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Paris prône encore le « développement » quand les pays africains se veulent bientôt « émergents ».

Publié le lundi 16 décembre 2013 à 18h46min

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Paris prône encore le « développement » quand les pays africains se veulent bientôt « émergents ».

Quel chef d’Etat africain n’annonce-t-il pas que son pays sera « émergent » à l’horizon 2020 ou 2025 ? Reprenez leurs discours et dressez la liste de ceux qui ne proposent pas cette émergence comme perspective plus ou moins proche. Il n’y aura pas grand monde !

Lénine disait que le communisme c’était « les soviets + l’électricité ». L’émergence c’est, d’abord, « l’électricité + internet » et il faut bien reconnaître qu’en Afrique - où les fondamentaux font encore défaut : eau potable pour tous, éducation gratuite, santé gratuite, etc… - les producteurs d’électricité font de plus en plus souvent appel aux délestages, à tel point que le mot est entré dans le langage quotidien des populations ; quant à internet, il faut trop souvent des trésors de patience pour y accéder. Même la téléphonie mobile n’est pas fiable.

Comme me le disait une étudiante burkinabè en géographie : « Quand nous serons émergents, les émergents seront super-émergents ; le gap technologique et social n’est pas prêt d’être comblé entre nous et le reste du monde ». Depuis que le mot « émergent » a fait son apparition dans le vocabulaire géopolitique, le développement n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Et, de ce fait, l’aide au développement (désormais nécessairement « durable ») n’est plus perçue comme un outil de lutte contre le sous-développement, cette dernière caractérisation étant même devenue obsolète. Tout comme le mot « coopération » est devenu ringard.

Pascal Canfin est ministre délégué au Développement. Il est, avec Cécile Duflot, le seul écologiste du gouvernement français. Un look de premier de la classe et rien d’un homme politique ou plus exactement d’un politicien. Economiste, journaliste à Alternatives économiques, député européen en 2009, il a une vision « écologique » du développement… durable (cf. LDD France 0600/Vendredi 18 mai 2012). Ce qui n’est pas un mal ; mais peut être une illusion. Il ambitionne ainsi de mettre en place « des inspecteurs des impôts sans frontières » afin d’aider, dit-il, « les administrations du Sud à analyser des cas complexes d’optimisation fiscale » et veut « obliger les multinationales qui extraient des ressources à dire quels chemins financiers elles empruntent » afin de « déceler les montages qui privent les pays du Sud de ressources fiscales ».

Il avait aussi, lorsqu’il a été nommé, promis d’inscrire « dans la loi les orientations de notre politique de développement ». « Une première » avait-il dit. Objectif : transparence. Les assises de la solidarité ont ainsi, pendant quatre mois, débattu des voies et moyens à emprunter pour « rénover la politique française de développement ».

Ces travaux de réflexion se sont achevés fin février 2013. Des représentants des différents ministères concernés, des experts de l’Agence française développement (AFD), des membres des collectivités locales, des chefs d’entreprises, des ONG… ont planché sur la question. Ils ont débuté leurs travaux après que la Cour des comptes ait publié, en juin 2012, un rapport particulièrement critique sur l’aide française au développement. Rapport qui dénonçait des objectifs « peu réalistes », « trop nombreux et insuffisamment hiérarchisés », des « priorités géographiques floues » faisant la part belle aux « émergents » au détriment des pays africains, « coûteuses pour le budget de l’Etat avec un effet incertain », une mauvaise articulation entre les différents ministères (Economie, Affaires étrangères et AFD), un abandon de l’objectif de 0,7 %, etc.
Canfin dira de ce rapport qu’il porte un « jugement sévère » qui ne lui « semble pas injuste » et doit permettre de mettre fin à « la jachère » que pratique l’aide publique au développement. Elle ne vise, dit-il, qu’à « faire du chiffre » pour se rapprocher de l’objectif fixé de 0,7 % (alors que le taux est actuellement de 0,46 % mais très au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE : 0,29 %), ce qui « a conduit à privilégier des prêts à des pays qui n’en n’ont pas vraiment besoin ». Il entendait par ailleurs, dès son entrée au gouvernement, remédier au déficit en matière « de gouvernance et d’évaluation ».

Hier, mercredi 11 décembre 2013, Canfin a donc présenté en Conseil des ministres son projet de loi d’orientation et de programmation qui doit permettre de « tourner définitivement une page de l’histoire de la politique de développement liée à la gestion post-coloniale ». Il promet une aide publique au développement « plus démocratique » et « plus efficace » dès lors que, tous les deux ans, elle fera l’objet d’un débat au Parlement.

Par ailleurs un « Conseil national de développement et de solidarité internationale » va être institué afin d’organiser « une consultation régulière de l’ensemble des acteurs du développement »*. Il s’agit aussi de recentrer cette aide. 16 pays ont été choisis, tous africains : Bénin ; Burkina Faso ; Burundi ; Centrafrique ; Djibouti ; Comores ; Ghana ; Guinée ; Madagascar ; Mali ; Mauritanie ; Niger ; RDC ; Sénégal ; Tchad ; Togo. Ces 16 pays seront les bénéficiaires de la moitié des dons et des deux tiers de ceux de l’AFD.

On notera qu’un seul pays anglophone est concerné : le Ghana qui, il est vrai, est enclavé dans une zone francophone et de pays membres de l’UEMOA. Tous les pays de l’UEMOA sont d’ailleurs inscrits sur cette liste à l’exception de deux d’entre eux : le mieux loti, la Côte d’Ivoire ; le plus « pourri », la Guinée Bissau. Paris fait aussi l’impasse sur les pays pétroliers d’Afrique centrale à l’exception notable du Tchad (sans doute parce qu’il est aussi sahélo-saharien).

Ces 16 pays vont bénéficier de la moitié des dons de la France et des deux tiers de ceux de l’AFD. Seize sites internet vont être mis en place pour permettre la transparence de cette aide à l’exemple de ce que Canfin a réalisé pour le Mali. Une batterie de 30 indicateurs va également être instituée pour analyser l’impact économique et social des projets. Par ailleurs, désormais, 85 % de l’effort financier en matière de développement seront concentrés sur les pays d’Afrique subsaharienne et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée.

Ce recentrage sur l’Afrique est, sans doute, un « effet Mali ». Ceux qui pourraient s’offusquer de figurer dans cette liste des « Aidés du cœur » pourront toujours se référencer aux propos de François Hollande qui a affirmé « la nécessité de soutenir les pays les plus pauvres dans le monde mais aussi les pays émergents car leur croissance est également la nôtre ». Pour les « émergents », Canfin prône une aide visant à promouvoir « une croissance verte et solidaire en y favorisant notamment des partenariats économiques ».

La France est, avec 9,35 milliards d’euros d’aide au développement le quatrième contributeur en volume derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne**, assurant ainsi 10 % des aides publiques dans le monde. C’est dire que les enjeux sont considérables. Le projet de loi sera présenté à l’Assemblée nationale au cours du premier trimestre 2014 et les ONG sont déjà en train de fourbir leurs critiques, saluant la démarche mais stigmatisant ses insuffisances.


* Cette idée d’associer la « société civile » à la politique publique au développement est une vieille idée. Dans les années 1980-1990, un « comité des sages » avait été mis en place. Le 10 février 1999, un Haut conseil de la coopération internationale (HCCI) avait été créé pour « favoriser une concertation régulière entre les différents acteurs de la solidarité et de la coopération internationale ainsi que de sensibiliser les populations aux enjeux de la coopération ». Il regroupait 45 personnalités : des députés, des sénateurs, des membres du Conseil économique et social, des maires, des conseillers généraux et des conseillers régionaux, des membres d’ONG, tous désignés par le premier ministre à l’exception des 2 députés et des 2 sénateurs désignés par leur assemblée respective. Ce HCCI, qui a été présidé par Jean-Louis Bianco puis Jacques Pelletier et Charles Josselin, a été dissous le 19 mars 2008. Pas assez souple, pas assez représentatif, pas assez économe en moyens.

** Il n’y a cependant que cinq pays qui sont au-dessus de la barre des 0,7 % du Revenu national brut en ce qui concerne l’aide au développement : le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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