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Après le FMI, la FIFA va-t-elle devenir la bête noire des peuples ?

Publié le mercredi 23 octobre 2013 à 05h42min

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Après le FMI, la FIFA va-t-elle devenir la bête noire des peuples ?

Ce n’est pas un phénomène nouveau. Dans les années 1980, quand je travaillais, dans le cadre de l’université Paris I Panthéon Sorbonne, avec le professeur Marie Lavigne sur ce que l’on appelait alors les « économies centralement planifiées » - autrement dit l’économie de l’URSS, des pays de l’Est et des pays du « bloc soviétique » - le professeur Wladimir Andreff, aujourd’hui professeur émérite en sciences économiques, s’était intéressé, après avoir été un spécialiste de ces économies centralement planifiées, à « l’économie du sport ». Cela pouvait sembler, au mitan de la décennie 1980, quelque peu anachronique.

Depuis, c’est devenu un enseignement universitaire et les livres consacrés à ce secteur d’activité économique (qui touche aussi au politique et au social) sont légion. Andreff, quant à lui, est devenu le meilleur analyste de ce qu’il appelle « la mondialisation économique du sport ».

Que ce soit un spécialiste des « économies totalitaires » qui est devenu un spécialiste de « l’économie du sport » ne saurait être neutre. L’économie du sport est une économie non seulement centralement planifiée mais également une économie bureaucratique, au sens sociologique du terme avec sa nomenklatura et ses apparatchiks.

Que ce soit au début des années 1990 que cette économie du sport ait été « consacrée » par l’université n’est pas neutre non plus. L’implosion de l’Union soviétique (dont on sait de quel poids y pesait le sport), à la suite de la chute du Mur de Berlin, consacrait ce qu’on allait appeler la « globalisation » puis la « mondialisation ».

Et en ces années-là, les manifestations anti-FMI - dont la politique d’ajustement structurel qu’elle imposait alors était considérée comme la source principale des maux dont souffraient les pays du Sud - allaient déboucher sur les « forums sociaux » et « l’altermondialisme ». Le FMI était alors la bête noire des peuples. Aujourd’hui, ces trois lettres ont perdu de leur impact. Les politiques d’ajustement structurel ne sont plus à l’ordre du jour. Ce qui est à l’ordre du jour, désormais, c’est la FIFA : quatre lettres qui rayonnent sur le monde entier. Et qui appartiennent à notre quotidien, qu’on le veuille ou non.

J’avoue, moi qui ne suis pas amateur de football (bien que père de cinq enfants nés du côté de Sao Paulo au Brésil), avoir longtemps ignoré ce qu’était la FIFA. Et n’accorder à la Coupe du Monde, sa création, aucun intérêt autre qu’anecdotique. Mais il est difficile, désormais, d’échapper à l’omniprésence du « foot » dans la vie quotidienne et, tout particulièrement, dans les médias. Pas une chaîne d’information en continu qui ne consacre, au quotidien, aux heures de grande écoute, une émission d’analyse des matches français et étrangers.

Autrefois, le « foot » se regardait au stade, on écoutait la retransmission des matches à la radio, on en voyait quelques images à la télé, maintenant c’est l’overdose non pas tant des matches que des commentaires sur les matches. A tel point d’ailleurs, qu’un géopoliticien français de renom, Pascal Boniface, s’est fait, sur les chaînes télé, le géopoliticien du « foot ». On consacre désormais plus de temps et plus d’énergie à analyser les situations « footballistiques » (avec quantité de spécialistes) que les situations « politiques » ou « géopolitiques ». Les Français connaissent l’existence du Qatar depuis que cet émirat a pris le contrôle du Paris Saint-Germain (PSG) ; pas pour son rôle dans les « guerres du golfe » ou sa prééminence en matière de production de gaz naturel !

Le « foot » a fait irruption dans le quotidien du monde entier. Pas un jour sans « ballon » alors qu’autrefois c’était le sujet de conversation du seul dimanche après-midi. Avec une dramatisation dans les slogans : « Dans le groupe de la mort, le salut passera par la victoire » proclame Canal +. C’est, tout à la fois, le « défilé de la victoire » des Poilus au lendemain du 11 novembre 1918 (lorsque la France gagne, elle descend désormais les Champs-Elysées) et la promesse du « Grand Soir ». Les « Internationales » ont laissé la place aux « supporters » ; et on se bat aujourd’hui pour son équipe comme autrefois on se battait pour des conquêtes sociales ou des avancées politiques.

Je caricature bien sûr. Mais il est indéniable que le « foot » a envahi notre vie et occupe la meilleure place dans la hiérarchisation de l’information (il est même une émission intitulée : « Radiographie d’un but » qui permet de savoir que le dernier marqué par « Zlatan » lui a permis de lever la jambe à 1,66 m et d’envoyer le ballon dans le but à la vitesse de 55 km/heure, ce qui est quand même une information fondamentale !).

Et le maître d’œuvre de toute cette « mondialisation » est donc la FIFA. Une organisation plus que centenaire (elle a été créée le 21 mai 1904) qui regroupe 209 fédérations nationales. La dernière adhésion remonte au 25 mai 2012. C’est celle du Soudan du Sud. Qui a voulu s’affirmer comme « une nation du foot » avant même d’être une nation tout court !

La FIFA s’est inscrite d’emblée dans l’économie mondiale. Créée à Paris, elle s’est délocalisée à Zurich en 1930 (année de la création de la Coupe du monde) consécutivement au krach boursier de 1929, la conjoncture suisse étant plus favorable que la conjoncture française. Tout un symbole. Le patron de la FIFA est Joseph Slepp Blatter. Il est en place depuis le 8 juin 1998, soit plus de quinze ans ! Il préside une institution faisant travailler 350 personnes, « emberlificotée dans une grosse pelote de scandales : suspicion de corruption endémique et de fraude électorale lors du dernier scrutin présidentiel à la FIFA en 2011 ou lors de l’attribution du Mondial 2022 au Qatar »*.

Le numéro deux s’appelle Jérôme Valcke. Il en est le secrétaire général depuis le 27 juin 2007. C’est un Français qui a débuté comme journaliste à Canal + avant d’être le promoteur de Sport +, en charge des droits télévisuels et marketing. C’est « l’homme de l’ombre du foot mondial », le « Premier ministre de son gouvernement », « au cœur du foot business depuis plus de dix ans »*.

Valcke est détesté, tout autant que Blatter, par l’ancien footballeur brésilien Romario, aujourd’hui député fédéral. Romario est parti en guerre contre l’organisation du Mondial 2014 par son pays. Il en a dénoncé le coût excessif. Il a écrit que Blatter était un « voleur » et Valcke un « maître chanteur ». Il ne leur confierait même pas, dit-il, l’argent pour aller acheter le pain… !

Le Brésil, qui a inventé les « forums sociaux » et « l’alter-mondialisme » du côté de Porto Alegre, est la tête de pont de la contestation contre la FIFA. Qui a pris le relais de la contestation contre le FMI. Valcke a donc pris ses habitudes au Brésil. Sous les huées qui accompagnent chacun de ses déplacements, il a entrepris de mettre la pression sur les autorités brésiliennes, leur mission étant « d’étouffer la contestation ».

Le mardi 29 janvier 2013, le magazine France Football avait osé le mot : « Qatargate ». Il posait la question de savoir si le milieu du football n’était pas gangréné par l’argent, en l’occurrence celui du Qatar (cf. LDD Qatar 008/Mardi 29 janvier 2013). Il y a quelques semaines, on évoquait plutôt un « Fifagate ». Ce n’est cependant pas la seule institution sportive qui soit ainsi dans le collimateur de ceux qui ont encore une éthique, une morale, une idéologie : le CIO n’est pas mieux loti, la « Formule 1 » a été en « pole position » dans la mondialisation de ses activités, les droits télévisuels exorbitants, la délocalisation des circuits du côté des émergents et des puissances financières…

C’est tout le « sport » (tennis, golf, basketball, etc.) qui est devenu une activité économique mondiale. Parce qu’on y concentre les populations dans des enceintes spécifiques afin de leur diffuser un message tout autant spécifique : « Dans le groupe de la mort, le salut passera par la victoire ». Les Romains, voilà plus de 2.000 ans, avaient déjà pigé le truc, eux qui ont inventé les arènes. Mais l’empire a fini par sombrer sous l’assaut des « barbares »… ! Attendons.

* Laurent Telo dans Le Monde du 24 mai 2012

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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