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Apollinaire Compaoré, Cessé Komé et la 3ème licence de téléphonie mobile au Mali.

Publié le lundi 18 novembre 2013 à 23h22min

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Apollinaire Compaoré, Cessé Komé et la 3ème licence de téléphonie mobile au Mali.

Sauf arrangement amiable, cela risque fort d’être un duel de titans. De titans venus de nulle part mais désormais présents partout. Des « self-made-men », dit-on, qui se sont faits tout seul et sont devenus des parrains du monde des affaires non seulement chez eux mais également en Afrique de l’Ouest. Un monde des affaires qui est une nébuleuse au sein de laquelle il est de plus en plus difficile de discerner les connexions financières, technologiques mais aussi politiques. Ce qui arrange finalement tout le monde… des affaires et de la politique.

L’un s’appelle Appolinaire Compaoré. Il est Burkinabè. Ceux qui ont écrit sa légende racontent qu’il « a quitté Garango [au Sud-Est de Ouagadougou, dans la province du Boulgou, non loin de Tenkodogo] pour Ouagadougou, muni de son seul courage, et qui a exercé entre autres les métiers de laboureur, de cuisinier, de vendeur de billets de loterie avant d’ouvrir sa première entreprise, Volta Moto, aujourd’hui Burkina Moto, et de connaître la réussite qui est la sienne de nos jours à la tête de la holding Planor Afrique et de plusieurs autres structures de la place telles que Telecel Faso, UAB, Sodicom, SKI, Hôtel Yibi ».

Ceux qui ont écrit sa légende (et on même tourné un film sur leur héros) lui ont aussi décerné, voici quelques mois – retour sur investissement – le titre de « meilleur promoteur africain de l’investissement privé » et, cerise sur le gâteau, l’ont fait chef Akan sous le nom de Nana Koffi III.

L’autre s’appelle Cessé Komé. Il est Malien. Mais préfère Abidjan à Bamako. Son émergence dans le monde des affaires a été aussi exceptionnelle que celle de son « partenaire » burkinabè. Immobilier (on connaît sa résidence « Komé » dans la capitale malienne), import-export, hôtellerie… Le Radisson Blu Hotel de Bamako, c’est lui ; le Radisson Blu Hotel Abidjan Airport (252 chambres, 25 milliards de francs CFA) ce sera lui aussi.

Leur fortune est sans limites ; leur carnet d’adresses est, tout à la fois, international et impressionnant. Personne ne sait vraiment comment ils ont bâti l’une et rempli l’autre. Mais chacun sait qu’ils sont incontournables.

Compaoré et Komé étaient copains. Enfin, comme on peut l’être dans le monde des affaires. Suffisamment en tout cas pour obtenir, conjointement, la 3ème licence de téléphonie mobile globale du Mali. La première avait été tout naturellement attribuée à Sotelma (filiale de Maroc Télécom) et la deuxième à Orange Mali (actuellement numéro un sur le marché de la téléphonie mobile malienne).

C’est le 8 décembre 2011, à peine plus d’un mois avant que le MNLA ne déclenche sa « guerre » contre Bamako, que cette 3ème licence avait été attribuée aux deux hommes. 55 milliards de francs CFA (84 millions d’euros) et une concession de quinze ans pour Alpha Telecom SA (ATEL-SA). 60 % pour Compaoré via Alpha Limited Telecom ; 40 % pour Komé via Koira Teknotelecom Ltd. Une attribution de gré à gré qui n’a pas vraiment fait de vagues alors que le Mali avait sombré dans la torpeur des années ATT (pas ATT le groupe de Dallas, plus grand fournisseur de services téléphoniques dans le monde, mais ATT comme Amadou Toumani Touré).

Koira est la raison sociale sous laquelle Komé a développé ses activités. Koira Teknotelecom Ltd est implantée à… Port-Louis, capitale de Maurice, l’île de l’océan Indien. Elle y aurait été créée le 26 janvier 2012, soit près de deux mois après (je dis bien après) qu’elle ait été présentée comme partenaire d’Alpha Limited Telecom au sein d’ATEL-SA.

Komé n’a pas d’expérience professionnelle (via ses activités d’entrepreneurs) dans les télécoms. Compaoré, lui, est avec Telecel le troisième opérateur de téléphonie mobile au Burkina Faso, derrière Airtel et Telmob (Onatel) ; son groupe, Planor, est également actionnaire minoritaire au sein de MTN Côte d’Ivoire.

Pour obtenir la 3ème licence de téléphonie mobile au Mali, Komé, le Malien, et Compaoré, le Burkinabè, se sont mis en partenariat technique avec Monaco Telecom. C’est l’opérateur téléphonique de la Principauté. Son savoir-faire, il le tient de son actionnaire minoritaire, le groupe historique britannique Cable & Wireless. L’expérience de Monaco Telecom à l’international est faible. L’opérateur est présent au… Kosovo et en Afghanistan, pas vraiment des territoires « soft ». Mais il avait mis la main sur Afinis Communications, opérateur téléphonique dédié aux grandes entreprises d’Afrique (ce que l’on a appelé le système VSAT). En août 2012, cette activité a été cédée. Il en est resté une connexion africaine. Le directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest d’Afinis Communications n’était autre que le Burkinabè Pascal Vokouma, un entrepreneur spécialiste des télécoms. Laurent Lafarge, vice-président en charge des activités internationales de Monaco Telecom, qui a participé notamment à la mission au Mali et au Burkina Faso de la CDE, la Chambre de développement économique de la Principauté de Monaco, est parfois présenté comme l’homme-clé du dossier de 3ème licence de téléphonie mobile au Mali.

A l’origine, en décembre 2011, ce dossier concernait donc Compaoré et Komé avec le concours technique de Monaco Telecom. Mais la « guerre » déclenchée le 17 janvier 2012 par le MNLA et le coup d’Etat du 22 mars 2012 changeront la donne. Tout est stoppé. Il faudra attendre juin 2012 pour que le dossier revienne sur la table du gouvernement de Bamako. Le 3 août 2012, un accord sera signé concernant le cahier des charges et l’acceptation d’un paiement fractionné. Compaoré devra ainsi verser 33 milliards de francs CFA et Komé 22 milliards de francs CFA.

Mais personne, alors, ne sait où va le Mali ni comment il y va. Le régime militaire du capitaine Amadou Haya Sanogo a cédé la place à un régime de transition dit « intérimaire » : Dioncounda Traoré à la présidence et Cheick Modibo Diarra à la primature. Mais Sanogo reste dans les coulisses. En décembre 2012, il va dégager Diarra en touche et installer à sa place Diango Cissoko. Le vendredi 11 janvier 2013, François Hollande intervient au Nord-Mali. L’opération « Serval » est déclenchée. Ce qui n’empêche pas le business à Bamako.

Dix jours plus tard, le 21 janvier 2013, Cessé Komé est déclaré défaillant dans le dossier d’acquisition de la 3ème licence de téléphonie mobile. D’obscurs prétextes sont avancés : il n’aurait pas assuré ses engagements contractuels, notamment financiers. Compaoré se retrouve seul en course.

Dans le Nord-Mali, on se bat ; à Bamako, la situation politique n’est pas à l’éclaircie. Hollande débarque au Mali : « Le jour de gloire est arrivé ». Ibrahim Boubacar Keïta se positionne pour la présidentielle. A Bruxelles et Addis Abeba, on promet des millions pour reconstruire le Mali. Compaoré signe une convention avec la nouvelle équipe au pouvoir. Ses partenaires financiers sont là : BOAD, BSIC Mali SA, Coris Bank International, Union togolaise des banques (UTB), Banque togolaise de développement (BTD). La banque conseil, Linkston Capital, touche sa « com » de 7 % : 1.102 millions de francs CFA. Compaoré va même obtenir un délai de six mois, en mai 2013, pour solder les comptes. A Bamako, la presse dénonce des « connexions militaro-civiles et gouvernementales » mettant en cause Dioncounda, Sanogo et Diango. Et Ouagadougou.

Depuis, Appolinaire Compaoré est promu « meilleur promoteur africain de l’investissement privé » en présence de Beyon Luc Adolphe Tiao, Premier ministre. Et, alors qu’on pensait qu’il prétendait à la présidence de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso (CCI-BF), il sera élu vice-président en charge du commerce le lundi 19 août 2013.

On ne parle plus de la 3ème licence. Le Mali a « d’autres chats à fouetter ». Sauf que Compaoré doit encore 7,1 milliards de francs CFA pour solder son opération intitulée désormais Telecel Mali. L’échéance était fixée au mercredi 13 novembre 2013. Le mardi 12 novembre 2013, cela a été réglé. Mais Komé n’entend pas, pour autant, céder le terrain à son partenaire devenu son adversaire : il a saisi le Tribunal international de commerce de Paris. Allo, ne coupez pas… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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