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Idrissa Ouédraogo dit "Empéreur Bissongo" : "J’ai toujours assez de jus pour une carrière"

Publié le samedi 29 janvier 2005 à 00h00min

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Son titre « Bissongo lebg wa » sorti en 1972 allait faire de lui un des artistes célèbres de notre pays. De nos jours, même dans le milieu du show-biz, ils ne sont pas nombreux à connaître son identité à l’état civil, mais plutôt son nom d’artiste « Empereur Bissongo ». .

Idrissa Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a également connu une certaine notoriété avec « Les léopards » de Bobo, qui ont écrit de belles pages de la musique burkinabè dans les années 1970-1980. Avec sa cinquantaine d’années, « l’Empereur Bissongo », qui dit avoir les capacités de produire au moins deux albums tous les deux ans pendant 5 à 6 ans sans interruption, pour peu qu’on le soutienne, est toujours une véritable bête de la scène. L’homme qui nous a rendu visite le 19 janvier 2005 a de grands projets qu’ils compte réaliser depuis son « fief », de Fada Gourma.

Quel est votre parcours sur le plan musical ?

• Un parcours un peu long : tout a commencé à Fada-N’Gourma où le regretté Bassavé séjournait. Il devait se produire lors d’une soirée du lycée, à l’époque collège. A 15 jours de l’événement, son bassiste l’a abandonné. Comme c’était un de mes voisins, j’assistais chaque fois à ses répétitions. Bassavé m’a remarqué et il m’a alors initié à la guitare puisque la musique me plaisait beaucoup. Il m’a formé en 12 jours pour que je puisse remplacer son bassiste lors du bal de fin d’année du collège.

A l’âge de 18 ans, je me suis engagé dans l’armée, où j’ai trouvé des collègues avec qui nous avons formé a "Tout à coup jazz" à Bobo. C’était un orchestre qui jouait de manière spontannée. De "Tout à coup jazz" on était devenu "Les bérets rouges" avec des éléments comme le Prince Palé, le regretté Dembélé Christophe...

Lorsque ce groupe s’est éteint, je me suis retrouvé au niveau du "Corps para" avec comme chef le regretté commandant Moumouni Ouédraogo, un grand frère à moi puisque je suis de Ouahigouya, même si ma mère est native de Fada.

J’ai parcouru tout Bobo à la recherche de bons musiciens pour former un nouvel orchestre. Aujourd’hui, certains de ceux que j’ai approchés sont toujours dans l’armée. C’est avec tous ces hommes que nous avons créé l’orchestre "Les léopards", en septembre 1970. Je fus le chef d’orchestre jusqu’à mon départ de l’armée en 1985. J’ai quitté volontairement l’armée, contrairement à ce que d’aucuns penseront. D’ailleurs, c’est bien stipulé sur mon dossier de départ : "à la demande de l’intéressé".

On sait que le nom Bissongo tire son origine d’un de vos morceaux fétiches ; mais s’agissant du titre d’"Empereur", d’où vous est-il venu ?

• Le nom bissongo vient effectivement d’une de mes chansons célèbres : "Bissongo lebg wa", pour dire à nos compatriotes aventuriers de revenir à la maison parce que nous également , les artistes, voyions déjà certaines choses arriver.

A notre temps il y avait beaucoup de vedettes et pour se faire entendre, ce n’était pas facile. Il y avait entre autres le prince "Maurice et les Mauricettes", le prince Palé, le prince Edouard Ouédraogo. Le terme Empereur m’a été attribué par les médias, surtout par feu le journaliste Casimir Koné de Bobo parce qu’après plusieurs compétitions, "Les Léopards" venaient toujours en tête.

Et nous brillions partout où nous nous produisions. Et vu que j’étais déjà prince du Yatenga, les médias ont trouvé que je n’étais plus seulement un prince, mais un empereur. Comme la chanson "Bissongo" cartonnait dans les années 1970 sur toutes les radios, on m’a surnommé Empereur Bissongo. Voilà, c’est un surnom fabriqué par les médias.

Quelle est la discographie de "l’Empereur Bissongo" à ce jour ?

• Quand on parlait des Léopards, c’était de la discographie de l’Empereur Bissongo. J’ai donc dans mon bac à compositions une centaine de titres, en plus de trois disques. Il y a deux ans, j’ai réalisé un album baptisé "Paramanga", qui veut dire "joie du cœur". Malheureusement l’œuvre est toujours dans l’anonymat, faute de promotion.

Comment se fait-il qu’un "empereur" du Yatenga comme vous se décide à recourir au gîte de ses esclaves à Fada ?

• Je suis un ambassadeur du Yatenga, chargé de la formation des gourmatché au pays gulmu. C’est donc une chance pour ces esclaves de m’avoir près d’eux. Ce n’est pas pour rien qu’en plus du mooré, je compose mes chansons en gulmacéma, même en haoussa et en djerma.

Justement les chansons en haoussa, djerma proviendraient de votre aventure au Niger où d’aucuns disent que vous vous êtes fait respecter. Est-ce exact ?

• Ah oui, effectivement, c’est très exact. Je garde d’ailleurs un très bon souvenir de ce pays frère. En effet, je suis parti au Niger sur invitation. Je devais donc faire un concert avec Aïcha Koné au Palais des congrès. Ma prestation fut un succès éclatant et des autorités m’ont contacté pour une tournée à l’intérieur du Niger. Durant celle-ci, à mon arrivée à Zinder, on m’a demandé de rester pour former un orchestre. Ce que j’ai fait et le groupe s’appelait "Zama lahiya".

De Zinder, cet orchestre est venu à Niamey dans le maquis de celui qui m’avait sollicité la formation du groupe. Par ce canal, j’ai pu former une cinquantaine de jeunes nigériens et pour ne rien vous cacher, j’ai été membre du Bureau national des artistes musiciens du Niger. On me faisait tellement confiance que toutes les portes m’étaient ouvertes.

Je profite de cette opportunité pour dire un grand merci au peuple nigérien pour m’avoir adopté, car nullement, à aucun moment, on m’a considéré comme un étranger. Cela m’a permis de lancer des soirées dansantes, des concours de musique tels que les "Dangourmu". Et c’est après cinq années et demie que je suis revenu à Fada.

On sait qu’à l’image de Bassavé, vous avez des enfants (dont Bebey, un excellent guitariste), qui ont suivi vos pas. Est-ce que vous arrivez à tirer profit de cette expertise familiale ?

• Bien sûr. Jusqu’à présent je suis très fier d’eux. Il y a Bebey, Mohamed, de même que toi aussi Cyr, qui n’as pas voulu suivre entièrement ce chemin. Parlant de Bebey, d’aucuns disent qu’il est parmi les meilleurs guitaristes du pays et cela me fait énormément plaisir.

En plus, il a eu une bonne école et est très ouvert à plusieurs styles musicaux. Il est donc capable de relever le défi de la musique nationale un jour. Mais pour s’épanouir, il faut également la chance, en plus du talent.

Me concernant, je n’ai pas encore eu cette chance de bénéficier de ce coup de pouce susceptible de me donner une carrière à la hauteur de mes attentes. Cependant, je remercie les autorités de ce pays dont le ministre de la Culture, et la presse, qui nous aident à leur manière.

Ils ne sont pas nombreux les artistes qui acceptent de faire carrière dans les provinces. A Fada où vous êtes devenu le seul vétéran après la disparition du grand chansonnier Issaka Thiombiano, comment arrivez-vous à rythmer musicalement la vie des Fadalais ?

• Ce n’est pas facile d’évoluer en province, mais les talents peuvent se trouver partout ou s’épanouir partout. Je suis né à Fada, même si j’ai beaucoup séjourné dans plusieurs autres villes, du pays, je reste attaché à Fada. Nous animons les mariages, baptèmes et autres cérémonies . Je remercie les autorités communales de la ville qui nous appuient considérablement.

L’orchestre Tamayé que j’ai créé depuis de longues années a été maintes fois lauréat de la Semaine nationale de la culture (SNC), du Prix national de la chanson moderne, etc. C’est maintenant que j’ai dit aux enfants de continuer seuls dans le domaine des compétitions.

Pour conclure, nous nous efforçons de faire vivre musicalement et culturellement Fada. C’est pourquoi j’ai salué l’implantation de Seydoni Production qui va permettre aux talents des provinces de bénéficier des mêmes chances que ceux de la capitale.

En dépit de votre âge, vous êtes vraiment une bête de la scène ; quel est votre secret ?

• Lorsque les gens me voient sur scène, beaucoup se demandent si j’ai bu un litre de whisky ou si je me suis "drogué".

Ma drogue, c’est la musique et le public. Quand j’entends un bon son, je suis vite entraîné. Jusqu’à présent je ne fume pas, je ne croque pas la cola et je ne prends pas d’alcool. L’envie perpétuelle de danser m’est venue depuis l’épisode des "Lépoards" et je ne peux plus abandonner. En plus, on doit bouger lorsque le rythme est dynamique ; même ceux qui font le reggae ne sont pas inertes sur scène.

Qu’est-ce qu’il faut à l’Empereur Bissongo pour être satisfait dans sa carrière musicale ?

• Je veux un coup de piston, qui m’amène réellement plus loin que là où je me trouve aujourd’hui. Si ce sont les chansons, je peux faire deux albums par an et ce pendant 5 à 6 ans sans interruption. Celui qui osera m’accompagner ne sera pas déçu.

Avez-vous d’autres projets ?

• C’est de disposer d’un centre, voire d’une école de musique à Fada pour encadrer les jeunes. J’ai quitté l’armée uniquement pour faire la musique ; il ne faudrait donc pas que je sois payé en monnaie de singe. En effet, je suis titulaire d’un brevet technique en hôtellerie de Montpellier. C’est pour vous dire combien j’aime la musique !

Aujourd’hui j’ai des enfants qui sont en formation dans une école de musique, pour ensuite servir un jour de formateurs aux jeunes de Fada. Donc, je demande à tous ceux qui veulent me soutenir de ne pas hésiter un seul instant à œuvrer à ce que cette école puisse voir le jour à Fada.

"Empereur Bissongo" a-t-il un message ou une recommandation particulière ?

• S’il y a un message à faire, c’est au sujet de notre musique. Elle est en danger parce que si nos jeunes rappeurs ne se resaisissent pas pour intégrer au moins nos valeurs culturelles dans ce qu’ils font, c’est grave. Ce sont eux qui sont appelés à nous relever et à veiller sur le patrimoine musical.

Certes ils veulent assurer leur pain quotidien avec une marque commerciale, mais qu’ils pensent aussi à une musique culturelle. C’est pourquoi je loue déjà l’œuvre du groupe Faso Kombat. Je conclus en formulant mes meilleurs vœux de santé à tous les Burkinabè, notamment à nos plus hautes autorités. Que Dieu les garde pour que notre musique soit portée au firmament.

Entretien réalisé par Cyr Payim Ouédraogo
L’Observateur Paalga

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