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Simon Compaoré parle depuis Paris : « Aujourd’hui, c’est la FEDAP/BC qui est le moteur et le CDP la queue »

Publié le dimanche 9 février 2014 à 22h53min

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Simon Compaoré parle  depuis Paris : « Aujourd’hui, c’est la FEDAP/BC qui est le moteur et le CDP la queue »

De passage en France, l’ex maire de Ouagadougou et nouveau deuxième vice-président du MPP chargé des relations extérieures s’est entretenu avec les Burkinabè sur la situation politique qui prévaut au pays. Et dit sa part de vérité ! Des aveux, des révélations et beaucoup d’interpellations que nous vous proposons en deux parties sous forme de verbatim pour garder à ces déclarations tout leur intérêt historique.

La semaine dernière, deux des principaux responsables du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Christian Roch Kaboré et Simon Compaoré, respectivement président et deuxième vice président chargé des relations extérieures, ont séjourné en France. Le premier, en provenance du Ghana, a passé tout son séjour privé à Paris et en a profité pour s’entretenir avec des personnalités politiques françaises, dont l’ancien ministre de la Défense dans le gouvernement d’Alain Juppé entre 1995 et 1997, Charles Million. Quant à l’ex maire de Ouagadougou, il a participé à une conférence sur la coopération décentralisée le 4 février à Rouen, à l’invitation du président du conseil général de la Seine Maritime, avant de regagner la capitale française le lendemain.

Dès leur arrivée, Lefaso.net avait appris que deux réunions étaient inscrites dans leur agenda : la première, exclusivement réservée aux militants de la section CDP France, devait être animée par Simon Compaoré et la seconde, ouverte à tous les Burkinabè et à ceux qui s’intéressent au Burkina, animée par les deux responsables de MPP. Au final, la seconde réunion a été annulée pour des raisons logistiques et Simon Compaoré n’a pas rencontré que des militants du CDP.

La cause ? A 6000 km, la section France du CDP subit, comme ailleurs, les contrecoups du tsunami politique du 4 janvier avec la démission de 75 membres du bureau politique du parti au pouvoir. Contactés, le nouveau secrétaire général, Joël Compaoré et le responsable de la communication, Herman Ouédraogo, ont refusé de s’exprimer sur ce qui se passe dans la section France du CDP. Certes, rien n’est encore officiel, mais au moins une dizaine de militants, dont certains sont membres du bureau politique, vont quitter le CDP au profit du MPP. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui étaient les maitres d’œuvre de l’organisation des deux réunions prévues.

Pour ceux qui sont restés fidèles au CDP et qui n’ignorent rien des intentions de leurs futurs ex-camarades, il n’est pas question que l’ex maire de Ouagadougou, qui a quitté leurs rangs, rencontre les militants du CDP. Des consignes furent alors données aux camarades pour qu’ils s’abstiennent d’assister à la rencontre. Tout au plus, ceux qui voudraient y aller le feraient à titre personnel, et non en tant que militants du CDP.

En homme politique averti, Simon Compaoré, qui a sans doute eu vent de ce remue-ménage, a d’ailleurs relevé que, n’étant plus qualifié pour convoquer une réunion du CDP, il a souhaité s’adresser à tous ceux qui voulaient le rencontrer. Et c’est seul qu’il s’est présenté dans la soirée du 4 février devant un public venu nombreux l’écouter dans la salle prêtée gracieusement par la mairie du XIXe arrondissement.

Pendant plus d’une heure, l’ex maire de Ouagadougou et es poids lourd du CDP, aujourd’hui deuxième vice-président de Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) est revenu sur le processus qui a conduit à leur démission du parti qu’ils ont créé en février 1996. Les travaux et conclusions du congrès de mars 2012, la composition et le fonctionnement de la nouvelle direction, leurs rapports avec le président Blaise Compaoré, la place de la FEDAP/BC dans la vie politique, la polémique sur l’opportunité de la mise en place du sénat, la révision de l’article 37 de la constitution, etc., Simon Compaoré s’est exprimé sur ces questions avec le tempérament qui est le sien. Ceux qui le fréquentent le disent : c’est un homme total, qui donne l’impression de livrer sa dernière bataille quand il défend une cause.

Pour lui avoir demandé début septembre 2010 à Paris, si la révision de l’article 37 allait réellement renforcer la démocratie burkinabè, il s’en était violemment pris à l’auteur de ces lignes, coupable selon lui de faire partie de ceux qui veulent imposer un modèle unique de démocratie partout sans tenir compte des réalités nationales. Assurément, les temps changent !

Après un exposé qui a duré plus d’une heure, il s’est ensuite prêté aux questions de la salle. « Pour moi le MPP et le CDP, c’est la même chose, et votre but est de sauver le système auquel vous appartenez avec François Compaoré, même si vous avez évité de prononcer son nom », lui a lancé un intervenant, puis d’ajouter : « Si les gens sont descendus massivement dans les rues pour manifester, ce n’est pas uniquement contre la révision de l’article 37, mais c’est pour protester contre la corruption généralisée, les crimes politiques dont les affaires Dabo Boukari et Norbert Zongo, et économiques et la faillite du système judiciaire ». « Ne craignez-vous pas qu’on sorte des dossiers vous mettant en cause dans la gestion du bien public ? », lui a demandé un autre.

En réponse, Simon Compaoré a expliqué qu’il n’y était pour rien dans toutes ces affaires et qu’il était serein s’il devait un jour répondre de faits qui lui seraient reprochés.

Un compte rendu, même détaillé de la rencontre, n’aurait pas restitué toute la saveur des propos tenus par le principal orateur de la soirée du 5 février, qui n’a pas été avare en aveux, révélations et en interpellations. Voici donc, en deux parties, Simon Compaoré. Tel quel !

Première partie : Qu’est-ce qui se passe au Burkina ?

Simon COMPAORE

J’ai l’opportunité aujourd’hui de vous parler et je suis content d’être avec vous parce qu’en mars 2012, j’ai été victime d’un accident grave à Ouagadougou et j’ai eu une quadruple fracture. J’ai failli trépasser et j’ai été évacué ici avec un mes agents de sécurité à l’hôpital Mondor. Durant mon séjour, vous avez été d’une générosité débordante, et quand je revois certains visages ce soir, je frémis, je tremble parce que vous avez été formidables et je voulais vous dire encore merci. Que Dieu nous garde encore ensemble.

J’ai été invité par le président du Conseil général de la Seine Maritime pour animer une conférence sur la coopération décentralisée qui s’est tenue avant-hier [Mardi 4 février] à Rouen. Sur le chemin de retour, j’ai estimé qu’il était de mon devoir de m’arrêter ici pour vous rencontrer et vous livrer un certain nombre d’informations sur la situation politique qui prévaut aujourd’hui au Burkina.

Vous avez lu sur Internet qu’il y a un collège de quatre personnalités présidé par l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo et qui a décrit la situation du Burkina comme étant extrêmement préoccupante où la paix et la tranquillité semblent être menacées. Pour cette raison, ils se sont autosaisis pour essayer de s’impliquer avant que les choses ne se gâtent.

Depuis un certain nombre de mois, on sentait que l’atmosphère était de plus en plus lourde et cela, depuis les réformes politiques que le gouvernement avait voulu initier à travers le CCRP. Cette structure a été mise en place et devait regrouper la majorité, l’opposition, la société civile, les religieux les coutumiers et les travailleurs pour se pencher sur une série de réformes dont la mise en place d’un sénat et la réforme de la constitution, précisément, la révision ou pas de l’article 37.

L’objectif de ces réformes était de faire en sorte que la démocratie soit mieux ancrée au Burkina. Mais vous avez tous suivi que les travaux du CCRP n’ont pas connu l’engouement escompté, puisque une bonne partie de l’opposition n’a pas participé aux travaux, qui ont eu lieu.

Il avait été dit au début des travaux que tous les points non consensuels seront laissés tels quels, seuls les points consensuels seront retenus. Sur l’article 37, immédiatement, sauf le CDP qui était contre tout le monde, on a considéré qu’on ne pouvait pas en discuter. Le CDP souhaitait qu’on en discute pour voir l’éventualité de sa modification, mais comme les règles du jeu au départ étaient claires, on a mis ce point sur le côté en disant qu’on n’en discute même pas.

Puis, on a abordé la création du sénat. Sur ce point, il y a eu de longues discussions et l’église catholique était réticente jusqu’à ce qu’il y ait des intermédiations pour la convaincre d’accepter, ce qu’elle a fini par faire, avec un « mais ». Seulement, ce « mais » ne s’est pas réalisé, et c’est ce qui a amené ses représentants à publier une lettre pastorale que douze évêques ont signée pour décrire la situation et émettre leurs réserves par rapport au sénat.

Après, le CCRP a fait la synthèse des travaux et l’a été envoyé au président Blaise Compaoré, qui, dans les semaines suivantes, a reçu les différentes communautés, catholique, protestante, musulmane, coutumière. A la sortie des ces consultations, vous avez tous suivi qu’il y a eu des problèmes au niveau de certaines communautés. Pour les catholiques, on connaissait leur position, c’est non. Chez les protestants et chez les musulmans, il y a des problèmes.

L’opposition, qui n’avait pas participé aux travaux du CCRP a organisé des marches-meetings, suivies de contre- marches meetings organisée par le CDP. On a senti que les choses commençaient à tanguer et c’est là que trois camarades, Roch Christian Kaboré, Salif Diallo, et moi-même avons demandé à rencontrer le président. Il a accepté nous recevoir, et nous lui avons dit : c’est vrai, l’idée du sénat était née lors de notre congrès de 2009 où nous avions pensé que ça pouvait faire contrepoids à la première chambre, et faire en sorte que les religieux, coutumiers, Burkinabè de l’étranger puissent participer à la production des lois dans notre pays.

Je faisais encore partie de la direction qui a été remplacée lors du congrès de 2012, et je dois avouer qu’à l’époque, on pensait qu’on aurait une majorité confortable dans cette chambre qui allait nous permettre, avec la majorité qu’on a à l’assemblée nationale, de réunir ce qu’on appelle la majorité qualifiée, les ¾, pour modifier la constitution au niveau du congrès. C’est l’idée qu’on avait derrière la tête, mais c’était sans compter avec la vigilance de l’opposition qui a senti le piège venir et qui a dit niet !

Comme ça commençait à tanguer, nous avons dit au président qu’il faut faire attention pour ne pas aller droit dans le mur. Nous lui avons proposé de faire une pause par rapport à l’implémentation du sénat, parce que ce n’était pas encore opérationnel même si c’était dans la constitution. Nous avons suggéré d’ouvrir ensuite le débat avec l’opposition et la société civile qui n’étaient pas d’accord avec cette idée de sénat. Le président nous a écoutés et le lendemain, un communiqué a été publié demandant à ce que le comité de suivi du CCRP fasse le point sur l’opérationnalisation du sénat. En d’autres termes, c’était une façon de faire une pause, et quand le communiqué est sorti, la fièvre est retombée.

A partir de là, nous avons pensé que les choses allaient s’améliorer, mais c’était sans compter avec la volonté de certaines personnes du CDP qui ont voulu coûte que coûte que le sénat soit mis en place, aux forceps et que l’article 37 soit révisé.

C’est vrai, on s’était mis d’accord pour faire ces réformes, mais on n’était pas loin de savoir que ce n’était pas seulement l’opposition politique qui était contre. Je ne sais pas s’il y a des gens qui sont rentrés du Burkina récemment, mais aujourd’hui, je donne ma tête à couper, la vérité est que majoritairement, l’opinion est contre et le sénat et la révision de l’art 37. C’est cela la réalité au Burkina et qui fait que des gens comme moi qui n’avaient pas peur, ont maintenant peur. J’ai peur parce que les stigmates de la violence ne sont pas encore effacés, et j’en sais quelque chose. Je ne veux pas que ça recommence.

Pendant que nous étions en train de faire en sorte que ça n’explose pas, c’est en ce moment que des camarades sont partis à notre insu et à l’insu des instances du parti, contacter Hermann Yaméogo, Ram Ouédraogo, Touré Soumane, Alain Zoubga, Maxime Kaboré et d’autres personnes, pour créer ce qu’ils ont appelé le Front républicain ! C’est quand même une décision importante qui devait pour cette raison faire l’objet de débat au niveau du bureau politique et qu’on recueille l’avis des conseillers politiques que nous étions. Mais, c’est dans les journaux que nous avons appris l’existence de ce Front républicain ! Quels sont ses objectifs et pourquoi faire ? On n’en sait rien. Jusqu’à ce que nous partions du CDP le 4 janvier, on nous a caché le contenu de ce Front républicain alors qu’il y a eu même des textes produits.

Mais qu’est-ce qui s’est passé le 4 janvier 2014 ?

Il s’est passé quelque chose au Burkina qui est plus que de simples défections dont on a l’habitude voir dans les formations politiques. Le 4 janvier, 75 membres du bureau politique ont rendu leur démission du CDP et ce n’est pas rien. Ce sont des défections dans le parti qui gère le pouvoir d’Etat, donc, quand il y a des phénomènes de ce genre, ça ne peut pas laisser les gens indifférents. Et parmi les 75, il y a, entre autres, Roch Christian Kaboré, Salif Diallo et moi même, Simon Compaoré, mais aussi des anciens premiers ministres, anciens ambassadeurs, anciens gouverneurs, hauts commissaires, maires et Directeurs généraux en fonction.

Par respect pour le président, nous lui avons adressé une lettre pour le tenir informé, qu’il ait la primeur sur les raisons de notre départ. C’est après qu’on a remis la lettre à Assimi Kouanda.

Rapidement, certains ont qualifié notre démission de non-évènement, mais dans les 48 heures qui ont suivi, le président ivoirien Alassane Ouattara a envoyé une délégation conduite par le président de l’assemblée nationale, Guillaume Soro, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur Ahmed Bakayoko, et son petit frère ministre chargé des affaires présidentielles, plus l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Burkina. Ils sont venus rencontrer le président Compaoré, la direction du CDP et nous. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit, mais ce qui est ressorti, c’est qu’ils sont inquiets de ce qui se passe, car le moindre trouble peut avoir des répercussions chez eux. Et c’est pour ça qu’ils ils sont venus pour comprendre et voir comment apporter leur contribution.

A suivre

Propos recueillis et retranscrits par Joachim Vokouma
Lefaso.net (France)

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