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Larlé Naba Tigré : « Faire la promotion des biocarburants, c’est contribuer à l’indépendance énergétique et au développement du Burkina »

Publié le dimanche 5 janvier 2014 à 16h46min

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Larlé Naba Tigré : « Faire la promotion des biocarburants, c’est contribuer à l’indépendance énergétique et au développement du Burkina »

A la fois, chef coutumier ouvert et progressiste, député populaire, agriculteur moderne et pragmatique, le Larlé Naba Tigré est un véritable agent de développement de son pays. En l’espace de quelques années, il est devenu un acteur clé de la promotion des bio-carburants et des bioénergies, destinées à termes à réduire la facture énergétique dans nos Etats. Les échanges à bâtons rompus que nous avons eus avec lui ont porté entre autres sur la récente conférence à Ouagadougou sur les biocarburants et les bioénergies ; son engagement pour la filière qui reste confrontée à de nombreuses contraintes. Interview exclusive.

Lefaso.net : Vous avez été un des acteurs de la quatrième conférence sur les biocarburants et les bioénergies que Ouagadougou a abrité du 21 au 23 novembre dernier. Quel bilan faites-vous globalement de cette rencontre ?

Larlé Naba Tigré : Cette conférence sur les biocarburants et les bioénergies a été une grande rencontre qui a réuni des représentants d’une vingtaine de pays dont 281 personnalités. Les participants étaient entre autres des promoteurs des biocarburants et bioénergies ; des chercheurs ; des universitaires ; des décideurs politiques et financiers. Etant le premier au Burkina à lancer une filière de biocarburant, c’est-à-dire le jatropha, j’ai été très comblé et très satisfait de ma participation à cette conférence.

Lefaso.net : Quelle a été votre participation à cette conférence ?

Larlé Naba Tigré : On m’avait sollicité pour être membre du présidium d’une table ronde. C’est à ce titre que j’ai participé à la conférence. Nous avons beaucoup échangé, avec les participants qui étaient une soixantaine, sur le thème de la table ronde, à savoir les défis et les contraintes de la filière jatropha.

Lefaso.net : Parlez-nous des contraintes de la filière

Larlé Naba Tigré : Les contraintes sont nombreuses. Il y a le problème de la formation des acteurs. L’autre difficulté, c’est le financement. Les institutions bancaires de la place ne proposent pas encore de crédits. Or, agir dans le secteur nécessite beaucoup de moyens matériels et financiers. C’est pourquoi, il nous faut l’accompagnement de l’Etat et des partenaires techniques et financiers. Sans cela, c’est vraiment difficile pour les opérateurs. Notre filière ne bénéficie pas encore d’un grand soutien au niveau politique. Les opérateurs seuls ne peuvent pas assurer la promotion et le développement de la filière jatropha au Burkina. Le soutien de l’Etat et des partenaires au développement est vraiment indispensable.

Lefaso.net : Qu’attendez-vous de l’Etat comme soutien ?

Larlé Naba Tigré : Au niveau de l’association BELWET, les acteurs de la filière attendent non seulement des subventions de l’Etat mais aussi des financements pour les structures. L’Etat peut par exemple mettre en place des crédits appropriés pour accompagner les acteurs de la filière. Ailleurs, comme en Côte d’Ivoire, il y a des crédits adaptés aux plantations des arbres tels le café, le cacao ou l’hévéa. C’est ce qu’il nous faut ici aussi, c’est-à-dire des crédits adaptés, avec un différé d’au moins trois ans ; étant donné qu’une plante ne peut pas bien produire avant trois ans.

Lefaso.net : Mais, pour que l’Etat subventionne la filière, il faut que son apport à l’économie soit réel et avéré. ..

Larlé Naba Tigré : Ce secteur est très porteur pour le développement du pays dans la mesure où au Burkina Faso, nous importons plusieurs milliards de FCFA en engrais chimiques pour améliorer non seulement la production de nos plantes et cultures céréalières, mais aussi nos cultures de rente tel le coton. Plusieurs études ont démontré la richesse de l’engrais biologique fait à base du tourteau du jatropha. Très riche en termes d’azote et de phosphore, l’engrais du tourteau du jatropha n’a rien à envier à l’engrais chimique. Cet engrais biologique est plus adapté à nos sols. En plus du tourteau, il y a l’huile de jatropha qui peut servir à produire du biocarburant qui reviendra moins cher que les hydrocarbures importées chaque année à coût de milliards de francs. Donc, l’intérêt de promouvoir cette plante est avéré. Au niveau de l’Association Belem Wend Tiga (Belwet), nous avons créé avec le soutien de la Banque Ouest-africaine de développement (BOAD) et de l’Ambassade de France, une unité pilote d’activités intégrées. L’unité que nous avons inaugurée le 16 novembre dernier est implantée à Koyoudou, village de la province de Kombissiri. C’est un complexe de développement intégré au niveau local. Installé sur une superficie de 10 hectares, le complexe dispose de 4 machines de production et d’ensachage d’eau qui fonctionne à partir d’un groupe électrogène hybride de 60 KVA. En plus de la ligne de production et d’ensachage d’eau minérale, il y a un dispositif de production de glace. Il est par ailleurs pratiqué sur le site du maraîchage. Nous faisons également de l’agroforesterie qui est une association de céréales ou de légumes avec des arbustes. Au total, ce sont des dizaines d’emplois qui sont ainsi créés, ce qui contribue au développement du village. Je parlais tantôt du coût des hydrocarbures pour notre pays. Notre unité ne consomme que 3,75 litres d’huile par heure. Avec le gas-oil, il faut 12 litres par heure. Le litre de gas-oil avec la subvention de l’Etat coûte 656 francs CFA, contre 600 F CFA pour le litre d’huile de jatropha qui ne bénéficie d’aucune subvention de l’Etat. Si vous faites les comparaisons, vous verrez bien que les biocarburants reviennent nettement moins chers que les hydrocarbures. Donc, l’intérêt du jatropha n’est plus à démontrer et la culture de cette plante mérite à mon sens d’être soutenue pour sa contribution au développement du pays.

Lefaso.net : D’aucuns pensent que les cultures des plantes comme le jatropha appauvrissent les sols, entraînent une régression des productions céréalières et rendent les paysans plus pauvres. Apparemment, ça ne semble pas être le cas chez vous…

Larlé Naba Tigré : Nous, au niveau de BELWET, nous faisons une combinaison des cultures. Nous ne faisons pas de la monoculture du jatropha, mais la promotion de la culture associée. Dans la vie, il faut avoir des choix. Et notre choix, c’est l’agroforesterie, la culture associée qui combine jatropha et produits vivriers. Mener les deux cultures permet d’améliorer le couvert végétal, d’enrichir les sols avec l’humus des arbres et donc d’augmenter la production céréalière. La culture du jatropha ne doit donc pas être considérée comme un frein aux autres cultures, mais comme un adjuvant.

Lefaso.net : Pour revenir aux travaux de la conférence, il a était question du bilan des 10 ans des cultures du jatropha. Peut-on dire aujourd’hui que l’âge d’or de la plante est derrière ou devant nous ?

Larlé Naba Tigré : L’âge d’or est devant nous. Parce que nous ne sommes qu’au début de l’expérimentation et beaucoup de villages burkinabè ignorent encore l’existence du jatropha. Mais il faut noter que nous avons près de 65 000 producteurs de jatropha.

Lefaso.net : 65 000 producteurs au niveau national ?

Larlé Naba Tigré : Non, au niveau seulement de Belwet seulement. Nous sommes dans toutes les régions du Burkina. Il n’y a pas une région du Burkina où on n’a pas de producteurs. On a des producteurs partout, de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud. Mais nous ne pouvons pas aujourd’hui savoir exactement le nombre de personnes qui demeurent constantes dans cette production parce que tout simplement on n’a pas les moyens pour reprendre nos pas pour savoir qui est parti ou qui est resté. Il y a eu des abandons.

Lefaso.net : A combien achetez-vous le kilogramme de jatropha produit ?

Larlé Naba Tigré : Le prix d’achat du kilogramme du jatropha bord champ est de 100 F CFA. Il n’y a pas encore une table filière qui donne un prix unique national.

Lefaso.net : Vous êtes parmi les pionniers dans la filière du jatropha au Burkina. Comment êtes-vous venu dans ce secteur ?

Larlé Naba Tigré : Pour moi, c’est une continuité parce que j’étais déjà producteur. J’ai déjà été primé par le Chef de l’Etat à la neuvième édition de la journée du paysan. J’étais le meilleur producteur national de fourrage à Gaoua en 2004. C’est en 2008 que j’ai commencé la plantation du jatropha. Juste un an après avoir découvert en 2007 ses valeurs avec des Allemands qui étaient venus faire sa promotion et avaient fini par abandonner à cause de la crise économique de l’Europe. Je suis allé en Allemagne en janvier 2008 visiter leur usine. Au retour en février 2008, j’ai commencé la plantation du jatropha.

Lefaso.net : Est-ce une activité rentable ?

Larlé Naba Tigré : Les gens ont tendance à dire que le jatropha n’est pas rentable. Mais, moi je pense qu’il est rentable parce qu’il ne faut pas perdre de vue sa contribution à l’indépendance énergétique du pays. C’est un combat qu’il faut mener. L’on ne doit pas ignorer non plus l’indépendance en matière de fertilisation de nos sols. Nous sommes un pays agricole, nous devons travailler à produire nos intrants agricoles, au lieu de les importer. C’est une filière qui crée des emplois au niveau des producteurs. Avec les revenus que ces producteurs gagnent, ils sont en mesure de soigner leurs enfants, de les scolariser, d’organiser des événements comme les mariages ou des funérailles. Grâce à la culture du jatropha, ils ne sont plus obligés de vendre leurs céréales pour faire face à leurs dépenses.
Ce sont les gens pressés, ceux qui veulent planter aujourd’hui et récolter demain, qui disent que le jatropha n’est pas rentable. Sans oublier ces pesanteurs socioculturelles qui interdisent la plantation des arbres. On disait que celui qui plantait un arbre mourait avant que l’arbre ne grandisse et donne des fruits. On ne pensait pas aux générations à venir, à la progéniture. De nos jours, les mentalités ont beaucoup évolué et nous ne devons plus être pour des solutions courtes et rapides. Nous devons être pour des solutions qui traversent des générations. Pour le jatropha, quand l’on plante, il faut attendre au minimum 4-5 ans pour commencer à bien récolter. Imaginez que vous avez 1000 pieds de jatropha dans votre champ et qui peuvent donner chacun 12 Kg. Si vous multipliez 12 Kg par 1000, cela fait 12 000 Kg, soit 12 tonnes. Avec 12 tonnes vous avez 1 200 000 F, si vous multipliez 12 000 par 100 F CFA. 1 200 000 F ici au Faso, ce n’est pas rien. Avec cet argent, vous pouvez payer la scolarité de vos enfants, régler des ordonnances. Donc, l’on ne peut pas dire que le jatropha n’est pas rentable.

Lefaso.net : Quel est votre chiffre d’affaires ?

Larlé Naba : Au niveau de BELWET, j’avoue que nous ne sommes qu’une unité pilote qui est endettée sur le plan financier. Comme vous le savez, en industrie, il faut beaucoup investir pour espérer avoir une certaine rentabilité. Bon an mal ans, nous sommes à 30-40 millions comme chiffre d’affaire annuel.

Lefaso. Net : Faites-vous du social à Belwet ?

Larlé Naba : Bien sûr. J’ai hérité cela de mon père qui faisait aussi beaucoup du social comme mon grand-père. Certes je suis d’une autre génération avec d’autres réalités, d’autres relations qui ne sont pas celles de mon père ou grand père. En tant que responsable social, c’est un devoir de faire du social. C’est une mission à laquelle, je ne peux pas me soustraire. Ce qui fait que quelques fois je suis un homme incompris, certains pensant que je suis bourré d’argent et que je ne sais quoi en faire. Alors que ce n’est pas du tout cela.

Lefaso.net : Quelles sont vos relations avec les autres acteurs de la filière ?

Larlé Naba Tigré : Nous avons vraiment une collaboration pacifique. Il n’y a pas de problème particulier entre nous. Chacun se débrouille tant bien que mal et on se voit souvent dans les rencontres organisées au niveau du ministère de l’énergie.

Lefaso.net : Y- a –t-il une structure qui vous regroupe, vous acteurs des bioénergies ?

Larlé Naba Tigré : Nous avons une structure qui a été mise en place depuis près de 3 ans mais qui n’est pas fonctionnelle. Nous avons déploré cette situation parce que cela peut expliquer nos difficultés.

Lefaso.net : Qu’est-ce qui est à l’origine de ces difficultés ?

Nos difficultés sont peut-être dues au fait que c’est une filière novatrice. Vous savez, les novateurs n’ont pas toujours été compris par l’administration ou par leurs contemporains. C’est avec le temps que les gens, après des réalisations physiques, comprennent certaines choses. Il y a des personnes, vous avez beau leur parler de quelque chose, elles ne croient que lorsqu’elles ont touché du concret. Quand elles voient effectivement que l’innovation règle des problèmes, résout des préoccupations, des difficultés, elles commencent à s’intéresser. Hier beaucoup ne croyaient aux biocarburants. Mais, aujourd’hui, les choses ont évolué favorablement. Des grandes sociétés comme la SONABEL ont souhaité visiter nos installation de BELWET-KOOM pour voir comment nous libérons de l’énergie pour faire fonctionner l’usine et même donner de l’électricité aux populations environnantes. C’est un rêve parce qu’il y’a des populations en ville qui ne peuvent même pas avoir l’électricité chez elles. Mais, dans un village, des habitants en disposent. Et avec la SONABEL nous sommes en train de voir dans quelle mesure nous pouvons produire des quantités importantes d’énergie que nous pourrons céder à la société pour alimenter des unités provinciales ou son réseau central.

Lefaso.net : Vous allez donc revendre de l’énergie à la SONABEL…

Larlé Naba Tigré : Ce sera une fierté d’arriver à le faire un jour. Peut-être dans deux ans ou dans un an et ce sera du carburant made in Burkina. Si on arrive à le faire, beaucoup de devises seront préservés parce que l’on ne fera plus sortir des milliards de francs pour importer des hydrocarbures. Selon des statistiques de 2008, ce sont près de 300 milliards qui ont été destinés à l’achat du carburant et d’huile similaire au Burkina Faso. Et si nous arrivons à produire seulement 10%, cela fera 30 milliards de préservés et distribués à des Burkinabè. 30 milliards préservés du budget de l’Etat pour les Burkinabè, ce serait vraiment un grand pas pour un développement endogène. Pour moi, le Burkina émergent passe forcément par le développement de l’agriculture et de l’élevage.

Lefaso.net : Le Burkina émergent passe aussi par le développement de l’énergie…

Larlé Naba Tigré : Il faut développer l’énergie et surtout du biocarburant. Parce que vous ne pouvez pas trouver un seul Burkinabè qui peut avoir suffisamment de champs pour produire le bio-carburant pour 1000 Burkinabè. Même si les Burkinabè ne font rien que de la culture associée, c’est des milliers de Burkinabè qui vont en bénéficier pour circuler et qui vont avoir des revenus complémentaires. Je crois que c’est cela le développement.

Lefaso.net : Et l’énergie solaire ?

Larlé Naba Tigré : J’ai du respect pour le solaire. Mais le solaire ne peut pas créer de la fumure organique. Ce sera encore un groupe de personnes étrangères ou bien un groupe de Burkinabè qui va en bénéficier. L’énergie solaire peut se produire sans des emplois pour des Burkinabè ou sans qu’ils ne mettent un franc dans la production. Des étrangers peuvent venir le faire. Or, ces étrangers s’ils viennent pour produire du bio-carburant ici, il seront obligés de recruter des Burkinabè.

Lefaso.net : Est-ce que vous avez le soutien du ministère de l’énergie ?

Larlé Naba Tigré : Le ministère de l’énergie nous soutient moralement, mais nous n’avons pas encore reçu quelque chose du ministère, ou d’un ministère. Mais, le Chef de l’Etat encourage la filière qui ne bénéficie pas de soutien financier. Mais, nous ne désespérons pas car, faire la promotion du jatropha, c’est contribuer au développement du pays.

Interview réalisée par Grégoire B. BAZIE et Retranscrite par Eric Ouédraogo

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