi le domaine de la sécurité de nos commerçants et investisseurs taïwanais qui est concernée. Pour le moment, c’est pour le bien-être des deux côtés que tous ces accords sont signés.

Pour la Chine Taïwan, ces contacts vont continuer, parce qu’ils sont bénéfiques pour le peuple taïwanais. En 2012, on a signé un accord-cadre sur la coopération économique avec la Chine continentale. C’est un accord de libre-échange. Cela dans le but d’ouvrir le marché de la Chine continentale aux commerçants taïwanais. C’est une bonne chose et je crois que la Chine a aussi besoin de Taïwan. Même si politiquement elle considère Taïwan comme une partie de son territoire. Pour le moment, notre gouvernement a décidé de mettre de côté cette question politique.

Nous avons un consensus pour régler le problème entre nos pays en mettant l’accent pour le moment sur les questions commerciales et économiques.

Comme vous le savez, la réunification, c’est ce que poursuit la Chine populaire depuis longtemps. Pour nous, peuple taïwanais, nous estimons qu’il faut maintenir le statu quo. Selon un sondage réalisé par le ministère des affaires continentales, 84,6% de la population taïwanaise sont en faveur du maintien du statu quo en attendant l’issue des consultations entre les deux rives.

C’est la première fois que les deux rives se rencontrent à titre officiel. Et C’est la reconnaissance réciproque de l’existence du pouvoir à chaque rive, d’exercer sa juridiction.

Le représentant de la Chine Taïwan est-il investi des pleins pouvoirs pour engager son pays dans le cadre de cette rencontre dite historique ?

Avec cette rencontre des deux côtés, on souhaite que le bien-être des populations s’améliore. Dans le monde, il y a certains pays qui ont des relations officielles avec Taïwan. Mais la plupart ont des relations avec la Chine populaire. Mais cela n’exclut pas, surtout avec cette rencontre, qu’on ait des relations sur la scène internationale dans le domaine de l’aide humanitaire par exemple, de la pêche. De temps en temps, nos bateaux sont kidnappés par des pirates somaliens. Dans quelques pays à travers le monde, des taïwanais ont des problèmes ; malheureusement, des contacts officiels n’existent pas avec ces pays. Je crois qu’on pourrait collaborer avec la Chine populaire dans le domaine de l’aide humanitaire au moyen de consulats.

La Chine populaire clame toujours que Taïwan n’est pas un pays souverain. C’est pourquoi, Taïwan ne peut pas participer aux rencontres internationales réunissant les Etats. Mais les relations entre la Chine populaire et Taïwan sont en train d’évoluer.

La rencontre se déroule à Nankin. Pourquoi là-bas et non à Taïpei ou à Pékin ?

Normalement, les rencontres se font successivement à Pékin et Tapeï. Cette fois, on a choisi Nankin. Vous savez, Nankin c’est l’ancienne capitale sous le régime de Chiang Kai-shek. Je crois que le choix de Nankin traduit la volonté, la sincérité de la Chine populaire de travailler avec nous. En tout cas, c’est notre interprétation.

Ça peut aussi être pour la Chine populaire une façon de dire que nous sommes les bienvenus dans notre capitale historique. C’est vraiment une manifestation de la sincérité de la part de la Chine populaire.

L’accord de libre-échange dont vous avez parlé tantôt, on sait que le parlement taïwanais traine à le ratifier. Pourquoi cela ?

Il y a certaines personnes qui croyaient qu’à travers cet accord, on devrait ouvrir notre marché de services aux travailleurs chinois. Mais comme vous le savez, on est dans un monde de compétition libre. Pour moi, si les travailleurs chinois sont bien qualifiés, ils peuvent offrir leurs services aux taïwanais.

Par contre, c’est aussi à travers ça que les travailleurs taïwanais peuvent davantage valoriser leur savoir-faire. Moi je crois que c’est une bonne chose.

Mais certains insistent pour dire que ça va nous faire perdre des emplois et que notre marché sera trop envahi. C’est pourquoi, au niveau de l’Assemblée nationale, jusqu’à présent, cet accord n’est pas ratifié. Mais grosso modo, cet accord vise le bien-être du commerce taïwanais.

C’est un instrument gagnant-gagnant. On peut perdre quelque chose, il ne faut pas nier cela ; mais on gagne aussi d’autre part. Cet accord sera ratifié par l’Assemblée nationale.

Au regard de la réticence qu’il y a à ratifier cet accord de libre-échange, on est tenté de se demander si les conclusions de la rencontre en cours seront mises en œuvre par les deux chefs d’Etat.

C’est vrai, les résultats de cette rencontre ne sont pas encore connus. Mais on voudra toujours mettre en avant les relations entre les deux rives. C’est quelque chose dont on a discuté depuis longtemps ; et je crois que c’est une bonne chose.

On ne peut pas à travers des rencontres comme ça, régler toujours les choses quotidiennes. Donc, un bureau de représentation des deux côté, c’est bon, c’est même nécessaire. Je crois que les résultats de cette rencontre seront encourageants ; j’en suis convaincu.

De nombreux taïwanais, comme vous l’avez relevé tantôt, ne sont pas d’accord pour l’unification des deux rives. Ceux-ci ont-ils raison ?

Vous savez, la République de Chine est indépendante depuis 1912. A Taïwan, jusqu’à maintenant, beaucoup de gens tiennent à l’indépendance.

On comprend bien ceux qui veulent l’indépendance de Taïwan. Le régime en Chine continentale, est communiste. Il n’est pas libre, il y a pas de vote populaire comme ce que nous faisons à Taïwan.

Voulez-vous dire c’est la nature du régime politique en Chine continentale qui constitue l’obstacle à la réunification ?

Oui, bien sûr. Pour que les deux s’unissent, il faut qu’ils aient le même système politique. Hong Kong par rapport à la Chine continentale est une zone qui est tout à fait libre, économiquement, politiquement, commercialement. Et la Chine continentale comprend aussi qu’elle ne peut pas considérer Hong-Kong comme une partie intégrante. C’est pourquoi Hong-Kong dispose d’un statut spécial. Mais l’autoritarisme du gouvernement central chinois fait que la démocratie hongkonguaise rayonne de moins en moins. A Taïwan, on suit ça très attentivement. Si la situation de Hong-Kong ne s’améliore pas véritablement, cela ne va pas nous encourager pour la réunification avec la Chine populaire. Je crois que la Chine continentale elle-même comprend cela.

Du reste, notre gouvernement depuis les années 1980, a commencé à faciliter les contacts entre les populations des deux rives. Il y a un million de taïwanais qui travaillent et habitent avec leur famille en Chine continentale

Je crois que les relations entre les deux rives vont se poursuivre pacifiquement. La question de la réunification peut-être dans 30 ou 40 ans, si toutes les conditions sont réunies, et si la population est d’accord.

Avez-vous le soutien des Etats-Unis d’Amérique, quand on sait d’une part que les autorités américaines aussi reprochent à la Chine continentale le manque de démocratie véritable, et que d’autre par l’actuel président taïwanais s’est formé dans des universités américaines ?

Je crois que le gouvernement américain est satisfait de voir les relations entre Taïwan et la Chine populaire s’améliorer. Il encourage le dialogue entre les deux côtés.

La position du gouvernement américain est très claire. C’est aussi ce que nous sommes en train de faire ; car après tout, c’est la population taïwanaise qui décide.

Si nous avons quelque chose à demander au gouvernement américain, c’est d’aider à la création d’un environnement qui permette à la population taïwanaise de prendre elle-même sa décision.

Et quelle est la position du Japon dans ce processus de rapprochement entre les deux rives chinoises, quand on sait que Taïwan est son ancienne colonie ?

Je crois que la position japonaise, c’est comme celle des américains. Le gouvernement japonais comprend très bien la situation de Taïwan dans la sous-région et dans le monde.

Le Japon voudrait approfondir ses relations avec Taïwan. Concernant la réunification, le gouvernement japonais a la même position que le gouvernement américain.

Quel est actuellement le statut juridique de Taïwan dans le concert des nations ?

Depuis des années, on a essayé d’améliorer notre participation au système des Nations-Unies. Mais jusqu’à maintenant, c’est à cause de la Chine populaire qu’on ne peut y participer.

Après la prise de fonction du président Ma, on a changé un peu dans notre stratégie. On essaye de participer à certaines organisations spécialisées des Nations-Unies, comme l’organisation de l’aviation civile internationale, la Convention sur les changements climatiques. Tout ceci pour le bien-être des populations ; ça n’a rien à voir avec la politique. Peut-être qu’on ne peut pas y participer avec notre titre officiel d’Etat, mais on peut trouver une façon d’y participer.

Nous souhaitons à travers l’aide des pays amis comme le Burkina Faso, intervenir au sein de la communauté internationale et faire comprendre à la Chine continentale que nous ne recherchons pas de confrontations. C’est simplement le bien-être de la population taïwanaise qui nous préoccupe.

Qu’en est-il de la fréquentation entre les populations des deux rives ?
Chaque jour, ce sont environ 6 000 touristes chinois qui visitent Taïwan. Si je ne me trompe pas, jusqu’en fin 2012, ils sont environ trois millions de touristes chinois qui viennent à Taïwan par an. En 2013, ce sont près de 5 millions de touristes chinois qui sont venus à Taïwan. L’année passée aussi, le Gouvernement taïwanais a autorisé 2 000 étudiants chinois à venir étudier à Taïwan. Chaque semaine, il y a 620 vols directs entre Taïwan et la Chine populaire.

Au vu de tout ceci, il n’y a pas de raison qu’il y ait conflit entre les deux rives ; cela n’aura pas de sens. C’est vrai, il y a encore de petits problèmes. Et c’est d’ailleurs pour résoudre ces problèmes que des rencontres se tiennent.

Dans le cadre des relations de coopération entre les deux rives, qu’apporte Taïwan à la Chine continentale en matière de technologies ?

Nous avons beaucoup d’investissements dans le domaine de la pétro-chimie là-bas. Aussi, Taïwan apporte beaucoup d’innovations dans les secteurs de la technologie, de l’informatique à la Chine populaire, ainsi qu’au reste du monde.

On partage les mêmes langues, les mêmes cultures. C’est sur ces bases que les relations technologiques entre les deux rives se développent rapidement.

La rencontre en cours, présage-t-elle d’une rencontre des présidents Ma Ying-jeou et Xi Jinping ?

La rencontre entre les deux hommes n’est pas exclue. Comme l’a dit le président Ma, si toutes les conditions sont réunies, il va rencontrer son homologue chinois.

Récemment, on a parlé de la réunion de l’Apec (Asia-Pacific Economic Cooperation) ; mais le Chine a dit que ce n’est pas possible. Sinon, il y a plusieurs rencontres sur la scène internationale où les deux chefs d’Etat peuvent se rencontrer. Il faut seulement être patient.

Si le président Ma doit aller en Chine rencontrer le président Xi, ça doit être en tant que le président de la République de Chine Taïwan. Peut-être que dans quelques mois, cette occasion va se présenter.

Entretien réalisé par Fulbert Paré

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