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Mali : La mort de Ghislaine et de Claude. Coup d’arrêt au processus « démocratique » ?

Publié le mardi 5 novembre 2013 à 00h19min

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Mali : La mort de Ghislaine et de Claude. Coup d’arrêt au processus « démocratique » ?

Il y a des morts dramatiques qui sont des morts anonymes. Il y a des morts dramatiques qui deviennent emblématiques. Le vendredi 11 janvier 2013, Damien Boiteux, pilote du 4ème régiment d’hélicoptères des forces spéciales françaises, est mort au combat dans le Nord-Mali au premier jour de l’opération « Serval ». Son nom reste attaché à cette action militaire dont personne ne savait alors qu’elle pourrait déboucher rapidement sur la remise en route d’un processus « démocratique ».

Les noms de Ghislaine Dupont et Claude Verlon viennent s’ajouter à celui de Damien Boiteux. Emblématiques eux aussi. Boiteux a été tué au combat ; Ghislaine et Claude ont été assassinés. La guerre tue ; l’info aussi.

On peut mourir pour une image ; dans notre job, photographes et cameramen sont les plus exposés en situation de conflit ou de post-conflit. Peut-on mourir pour un mot ? Je ne le pense pas. Même si les mots dérangent. Dans cette affaire, Ghislaine et Claude n’ont pas choisi de s’exposer. Pourtant, RFI, en Afrique, vient une fois encore de payer cash le prix de la liberté d’informer. Dix ans après l’assassinat, en Côte d’Ivoire, le 21 octobre 2003, de Christian Baldensperger, alias Jean Hélène, assassiné par le sergent Théodore Séri Dago. Séri Dago ne connaissait par Jean Hélène. Les assassins de Ghislaine Dupont et Claude Verlon ne les connaissaient pas non plus. Ils sont morts parce qu’ils étaient journalistes, parce qu’ils étaient Français, parce qu’ils étaient les journalistes d’une station de radio publique française : RFI.

A l’âge qui est le mien, j’ai suivi bien des cercueils de photographes et de journalistes. Des morts brutales ; des morts inattendues ; des morts annoncées. Je ne suis pas de ceux qui pensent que notre profession puisse faire l’économie des « accidents du travail » qui sont aussi le lot des autres professions. Nous fonctionnons, souvent, à l’adrénaline ; nous prenons des risques chaque fois que nous débarquons sur un terrain qui n’est pas le nôtre et où, souvent, nous sommes perçus « comme une mouche dans un bol de lait » (même si l’image n’est pas adéquate). Je sais, par expérience, que les zones de guerre sont souvent moins dangereuses que les territoires en paix ; parce que l’on sait où l’on met les pieds, que la vigilance est plus grande, que l’on multiplie les précautions et que, par nature, ce ne sont pas des terrains où l’on prend des habitudes. Ce n’est pas pour autant que l’enlèvement et/ou le meurtre de journalistes soit acceptable et puisse être passé par profit et perte d’une profession pas comme les autres. Parce que, justement, ce n’est pas une profession comme les autres.

Emblématique, l’assassinat de Ghislaine et de Claude l’est incontestablement. Parce qu’ils formaient un duo de journalistes : il y a longtemps qu’une journaliste femme a été victime de son travail sur le terrain. Parce qu’ils étaient Français et travaillaient pour un média français ; plus encore, un média public emblématique au Mali et en Afrique. Parce qu’ils sortaient d’un entretien avec un leader du MNLA, Amabéry Ag Rhissa, dans sa propre maison, à Kidal, le fief de ce mouvement. Parce qu’il n’y a pas eu un seul coup de feu de tiré, ni contre Ag Rhissa (qui dit que l’injonction d’un des « preneurs d’otages » l’a convaincu de s’enfermer chez lui), ni vis-à-vis de l’environnement. Parce que le dénouement de cette affaire a été quasi immédiat : c’est dans le même temps que nous avons appris la capture et l’exécution de Ghislaine et de Claude.

Une exécution qui est une humiliation. La sauvagerie de l’acte – deux balles pour l’un, trois balles pour l’autre, nous disait-on au soir de ce week-end tragique, des corps abandonnés dans le désert mais à quelques kilomètres seulement de Kidal – est la marque d’une organisation mafieuse (dont nul ne peut savoir aujourd’hui à quel camp elle appartient) qui entend adresser un message : le MNLA n’est pas maître de Kidal, contrairement à ce que l’on dit généralement, et ceux qui recueillent la parole de cette organisation sont en danger de mort immédiate sans que le MNLA puisse faire quoi que ce soit pour eux. On peut s’étonner quand même que devant la résidence de Ambéry Ag Rhissa, présenté comme un « éminent représentant » de ce mouvement, un duo de journalistes français (et non des moindres) puisse être ainsi capturé. Le MNLA, qui aime a exhiber ses armes et ses 4 x 4, laisse donc sans sécurité son représentant dans son fief politique et militaire où l’administration de Bamako n’est pas encore parvenue à mettre le pied, le gouverneur et le préfet étant condamnés à dormir sur des nattes à la mairie ? Les trafiquants de drogue de Marseille sont mieux organisés que cela ; et j’ai connu le Frelimo, le mouvement de libération mozambicain, remarquablement sécurisé à Dar es Salaam, en Tanzanie, au début des années 1970 (il est vrai que c’était au lendemain de l’assassinat de son leader Eduardo Mondlane en 1969), tout comme l’était parfaitement Huambo, en Angola, dans les années 1990 au temps où Jonas Savimbi y faisait régner en maître l’UNITA alors en conflit avec le MPLA.

Nous n’avons pas de réponses, aujourd’hui, aux questions que l’on se pose. Mais il y a des faits qui s’imposent à tous. Un enlèvement et une fuite en plein jour alors que l’armée française est stationnée à Kidal avec des aéronefs étaient nécessairement des opérations à risque ; il aurait été plus prudent d’attendre la nuit et de capturer Ghislaine et Claude dans leur hôtel. Les enlever devant le domicile de Ag Rhissa après avoir, sans violence, contraint celui-ci à refermer la porte qu’il venait « d’entrouvrir », tandis que le chauffeur des journalistes était laissé sur place, c’était stigmatiser la relation France-MNLA. Abandonner leurs corps auprès de la voiture, verrouillée dit-on, qui avait servi à leur exfiltration de Kidal, c’était à coup sûr permettre leur repérage et leur récupération rapidement. Les tuer par balles plutôt que les égorger, c’était signifier qu’ils n’étaient pas les « ennemis » ciblés même s’ils étaient les victimes collatérales ou, plutôt, des victimes emblématiques.

Peut-on penser qu’il s’agissait d’une prise d’otages français ? Je ne le pense pas. Une prise d’otages est une opération de long terme qui n’a guère d’impact politique (même s’il peut avoir un impact financier) et il y a, dans la région, d’autres cibles françaises plus accessibles que des journalistes de RFI. Faut-il se poser la question de savoir « à qui profite le crime ? ». Sûrement pas ! Ce qui importe c’est de savoir qui est humilié « sécuritairement » et disqualifié « politiquement » par cette opération.

Pour moi, pas de doute : c’est le MNLA. Sans que l’on sache, dans le cadre actuel de nos informations, s’il s’agit d’une opération interne au mouvement entre les radicaux (ceux qui ont été responsables de l’égorgement des soldats maliens à Aguelhok et exigent l’indépendance de l’Azawad) et les libéraux (ceux qui ont signé les accords de Ouagadougou) qui peuvent passer pour des « collabos ». Ou un règlement de compte entre groupuscules touareg au lendemain de la levée des mandats d’arrêt contre un certain nombre de chefs du MNLA et du HCUA « pour faciliter la poursuite du processus de réconciliation nationale ». Faut-il y voir la main de ceux qui, à Bamako, veulent affaiblir la position du MNLA à Kidal et, dans le même temps, radicaliser l’action de Paris dans cette région ? La signature des accords de Ouagadougou et l’accession au pouvoir de Ibrahim Boubacar Keïta n’ont pas fait l’unanimité au sein de la classe politique malienne et les apprentis sorciers ne manquent pas.

Aguelhok, en janvier 2012, a été l’expression de la sauvagerie qui pouvait animer certains groupuscules. Dans quelques semaines seront organisées les élections législatives maliennes, nouvelle étape vers l’instauration d’une « démocratie » formelle. C’est dans ce cadre que Ghislaine et Claude étaient en reportage à Kidal. C’est dans ce cadre qu’il faut situer leur assassinat. Rien d’autre qu’un acte ignoble qui est aussi un acte politique « malien ». Mais chacun sait que la politique peut être ignoble. Parfois plus que la guerre elle-même.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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