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Burkina Faso 2014. « Le Rocco », constant dans l’inconstance. Portrait d’un apparatchik en « opposant de gauche » (1/2)

Publié le vendredi 10 janvier 2014 à 23h40min

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Burkina Faso 2014. « Le Rocco », constant dans l’inconstance. Portrait d’un apparatchik en « opposant de gauche » (1/2)

Tout va très vite au sein de la nébuleuse politique qui vient d’émerger au Burkina Faso. Son principal instigateur, Roch Marc Christian Kaboré (RMCK ou « Le Rocco » comme on l’a appelé à Ouagadougou) est à la politique burkinabè ce que le Concorde a été à l’aviation commerciale : il arrive ailleurs avant même d’être parti.

Le dimanche 5 janvier 2014, à la suite d’un entretien avec le président du Faso, il remet sa démission du CDP, le parti présidentiel (cf. LDD Burkina Faso 0402/Mardi 7 janvier 2014). Le mardi 7 janvier 2014, il déclare au magazine burkinabè Fasozine que « pour l’instant », il n’en n’est pas encore au « stade » de la création d’un nouveau parti politique ; il ne sait pas non plus s’il participera à la « marche » de l’opposition le 18 janvier 2014. Le lendemain, mercredi 8 janvier 2014, dans un entretien avec Christophe Boisbouvier pour RFI, il est plus précis : « Je pense que nous nous acheminons vers [la création d’un nouveau parti] » ; il précise même : « Nous serons forcément un parti qui sera de l’opposition ». Quant à la « marche » du 18 janvier 2014, « si je suis là, oui j’irai ».

Quatre jours après le clash avec la direction du CDP, les motivations et la finalité de l’action menée par Kaboré et ses amis ne sont pas encore très claires. Il évoque la nécessité « de la conservation des acquis aussi bien démocratiques, économiques qu’au plan social depuis l’avènement de l’Etat de droit dans notre pays » (Fasozine) ; dit que « tout le monde reconnaît évidemment que le président Blaise Compaoré a réalisé des grandes choses dans ce pays » (RFI) ; revendique que « l’erreur est humaine » (Fasozine et RFI) en « politique et dans tous les domaines » (RFI) ; fait son « mea culpa » (Fasozine et RFI) « au peuple burkinabè sur cette position que j’ai défendu en son temps [« La limitation du nombre de mandats est antidémocratique »] » (RFI) ; affirme que « le moment est venu d’apporter notre modeste contribution au débat » (Fasozine) tout en évoquant « les camarades qui étaient proches de nous » (RFI), ce qui laisse penser que les racines de la fronde sont anciennes ; conteste que ce soit François Compaoré, autrement dit « Monsieur », frère de Blaise Compaoré, qui soit visé par cette rupture mais dit qu’il « ne fallait pas mélanger les serviettes et les torchons ». La « serviette », c’est le CDP, « un parti dont l’objectif est la conquête du pouvoir » ; le « torchon », c’est la FEDAP-BC, « une organisation de masse dont l’objectif est de soutenir les actions du président du Burkina Faso » et dont le principal animateur est… François Compaoré.

On aurait aimé entendre Kaboré s’exprimer sur son compagnonnage avec quelque-uns de ceux qui ont pris la fuite en sa compagnie. Et notamment Salif Diallo dont Kaboré, alors qu’il était le patron du parti, aurait bien voulu prononcer l’éviction du CDP quand l’homme de l’ombre du régime Compaoré prônait une « refondation » du parti tout en dénonçant la « patrimonialisation » du pouvoir.

N’oublions pas non plus que Kaboré a été l’homme qui a exclu du parti ceux qui dénonçaient le « clanisme » du CDP (ils ont, par la suite, créé la Convention nationale pour le progrès du Burkina – CNPB) et que ses querelles avec Salifou Sawadogo, président de l’Union des jeunes du CDP, ont « animé » la vie du parti. L’histoire du CDP se résume d’ailleurs, pour une part essentielle, à ces « ruptures » dont les plus médiatisées ont été celles de Zéphirin Diabré (aujourd’hui président de l’UPC et chef de file de l’opposition politique) et Ablassé Ouédraogo (président du parti Le Faso Autrement).

Le parcours politique de Roch Marc Christian Kaboré est celui d’un homme politique constant dans l’inconstance et que l’on découvre, avec étonnement, en « opposant de gauche » (en référence à l’histoire du PCUS, Parti communiste de l’Union soviétique) après avoir été le chef du gouvernement puis le premier responsable du parti. Kaboré a émergé sur la scène politique burkinabè il y a vingt ans : le dimanche 20 mars 1994 quand Youssouf Ouédraogo lui a cédé la primature et qu’il a été appelé à former son premier gouvernement dès le 22 mars 1994. Kaboré n’était pas un nouveau venu sur la scène politique ; mais il n’appartenait pas au groupe de ceux qui, après avoir conduit la « Révolution » de 1983, avait mené à terme celle de 1987.

Fils d’un banquier (Charles Bila Kaboré, ministre des Finances en 1963-1965 et de la Santé publique et de la Population en 1965-1966), bachelier à 18 ans, titulaire d’un DESS en gestion et d’un certificat d’aptitude à l’administration et à la gestion des entreprises, il s’est retrouvé, à son retour en Haute-Volta (c’est en France, au sein de l’université de Dijon, qu’il a poursuivi ses études supérieures), au lendemain de la « Révolution », embringué dans les luttes politiques et va se retrouver à la direction générale de la Banque internationale du Burkina (BIB).

Il affirmera souvent ne pas être un « politique » de vocation. « Je dois dire que j’ai eu une carrière politique qui n’était pas prévisible. Le déclic est parti de 1989 lorsque le président du Faso m’a demandé d’assumer la fonction de ministre des Transports et des Télécommunications ». En fait, Kaboré a appartenu à l’Union de lutte communiste reconstruite (ULC-R), créée en 1984 (une composante du CNR qui gouvernait le pays depuis le 4 août 1983). L’ULC-R avait pris la suite de l’ULC qui résultait d’une scission, en 1978, au sein de l’Organisation communiste voltaïque (OCV). L’ULC-R a été dirigée par une figure historique de la révolution burkinabè : Valère D. Somé. Le 16 mai 1988, quelques mois après la « Rectification », Kaboré sera un des quatre signataires d’une lettre au BP et au CC de l’ULC-R ; ils y annonçaient leur « désengagement ». L’ULC-R n’avait pas été agréée pour rejoindre le « Front populaire » institué par Blaise Compaoré ; en la quittant, Kaboré devenait ministrable.

Il débutera donc comme ministre des Transports et des Télécommunications avant d’être nommé ministre d’Etat, très rapidement, dès le 10 septembre 1990 (il avait alors 33 ans ; il est né le 25 avril 1957). Il était d’ailleurs l’unique ministre d’Etat du gouvernement. Chargé de la Coordination de l’action gouvernementale à compter du 16 juin 1991, il apparait comme un premier ministre de fait. Pour quelques semaines. Le 26 juillet 1991, il n’y a plus de ministre d’Etat et Kaboré, qui demeure le numéro deux du gouvernement, est nommé ministre chargé de mission auprès de la présidence du Faso. Ce n’est que le 26 février 1992 qu’il récupérera le titre de ministre d’Etat (en compagnie de Hermann Yaméogo et de quelques autres).

Le 20 juin 1992, dans le premier gouvernement formé par Youssouf Ouédraogo, il prendra en charge les Finances et le Plan ; le 3 septembre 1993, il sera chargé des Relations avec les institutions.

Au printemps 1994, Kaboré va accéder à la primature dans un contexte délicat. Il est confronté aux menaces des syndicats qui doivent subir les effets collatéraux d’une dévaluation du franc CFA faite sur mesures pour la Côte d’Ivoire mais pas pour le Burkina Faso, et à une austérité qu’imposent la politique de privatisation et le Programme d’ajustement structurel.

Il devra, déjà, faire face à la délicate recomposition du paysage politique où tout va trop vite trop loin dans la mise en œuvre d’une politique libérale qui provoque des grincements de dents. Dans ce gouvernement, Zéphirin Diabré se voit confier le portefeuille de l’Economie, des Finances et du Plan (mais sans le titre de ministre d’Etat) et Ablassé Ouédraogo celui des Affaires étrangères.

Quelques semaines après sa nomination, en mai 1994, Kaboré va gérer les Deuxièmes assises nationales sur l’économie. Thème : « Stratégie de développement de l’économie nationale dans le contexte de la dévaluation du franc CFA ». C’est Diabré qui va donner le ton : « Les hommes et les femmes de ce pays ont le droit de savoir et d’accepter qu’avec 122 milliards de recettes, on ne peut faire qu’une politique de 122 milliards ». Conclusion : « Il y a trop de revendications irréalistes arc-boutées sur un malencontreux dialogue de sourds entre ceux qui pensent que la caisse est trop pleine et ceux qui savent que la caisse est trop vide ».

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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