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Pr Serge Théophile BALIMA, Enseignant-chercheur, Directeur de l’IPERMIC : « Les JESTIC ont vocation à développer une dimension scientifique de la communication »

Publié le mardi 5 novembre 2013 à 00h20min

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Pr Serge Théophile BALIMA,  Enseignant-chercheur, Directeur de l’IPERMIC : « Les JESTIC ont vocation à développer une dimension scientifique de la communication »

Pr Serge Théophile BALIMA. Un nom. Une icône de la communication au Burkina Faso et par delà. Il a assumé de nombreuses et hautes responsabilités. Il fut ainsi directeur de la télévision nationale du Burkina, ministre de l’Information et de la Culture, Ambassadeur du Burkina Faso à Paris,… Il est aujourd’hui enseignant-chercheur à l’Université de Ouagadougou et Directeur de l’Institut panafricain d’études et de recherches sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC) qui abrite le laboratoire du Centre africain d’études et de recherche sur les médias (CERAM) qu’il dirige. Il a assuré la formation de nombreux communicateurs et journalistes burkinabè. Aujourd’hui, cette mission se poursuit de plus belle avec plus d’entrain et de rigueur. A ses étudiants, il a l’habitude de lancer cette boutade : « il faut entrer en communication comme on entre en religion », c’est à dire avec foi et détermination. Le Pr Serge Théophile BALIMA est l’auteur de plusieurs publications au sein de revues scientifiques comme Hèrmès dirigé par Dominique WOLTON. Il est aussi l’auteur de livres dont l’un des plus courants est celui coécrit avec le Pr Augustin LOADA et le Dr Nestorine SANGARE intitulé Médias et démocratie au Burkina Faso (2012).Consultant international, il est sollicité dans divers endroits du monde pour des colloques universitaires et autres rencontres. C’est sous le haut patronage de cet éminent expert que la première édition des Journées d’Etudes en Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (JESTIC) se déroule. Nous l’avons rencontré le 22 octobre 2013 à l’IPERMIC. Sans entournures, il livre son analyse sur la problématique « Nouveaux médias et démocratie au Burkina Faso ».

LE STRATEGE : La première édition des Journées d’Etudes en Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (JESTIC) se déroule du 8 au 9 novembre 2013 sous votre haut patronage. Que vous inspire une telle initiative ?

Pr Serge Théophile BALIMA :C’est une très bonne initiative pour la simple raison que nous avons à l’Université de Ouagadougou une filière Communication et Journalisme avec des débouchées d’études doctorales. C’est donc très bien que nous puissions avoir des Journées d’Etudes en Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication. Ce sont des journées qui ont vocation à développer une dimension scientifique de la communication. Cela vient combler un vide relatif qu’il y avait dans ce pays par rapport à cela. En dehors de l’Université, il faut se rendre à l’évidence que les sciences de l’information et de la communication ne sont pas développées en tant que telles parce que les gens se contentent simplement du côté opératoire et opérationnel de la communication et de l’information. Les aspects purement scientifiques, académiques et théoriques sont très souvent oubliés. Je ne peux que saluer cette initiative qui va permettre à nos étudiants et en particulier au laboratoire d’info-com que je dirige à l’Institut Panafricain d’Etudes et de Recherches sur les Médias, l’Information et la Communication (IPERMIC), d’apporter des contributions sur la problématique retenue.

Les JESTIC se tiennent justement sous le thème : « Nouveaux médias et démocratie au Burkina Faso : opportunités et paradoxes ». Quelle analyse faites-vous d’un tel thème au regard du contexte médiatique et socio-politique burkinabè ?

« Les nouveaux médias sont une composante de l’espace public démocratique. »

Le thème est d’actualité. Il est bien choisit. Si on fait un constat sur ce qui se passe ces dernières années au Burkina Faso, on se rend compte que les nouveaux médias apparaissent comme des catalyseurs de la démocratie participative à partir simplement de ce que les internautes disent, à partir de ce qu’ils font comme commentaires sur les faits et gestes de nos acteurs publics. C’est une opportunité qui n’était pas donnée à ces citoyens-là qui n’avaient pas facilement accès à un espace public d’expression. Les nouveaux médias sont un nouvel espace public d’expression qu’il faut intégrer comme une composante de l’espace public démocratique. C’est donc une très bonne chose d’y avoir pensé et de réfléchir sur ces nouveaux médias qui viennent bousculer certains métiers traditionnels de l’information. Cela oblige les journalistes à exercer un journalisme nouveau ; un journalisme beaucoup plus offensif, beaucoup plus réflexif et en même temps plus modeste parce que les journalistes n’ont plus le monopole de la vérité. Les sources sont plus diversifiées et la confrontation des sources se fait beaucoup plus facilement aujourd’hui. Le thème est donc pertinent.

Les nouveaux médias ont connu un développement phénoménal grâce au web 2.0 caractérisé par l’instantanéité, la rapidité, la simplicité. Les citoyens ne veulent plus se contenter de consommer de l’information. Ils en produisent aussi. Face à un tel paradigme et au regard de leur nomenclature actuelle, les médias burkinabè, sont-ils parvenus à votre avis à bien s’adapter aux mutations technologiques induites par la convergence de l’écrit, du son et de l’image ?

Pas tout à fait. Il y a encore des résistances. Quand de nouveaux médias interviennent dans un espace, ceux qui pratiquaient de façon traditionnelle le métier, ont du mal à accepter cette concurrence considérée comme étant illégitime. Mais dans les faits, le nouveau journalisme, le journalisme en ligne, l’exploitation des sites internet pour s’exprimer obligent les conservateurs du métier à se bouger eux mêmes par rapport à certaines pratiques et à partager l’arène publique avec de nouveaux opérateurs. Cette dynamique fait que c’est forcement innovant. Mais c’est vrai que certains ont du mal à s’adapter. Ils continuent de rester sur les verrous de l’enfermement. Ils veulent contrôler, comme on pouvait le faire il y’a 20 ans, l’information. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Le grand changement à faire, la mutation à opérer se situe au niveau des mentalités et de la conception de la démocratie qui a pris une nouvelle tournure. Certains praticiens n’ont pas encore compris que leur seule méthode ne suffit plus. Il faut forcement tenir compte du nouvel environnement.

Avec les nouveaux médias, les citoyens semblent disposer de plus de marge de manœuvre en terme de liberté d’expression. Ils peuvent critiquer ouvertement une décision politique ou contester des choix ou des orientations. Comment donc gouverner dans ce nouveau contexte où tout se connaît quasiment à la seconde près ?

« Vouloir verrouiller les canaux d’expression est un réflexe suicidaire. »

A mon avis, pour la gouvernance, le défi majeur, c’est d’accélérer la démocratisation. Il faut être conscient de nos jours que lorsqu’il y’ a un problème dans la société, la solution passe par plus de démocratie. Plus on va élargir, diversifier la base de la démocratie, moins on aura des problèmes avec la société. Mais le premier réflexe que beaucoup de gens ont, c’est de dire « attention, c’est dangereux, il faut verrouiller les portes et les canaux d’expression ». C’est un réflexe à mon avis suicidaire. C’est vrai qu’il y a des risques dans cette nouvelle forme d’expression ; mais ce n’est pas pour autant qu’il faille céder à la tentation de vouloir tout verrouiller comme on l’aurait fait plus aisément, il y a un quart de siècle.

Ces médias ont-ils amélioré la gouvernance au Burkina Faso ?

« Le pouvoir présente un déficit communicationnel »

L’impact des nouveaux médias sur l’amélioration de la gouvernance n’est pas encore véritablement visible. Par contre, ces médias font peur aux gouvernants. Lorsque les internautes donnent leurs points de vue sur les actions menées par les pouvoirs publics, ça ébranle la conscience de certains gouvernants quand ils ont quelque chose à se reprocher. Mais à terme, ces nouveaux médias vont modifier la façon de gouverner et surtout la façon de communiquer. A l’heure actuelle, la communication organisationnelle au niveau du pouvoir burkinabè reste assez faible. Le pouvoir présente de mon point de vue un déficit communicationnel dû au fait que les acteurs que le pouvoir met en scène ou en scelle pour défendre ses positions, ne savent réellement pas communiquer. Ils sont soit balbutiants, soit manquant de méthode, soit manquant de style, et surtout soit manquant d’argumentaire. A partir de ce moment-là, ils affaiblissent le système qu’eux mêmes prétendent servir. A mon avis, l’urgence à leur niveau devrait consister à améliorer ce paramètre communicationnel. Autrement, on est entrain d’aller vers une situation qui sera marquée par l’incompréhension au niveau de la société.

A travers le monde, de nombreux titres abandonnent leur version papier pour ne paraître que sur Internet. On l’a vu par exemple avec les journaux français La Tribune, France Soir… D’aucuns estiment que les médias en ligne sont une menace pour l’avenir des médias traditionnels, notamment la presse…

A mon avis, ils ne sont point une menace pour les médias classiques. Ce sont simplement des médias qui vont obliger les médias classiques, à se repositionner, à se transformer, à s’adapter et surtout à changer la manière d’informer et de traiter le citoyen. Ce n’est pas une menace car quand vous faites l’histoire des médias ; chaque fois qu’un medium apparaît, il modifie évidemment les usages des médias antérieurs.

Grâce à la démocratisation des TIC et d’Internet, on assiste au développement du journalisme citoyen où chacun est potentiellement "capteur d’information". Munis d’un simple téléphone portable, d’un ordinateur, d’un appareil photo ou d’une caméra numérique, des milliers d’internautes produisent aujourd’hui des données souvent reprises par les médias. Quelle est la place du journalisme citoyen dans la société de la communication ?

Les médias comportant des risques, les nouveaux médias comportent aussi les leurs parce qu’à partir du moment où tout le monde peut être producteur et diffuseur d’information, il y ‘a risque de brouillage. Cela est dommage. Il faudrait simplement que les gens comprennent que les médias classiques ne peuvent maintenir leur place qu’en donnant de l’information labellisée, bien référencée ; pour qu’ils aient une longueur d’avance en termes de crédibilité et de respectabilité. S’ils n’évoluent pas, s’ils ne prennent pas de la hauteur, ils vont tomber dans le vulgus et perdre par ricochet leur crédibilité. Beaucoup de médias en sont à ce niveau parce qu’ils se sont affiliés à des idéologies ou à des régimes politiques figés pour défendre souvent l’indéfendable. Evidemment, ces médias-là perdent leur âme et n’ont pas d’avenir.

La régulation semble être un véritable goulot d’étranglement au niveau de ces médias. Comment concilier liberté d’expression et respect de l’ éthique et de la déontologie ? Quels sont les garde-fous dont il faut s’entourer ?

« Les instances de régulation doivent se muer en instances de formation à l’éducation citoyenne »

La déontologie ne peut concerner que des professionnels. Il se trouve qu’il y’a des citoyens, des individus à part entière qui produisent de l’information et qui la diffusent. A leur niveau, on ne peut pas parler de déontologie. On doit plutôt parler d’éthique ; la façon individuelle de se gouverner soi-même et de regarder la société dans son ensemble. Cette forme d’éthique individuelle ne peut prospérer que dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler « Education aux médias ». Il faudrait que les instances de régulation se muent en instances de formation à l’éducation citoyenne et non pas en gendarmes de contenu. C’est complètement dépassé. On ne peux pas aujourd’hui réguler en disant que l’on va être le gendarme de contenu ou en interdisant aux citoyens de s’attaquer à telle personne ou à telle institution parce que ce sont des institutions ou des personnes sacrées. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de désacralisation d’un certain nombre de personnes et d’institutions. Dans ce contexte, il faut mettre l’accent sur l ‘éducation des citoyens, sur leurs responsabilités et se garder de vouloir tout régenter. La régulation doit changer ses paramètres.

Vous avez été ministre de l’Information, Journaliste et Directeur de la télévision nationale du Burkina. La télévision numérique de terre est annoncée pour 2015. Pensez-vous qu’elle permettra d’améliorer l’offre télévisuelle pour le pays ?

Sur le plan qualitatif, c’est sur que nous aurons une meilleure réception, de meilleures images. De ce point de vue, c’est une amélioration. Il y’ aura aussi accroissement de l’offre télévisuelle, parce qu’à partir d’un seul canal, à partir d’une seule fréquence, on pourra diffuser plusieurs programmes. Les opérateurs privés qui vont gérer ces programmes-là, vont de ce fait, contribuer à affaiblir le poids de l’Etat dans le contrôle de contenu. Les Etats conservateurs doivent se préparer à perdre leur pouvoir parce que l’offre télévisuelle sera diversifiée et laïcisée. Si vous êtes un opérateur qui gère le contenu de plusieurs programmes, vous devriez accepter que les programmes soient conçus et diffusés librement. Autant, on aura des émissions ou des chaines qui vont propager des valeurs religieuses, autant on aura des chaines qui vont diffuser des programmes qui iront à l’encontre de nos valeurs. Il sera difficile de vouloir éradiquer ce type de programmes. A la télévision nationale, il y’a déjà certaines scènes qui peuvent blesser la pudeur, mais on ne peut pas aujourd’hui, régenter les contenus comme on aurait pu le faire. L’individu va de plus en plus avoir une foule immense de propositions et de choix. Il lui appartiendra, en toute souveraineté, de savoir ce qui est vraiment bon pour lui. C’est pour cette raison que la régulation doit vraiment mettre l’accent sur l’éducation du citoyen à toutes les étapes de son évolution. L’individu sera de plus en plus autonome et de plus en plus souverain. Cela est inéluctable.

Les nouveaux médias ont été très actifs dans l’avènement du printemps arabe. Quels sont les principaux défis à relever tant au niveau individuel que collectif afin que ces nouveaux médias puissent véritablement être des outils de démocratisation au Burkina Faso ?

« Si vous fermez un robinet d’information, le citoyen en ouvrira 10 autres ! »

Il faut absolument éviter de vouloir contrôler la circulation de l’information. Aujourd’hui, si vous fermez un robinet d’information, le citoyen va en ouvrir 10 autres qui ne vont pas forcement déverser des informations allant dans le sens que vous souhaitez. Le monde étant devenu de fait un village de par l’intensité des réseaux de communication multiforme, la solution passe par plus de démocratie. Les pouvoirs publics doivent comprendre que la transparence est de plus en plus une exigence essentielle. Le citoyen est devenu très curieux. Quand il n’a pas l’information, il suppose qu’il y a malversation. Il suppose qu’il y a obscurité et qu’il y’a en réalité refus d’imputabilité. S’il raisonne ainsi, il a une attitude accusatoire vis-à-vis des pouvoirs publics. En face, si cette attitude n’est pas gérée à travers plus de transparence, plus de justice et plus de vérité, il y ‘aura inévitablement accumulation des rancœurs et des frustrations et cela peut conduire facilement à l’explosion ; d’autant plus que les jeunes sont en connexion permanente et se filent régulièrement les informations. Aujourd’hui, le niveau moyen des jeunes a beaucoup évolué. Ils sont plus instruits. Ils sont capables de détruire un immeuble en peu de temps par des formules chimiques et physiques acquises à l’école,… Aujourd’hui, ils sont devenus à la fois plus dynamiques mais aussi plus dangereux. Plus volontaires, plus exigeants mais aussi plus enclins à la destruction et à la violence. Il va falloir être regardant sur ces aspects en mettant en place des systèmes qui permettent aux jeunes de participer au processus. Il faudrait aussi que ceux qui exercent des responsabilités, à quelque niveau que ce soit, fassent preuve de plus de transparence et de justice.

Plus de 300 participants de diverses couches socio-professionnelles sont attendus à ces premières JESTIC. Quel appel avez-vous à leur lancer ?

Il faut que les participants comprennent davantage l’importance des sciences de l’information et de la communication. Nous sommes dans l’ère de l’info-com. Cette ère est entrain de nous montrer qu’ il y a un autre type de pouvoir au delà des pouvoirs conventionnels exécutif, législatif et judiciaire. On désigne la presse comme étant le 4è pouvoir. Mais à mon avis, on n’est plus au stade du 4è pouvoir, qui était en réalité celui de l’information. Aujourd’hui, il y’a aussi le pouvoir de la communication. Beaucoup d’acteurs privés ont compris qu’il ne faut pas se fier aux seuls journalistes pour occuper la scène médiatique. Ils se sont donc transformés en producteurs d’informations. Mais c’est une information de communication. Le développement de ce type d’information, menace le journalisme. Beaucoup de gens font maintenant du journalisme de communication comme on le voit à la télévision nationale. Les communicateurs et les communicants sont devenus tellement puissants qu’ils ont à la limite, empoisonné le contenu de l’information. Prendre conscience de cela, me semble être un enjeu stratégique qui va nous permettre de mieux positionner les uns et les autres par rapport au développement national et par rapport au développement des métiers de l’information et de la communication.

Interview réalisée par
Arsène Flavien BATIONO

bationoflavien@yahoo.fr

www.lestratege.net

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