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Thibaut Nana, "l’enfant terrible de Samandin"

Publié le lundi 24 janvier 2005 à 07h33min

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Il est un peu à l’opposition ce qu’un Mahamadi Koanda est à la majorité. Personnage assez singulier, pour ne pas dire pittoresque comme l’autre, il n’a pas « gros diplôme » comme on le dit, mais ne laisse personne indifférent. Parce qu’il conserve, quelle que soit la situation, sa liberté de parole.

Il dit souvent tout haut ce que nombre de politiciens auraient murmuré entre quatre murs. Vous en voulez une preuve ? Alors lisez cet entretien qu’il nous a accordé le 10 janvier dernier.

En ce début d’année, comment va Nana Thibaut ?

Je me porte très bien, de même que les membres de ma famille. Je vous présente aussi mes vœux les meilleurs de santé, de bonheur, de prospérité et surtout beaucoup d’argent car aujourd’hui nous sommes dans un monde d’argent. Si tu ne l’as pas aujourd’hui, tu es mal vu.

Au fait, c’est « Tibo », T-i-b-o, qui signifie fétiche en langue mooré, ou c’est « Thibaut », T-h-i-b-a-u-t ?

En réalité, c’est Tibo, le fétiche. Le changement de l’orhographe est en rapport avec une situation que j’ai vécue. Il y avait un autre Nana Tibo qui était commandant au Camp Guillaume. Vous savez, j’ai eu pas mal de problèmes dans ce pays. J’avais des correspondants qui m’écrivaient.

Quand ces correspondances rentraient dans le pays, il arrivait qu’on les amène directement chez ce commandant Tibo. C’est pour résoudre un tant soi peu cette confusion que j’ai changé l’orthographe de mon nom.

C’est vrai que vous n’êtes pas si âgé. N’empêche que le lecteur voudrait connaître votre parcours !

Moi je n’ai pas fait de longues études. Mon cursus s’est limité à la classe de troisième. Mais je me bats comme je peux. J’ai d’abord fréquenté une des premières écoles privées du Burkina qui a été créée par mon papa qui s’appelait « Ecole Nana Tiga ».

Quand j’ai raté le BEPC, je suis retourné enseigner dans cette école. En 1979, j’ai travaillé avec un grand commerçant de cola de la place qui se nomme El Hadj Ouédraogo Ousmane Goama. Dans la même année, j’ai été engagé à la CEAO jusqu’en 93 comme agent de liaison. Je faisais également la reprographie dans le service.

Après la disparition de la CEAO, remplacée par l’UEMOA, nous avons été licenciés. J’ai reçu des droits que j’ai trouvés minables et avec lesquels il était difficile de se reconvertir. J’ai préféré investir dans la construction de la cour où j’habite présentement. Aujourd’hui, en dehors des activités politiques, je ne fais rien.

Pour beaucoup, vous êtes plus un agitateur professionnel qui amuse la galerie qu’un homme politique. Qu’en dites-vous ?

Ceux qui me connaissent savent qui je suis. J’ai un franc-parler même si je ne suis pas un grand. Pour moi, on ne doit pas contourner ce qui est vrai. Il est mieux de se parler les yeux dans les yeux. C’est mon option.

Quand on dit que je parle beaucoup, que je suis arrogant ou que j’insulte les gens, c’est un faux problème. Aujourd’hui, en Afrique, quand quelqu’un commet une erreur et que tu le lui fais remarquer, il va à la conclusion que tu l’insultes. Pourtant, l’objectif est de l’amener à la raison.

Dans le conseil municipal, je ne me vante pas mais je dirai que je fais partie de ceux qui disent ce qu’ils pensent. Même face à Simon Compaoré, je ne cache pas mes sentiments. Dans mon quartier en tout cas, on me prend très au sérieux

Où étiez-vous le 15 octobre 1987 et comment avez-vous accueilli ce qui est arrivé ce jour-là ?

Le 15 octobre, j’étais un révolutionnaire comme la plupart des jeunes de l’époque. Je n’ai jamais été un élément CDR mais je voyais la chose venir. Dans tout pays où un groupe de personnes prend le pouvoir, ce qui est sûr c’est qu’il y aura forcément une division.

Même si les quatre ou cinq personnes s’entendent au sein de leur famille, il y aura des critiques. Le plus méchant aura raison. Celui qui ne réfléchit pas beaucoup aura raison. D’un côté si vous avez opté pour la lutte contre la corruption ou le détournement, de l’autre, ce n’est pas forcément le même objectif.

Cela amène des scissions et c’est ce qui est arrivé le 15 octobre. En tant qu’être humain, je ne pouvais applaudir les assassinats qui ont été commis. Ce fut un découragement total pour moi.

En tant que sankariste, si vous deviez critiquer les aspects négatifs des quatre années du CNR, sur quoi vont porter vos critiques ?

Je n’appréciais pas la création de CDR. Ces derniers ont fait beaucoup de mal. Ils ont brutalisé des camarades de base. Ils ont regroupé de jeunes voyous qui avaient des fusils pour traquer les gens.

Une fois j’ai eu maille à partir avec eux. C’était au moment des attributions commando de parcelles. Dans mon secteur Samandin, je trouvais que les choses n’allaient pas bon train comme on le souhaitait. J’ai dénoncé la situation et j’ai été convoqué au Conseil pour être mis en garde.

En plus de cela, les CDR ont organisé une assemblée générale dans mon secteur à l’issue de laquelle on a décrété que je n’étais pas un révolutionnaire. Je leur ai répondu qu’il ne suffit pas de porter la tenue pour dire que l’on est révolutionnaire.

Ce sont les actes et les comportements qui comptent et surtout le fait de dénoncer ce que la Révolution ne voudrait pas qu’on fasse au Burkina Faso.

A quel moment avez-vous commencé à faire la politique ?

Dans les années 83-84, du temps de la Révolution, quand on recherchait des délégués CDR dans les secteurs. A chaque fois qu’il y avait des élections je me présentais. Comme aujourd’hui, il y avait la magouille. Chaque fois, j’avais du monde derrière moi, mais au décompte final, je perdais.

Même pendant la Révolution où le candidat se mettait sur une barrique, et les électeurs s’alignaient derrière lui ?

Oui ! On s’alignait derrière une table. Nana Thibaut est là et son adversaire sur l’autre table. Et on faisait le décompte. Quand je me présentais aux élections, les richissimes de Samandin faisaient tout pour me barrer la route. Car je dénonçais tout ce qui arrivait de louche dans mon secteur.

Par exemple, j’ai dénoncé les attributions arbitraires de parcelles. Pour ces fonctionnaires et commerçants, il ne fallait pas que je passe, car j’allais dénoncer beaucoup d’autres choses.

Selon vous, Blaise peut-il se représenter à la prochaine présidentielle après les différentes modifications de l’article 37 ?

Je vois des gens qui tapent déjà du tam-tam dans les rues, qui chantent, qui font des communiqués. Il y a même des « Tanties de Blaise Compaoré ». Moi aussi, (sourire) j’aimerais créer des « Grands-pères de Blaise Compaoré » pour le soutenir !

Je trouve que c’est honteux. C’est à Blaise de décider de se présenter ou pas ! Mais je dirais que trop durer au pouvoir aboutit à des problèmes. C’est pour dire que si Blaise dure, quel qu’en soit son pouvoir, il y aura des problèmes par la suite. Seul Dieu ne change pas.

A sa place donc, je ne me représenterais pas, article 37 ou pas. Mais s’il juge nécessaire de le faire, cela voudra dire qu’il n’y a pas une autre personne valable pour gérer le pays...

On veut surtout une position plus claire de votre parti, le RDP.

Vous savez, en politique, il ne faut pas qu’on se cache la vérité. Il faut être correct et mûr. On ne prend pas un pays parce qu’on a envie de régner seulement. Moi Nana Thibaut, je peux prendre le pouvoir.

Mais je ne suis pas mûr pour le gérer. Par contre, je peux soutenir quelqu’un qui est plus mûr que moi. C’est comme une famille. Comment un enfant de dix ans va-t-il s’occuper d’une femme et d’un enfant ? Il faut qu’on se dise la vérité ! Ce n’est pas facile.

Celui qui est prêt à remplacer Blaise, je serais prêt à le soutenir. Aux militants de mon parti, j’ai toujours dit que Blaise ne doit plus se représenter. Mais s’il le fait et qu’autour de nous il n’y a personne pour le remplacer, que voulez-vous que l’on fasse ?

Si vous deviez apprécier le mandat de l’actuel chef de l’Etat qui s’achève, que diriez-vous ?

Il y a des hauts et des bas. Certes, on sent le développement et la démocratie mais ce n’est pas suffisant. Le pays est laissé entre les mains de quelques hommes d’affaires qui l’exploitent à leur gré. Et Blaise Compaoré ne lève pas le petit doigt.

Il y a eu des détournements, la corruption et il y a eu des assassinats. Si vous allez en ville, vous remarquerez que même le dernier politicien du CDP ne fait que monter des immeubles et à parader dans des véhicules de luxe.

Alors que le commun des Burkinabé n’a rien, même les salariés. C’est de l’insulte quand j’entends dire qu’il y a eu augmentation de salaires au Burkina. Sur 100 francs on n’a ajouté que 4 ou 5 francs. C’est de l’insulte !

Le débat sur la candidature unique de l’opposition a fait rage au cours de l’année 2004. Quelle est votre position sur ce sujet ?

J’ai tenu une conférence de presse en Février 2004 dernier, où j’ai dit que j’étais prêt à soutenir un candidat unique de l’opposition !

J’ai invité les autres partis à faire de même. Aujourd’hui, si nous allons en rangs dispersés, pour affronter le président Blaise, ce sera un échec total. Au Burkina, les gens ont besoin d’un changement.

Est- ce que vous pensez que cette candidature unique de l’opposition est à l’ordre du jour et pourra se réaliser ? Déjà Ernest Nongma promet de se présenter. Me Sankara aussi !

Lui il ne s’est tout de même pas déclaré pour le moment !

Mais je sais qu’il va se présenter. De même que Norbert Tiendrébéogo...

Et vous-même ?

Ah non ! Moi je cherche à soutenir ceux qui vont se présenter. Parce qu’il ne faut pas s’amuser avec la politique. On ne part pas en politique pour chercher de l’argent. On y part pour défendre son pays. Dès que tu n’as pas la capacité, il ne faut pas te flatter.

Si aujourd’hui on vous demandait de choisir un candidat unique pour l’opposition, sur qui pointeriez-vous le doigt et pourquoi ?

Celui que je vois de sérieux, de calme et qui peut apporter quelque chose à notre pays, c’est Me Gilbert Ouédraogo. C’est quelqu’un que je connais très bien depuis le mouvement du Collectif.

Un bon chef d’Etat ou un bon chef coutumier doit être jugé par son comportement. Je ne jette pas des fleurs à Gilbert, mais je l’ai beaucoup approché, on a beaucoup discuté et je sens que c’est quelqu’un qui peut faire quelque chose pour le Burkina.

Pourtant vous avez soulevé le handicap de la jeunesse. Et Gilbert est considéré comme jeune !

Je n’ai pas dit très jeune. J’ai dit que pour être président, il faut une certaine maturité. Il faut avoir un peu les moyens aussi ! Ceux qui nous pillent aujourd’hui le font parce qu’ils sont venus les poches vides !

Ils sont venus pauvres et chacun cherche à se rattraper ! Ce n’est donc pas seulement l’âge. Il faut aussi être un homme plein pour pouvoir gérer un pays. En Europe, un gars comme Nana Thibaut ne peut pas se présenter à la présidentielle. Cela, vous en êtes conscients !

Et parmi les partis sankaristes, il n’y a pas d’autres présidentiables ?

Peut-être Me Bénéwendé Sankara. Les autres sont comme Nana Thibaut.

Comme Nana Thibaut ...C’est-à-dire... ?

Comme je vous l’ai dit, cela dépend du comportement de tout un chacun et il y a les moyens aussi qui ne sont pas à négliger. Maintenant, si les sankaristes sont favorables à ce que Me Sankara soit le président de ce pays, je serai d’accord avec eux. Mais je refuse que l’on aille en rangs dispersés.

On se rend compte que l’unité des sankaristes demeure jusqu’à présent une chimère. Cette unité tant chantée pourra t-elle se faire un jour ?

Depuis l’assassinat de Thomas Sankara, nous avons toujours recherché l’unité, mais en vain. Moi même, je me demande toujours pourquoi ! Est-ce parce que nous sommes malhonnêtes ? Est-ce parce que des gens cherchent à se remplir les poches ? Ou qu’est-ce qui se passe ?

J’ai été par exemple l’un des premiers à commémorer l’anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara. On m’a même mis en garde. Le même Hyacinthe Kafando m’a mis en garde. On m’a raté chez moi à plusieurs reprises. On a cherché à me liquider plusieurs fois !

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Je l’ai senti par l’allure de mes visiteurs. Ils arrivaient et il me disaient : « Bonsoir. Nana Thibaut est là ? ». Quand ils venaient chez moi, vu ma personne, ils ne pouvaient pas imaginer que c’est ce type-là qui hurle pour la cause de Thomas Sankara.

Leurs mines non plus n’avaient rien de rassurant et ces personnes venaient nuitamment avec des véhicules sans numéro d’immatriculation. Donc je vous assure que l’unité des sankaristes n’est pas pour demain. Tant que ceux qui sont là aujourd’hui ne se retrouvent pas autour d’une même table pour discuter.

En fait, c’est une question de personnes. Sinon nous avons la même idéologie ! Sankara a jusque-là beaucoup souffert et il n’a pas d’héritier. Ça c’est clair et net. Et c’est sûr qu’aujourd’hui, il souffre du fond de sa tombe.

Certainement qu’il ne s’attendait pas à cette situation car il aimait à dire « Tuez 1 Sankara et 100 Sankara viendront ». Mais jusqu’à présent, on n’en voit pas un.

Alors, pourquoi avoir créé le RDP au lieu de vous fondre dans les partis sankaristes qui existaient déjà ?

J’ai créé le Rassemblement Démocratique Populaire, suite à une mésentente avec les premiers responsables du Collectif. Courant 98, j’étais à Gaoua pour des projections sur Thomas Sankara. On m’a appelé pour me dire de descendre vite à Ouaga parce que Norbert Zongo a été assassiné. Il fallait donc mobiliser la jeunesse face à cet acte.

Je suis arrivé et j’ai trouvé Halidou Ouédraogo, Ki-Zerbo, Tolé Sagnon, Philippe Ouédraogo et bien d’autres personnes à la Bourse du travail. J’ai donné mon nom. On a demandé de quel bord je suis. Je leur ai dit que je suis sankariste et président de l’Association Thomas Sankara (ATS).

Je leur ai dit que je suis prêt à me joindre à eux pour le combat. Ils ont accepté. Je me suis joint à eux et nous avons démarré le meeting.

En fait, c’est moi qui haranguais la foule. Et quand je ne le faisais pas, les manifestants se sentaient vraiment mal à l’aise. Par la suite, je me suis rendu compte que les gens voulaient politiser la lutte.

Qui sont ces gens ?

Au sein du Collectif, il y a des parvenus. Norbert Tiendrébeogo, Me Bénéwendé Sankara par exemple sont venus après nous au Collectif. A la Bourse du travail, lorsque je prenais le micro, ils sentaient que j’avais du monde derrière moi.

Et vite fait, chacun voulait se prononcer et se faire voir. Un matin, lors d’un meeting, j’ai voulu prendre le micro et on a refusé. J’ai demandé la raison et on m’a dit que « c’est comme ça et que ce sont les premiers dirigeants du Collectif qui en ont décidé ainsi ». J’ai dit « D’accord, il n y a pas de problème ».

Je leur ai dit que je suis pour la lutte contre la mort de Norbert Zongo et de tout autre crime. Mais si les gens veulent déplacer cette lutte pour la politiser, je ne serai pas partant. J’ai claqué la porte et j’ai créé le RDP en 99, pour leur montrer que j’ai du monde derrière moi. J’ai été aux élections municipales et j’ai été élu conseiller municipal de mon secteur.

Aux législatives, bien que n’ayant pas été député, j’ai été classé 7ème avec plus de 8800 voix. Il ne manquait de peu pour que je sois député. Pendant ce temps, ceux qui se tapaient la poitrine n’ont rien eu.

En dehors de votre quartier, pour ne pas dire sous-quartier, votre parti le RDP a-t-il une présence même provinciale ?

C’est comme je l’ai dit plus haut ; on ne crée pas un parti pour se faire de l’argent. On crée un parti pour défendre quelque chose. Effectivement le RDP est un petit parti. Mais il faut commencer petit pour devenir grand. Aujourd’hui, je suis un conseiller municipal et j’ai frôlé la députation.

Prochainement je peux être député ou avoir beaucoup de conseillers municipaux dans plusieurs secteurs. J’avais la possibilité de prendre de l’argent avec les grands commerçants et le distribuer partout. Moi je n’ai jamais voulu de cet argent.

Il y a par contre le financement des partis politiques qui peut nous permettre d’avoir un peu d’argent. Je suis conseiller de mon secteur. Donc j’ai prouvé ma force de frappe au niveau de mon secteur.

Dans l’avenir, je compte prendre en main tous les trente secteurs de la ville de Ouagadougou où nous allons présenter des candidats aux prochaines élections municipales. Moi j’ai travaillé pour prouver aux gens le rôle d’un conseiller municipal. Il consiste à faire d’abord connaître chez soi.

Effectivement, quel est le rôle d’un conseiller municipal ?

Le rôle d’un conseiller municipal ce n’est pas de vendre des parcelles. Il faut avant tout veiller au développement de sa commune et être au parfum de tout ce qui s’y passe. Un exemple : la fois passée, j’ai appelé à plusieurs reprises votre journal.

Il s’agissait d’un cadavre qui a été jeté dans une poubelle à côté de chez moi. C’est pour dire que dans mon secteur, je veille à ce que les choses se passent très bien. D’autres exemples : j’ai toujours demandé aux gens de ne pas jeter les eaux usées sur les voies ou de ne pas ramasser du sable dans les rues.

Même quand il y a des bagarres entre familles, j’interviens. Tout cela fait partie des rôles du conseiller municipal. Je n’ai pas de chance qu’il y ait attributions de parcelles dans ma zone, mais dans les autres secteurs, j’interviens souvent pour qu’il y’ ait un partage juste.

Que gagne t-on en tant que conseiller municipal ?

Nous nous réunissons une fois par trimestre et on nous donne 10.000 francs pour chaque session. Nous sommes loin d’être payés comme les députés alors que nous travaillons autant qu’eux.

L’affaire du terrain de l’ASFA-Y vous a valu un séjour à la Maco. Quel était le problème ?

Le maire Simon Compaoré a eu le courage aujourd’hui de dire qu’il est strictement interdit d’attribuer ou de vendre les réserves administratives. Hier, il l’a dit à 11 h 45 mn. Parlons maintenant de cette réserve.

Mme Fatou Diendéré, qui était le maire de l’arrondissement de Baskuy, l’avait également souligné en son temps. J’avais toutes ces lettres d’interdiction.

Et c’est à la base de ces lettres que j’ai dit qu’il n’est pas question que M. Marin Ilboudo, actuel maire de l’arrondissement de Baskuy accepte attribuer ce terrain à un individu qui n’a même pas les moyens d’investir d’autant plus que c’était le seul terrain qui nous restait pour le sport dans le secteur. En tant que conseiller municipal, je me devais de défendre cette cause. C’est cette prise de position qui m’a amené à la Maco.

Mais quelles ont été les péripéties qui vous y ont conduit ?

Un matin, la gendarmerie de Baskuy m’a amené une convocation disant que c’est sur instruction du procureur et qu’on veut m’écouter. Je m’y suis rendu et on m’a dit à peu près ceci : « M. Thibaut, vous avez créé un soulèvement et les jeunes ont saccagé le bâtiment de M. Gilles Congo ». Je leur ai dit que je ne suis au courant de rien.

Tout ce que je sais est que ce terrain qui est destiné aux jeunes du secteur pour le sport, après le déplacement de l’équipe de l’ASFA-Y. Et en tant que conseiller municipal, je leur ai dit ne pas aussi comprendre que le maire ait attribué ce terrain sans même tenir une réunion du Conseil municipal sur le sujet ! Ils m’ont demandé si j’ai une arme. Je leur ai répondu oui.

Ils m’ont demandé si j’ai les papiers. Je leur ai répondu oui. Ils me répondent alors que c’est faux. Je leur demande pourquoi ils me disent que c’est faux ? En tant qu’homme politique je ne peux tout de même pas porter une arme sans papiers. Ils m’ont dit d’aller amener lesdits papiers. Ce que j’ai fait. C’était clair. Quelques jours plus tard, ils me demandent si j’ai l’arme avec moi et si je pouvais la leur montrer.

J’ai apporté l’arme et jusqu’à l’heure où je vous parle, on ne me l’a pas remise. Pendant ce temps Gilles Congo, lui, me menaçait de mort et j’ai saisi la même gendarmerie. C’était en Février à deux heures du matin. Donc c’était un problème politique et je savais que l’histoire me donnerait raison un jour. Dernièrement, ce n’est pas un mur qu’on a détruit à la Patte d’Oie devant le ministre de l’Administration territorale ?

Et comme je le disais aussi, c’est le maire de la commune du Kadiogo qui annonce aujourd’hui qu’il est strictement interdit d’attribuer une réserve administrative. Un juge a eu même à me dire ceci : « Thibaut, tu as raison mais c’est entre vous politiciens ». Ils ont été corrompus sinon j’avais raison ! Je suis conseiller municipal et ce terrain était un bien de mon secteur.

Mais quelles raisons les gendarmes ont avancées pour confisquer l’arme ?

Ils disent que je détiens une arme avec insécurité. Ils m’ont demandé pourquoi j’ai acheté l’arme. Je leur ai dit que je l’ai acquise pour ma défense. Ils m’ont demandé dans quelles circonstances je l’ai eue.

Je leur ai expliqué qu’une fois nous revenions de Koudougou et des coupeurs de route nous ont arrêtés. Dieu faisant bien les choses, des CRS qui revenaient de Koudougou d’une intervention ont remarqué qu’on nous avait arrêtés pour nous dépouiller.

Ils nous ont conduits jusqu’au poste de police. Ces CRS me feront remarquer que si les voleurs nous abattaient et que j’en faisais partie, étant un homme politique, on allait aussitôt penser que c’est eux qui m’ont fait la peau. Ils m’ont donc conseillé d’acheter une arme pour ma propre protection.

Et tenez-vous bien ! Un juge s’est permis de me dire « M. Nana Thibaut, depuis quand avez-vous appris qu’on a tué quelqu’un au Burkina Faso ? ». Ce jour-là, j’ai pleuré. C’est se foutre de la République !

A l’issue de ce jugement, vous avez été à la Maco. Comment s’est passé votre séjour ?

Quand je suis arrivé à la Maco, beaucoup de gens que j’ai trouvé et qui me connaissaient m’ont dit que c’est incroyable mais vrai, mais qu’ils savaient que je n’y vais pas rester longtemps. J’y ai passé une ou deux nuits, après on est venu m’appeler...

Quel était votre régime ? Avez-vous été mêlé aux délinquants de droit commun ?

Non non non ! J’avais droit à un régime spécial. Il y avait un matelas pour dormir et même la télévision.

Une prison dorée en somme !

Oui, en quelque sorte, une prison à la Nelson Mandela (Rires). J’ai été libéré sans jugement, sans rien. Ils m’ont dit que je suis condamné à six mois de prison avec sursis et que je devais payer cinq millions à M. Congo.

Je leur ai dit que de toutes façon, je n’ai rien et je ne suis pour rien sur l’accusation portée contre moi. J’ai fait appel et jusqu’à présent il n’ y a pas de suite. J’ai même adressé une demande de restitution d’arme. Cela fait bientôt trois ans qu’il n’ y a rien.

Vous venez de recevoir environ trois millions au titre de la subvention de l’Etat aux partis politiques. C’est quand même pas mal pour un parti comme le vôtre !

Effectivement, nous avons reçu 2.900.000 F CFA, juste pour les activités des partis, notamment la mise en place des structures dans les différentes régions. Mais notre parti se limitant au quartier, nous faisons tout pour qu’il soit connu.

Notre prochain objectif c’est d’étendre le parti vers les trente secteurs de la ville de Ouagadougou. C’est la ville de Ouagadougou qui nous intéresse pour le moment.

Mais je vous assure qu’après l’annonce sur le financement des partis politiques, des gens couraient de partout vers nous, des amis et des parents de tous les bords qui pensaient que l’argent était destiné à être distribué. Je leur ai dit que ce n’est pas de l’argent à bouffer ou à distribuer. C’est plutôt pour travailler. Mais beaucoup ne pouvaient comprendre.

Avez-vous déjà fait quelque chose de concret avec cet argent ?

Dans les jours à venir, je vais faire une tournée dans les secteurs pour la mise en place de nos structures. 200.000 francs ont déjà servi à la réparation d’une route du quartier. Pour la journée de la Solidarité, j’ai pris du maïs pour les nécessiteux de mon secteur.

Nous sommes en train de voir également comment réhabiliter le dispensaire de Samandin. Mon principal souci est de pouvoir dire un jour où est parti cet argent.

Vous avez également fait partie des membres de la commission de Réconciliation nationale. Quels souvenirs en gardez-vous ?

J’ai eu à garder beaucoup de relations. Nous avons aussi réussi à amener le Pouvoir à se corriger. Les journées nationales de Pardon, c’est nous qui les avons initiées. De même que l’indemnisation des victimes en politique. Pour les activités, on nous donnait 20.000 francs chaque semaine et quelques bons d’essence.

Votre quartier était à quelques encablures du projet Zaca. Comment avez-vous vécu cette décision gouvernementale ?

C’est en soi une bonne chose si nous voulons que le Burkina se développe. Mais on ne peut pas développer un pays avec rapidité. Pourquoi Thomas Sankara n’est plus là ? C’est la même chose que les mêmes personnes reprochaient à Thomas Sankara.

Et l’histoire ne ment pas. Ceux qui nous gouvernement disaient que Sankara voulait marcher très vite. Maintenant qu’ils ont pris le pouvoir, ils font pire. Et puis, le projet Zaca, ce n’est pas pour les pauvres.

Pourquoi n’ont-ils pas demandé aux habitants de fournir des plans ou à la rigueur leur en proposer ? Aujourd’hui les gens ont reçu des miettes et beaucoup ne se retrouvent plus. Des familles n’arrivent même plus à se nourrir.

C’est vrai que votre quartier a été épargné. Ce déguerpissement ne vous a t-il pas affaibli politiquement, du fait du déplacement de populations autochtones vers de nouveaux quartiers ?

Au contraire, moi ça m’a arrangé ! Les 90% qui étaient à Zanguwétin logent aujourd’hui à Samandin. Et ces arrivants cautionnent ma politique. Donc, ce sont des militants de plus pour moi. Et de votants ! (Rires)

Est-ce que vous vous reconnaissez des adversaires irréductibles dans le milieu de la société civile et politique ?

Toute personne a droit à un adversaire. Çà c’est clair ! Que tu fasses du bon ou du mauvais. Moi, mes adversaires principaux aujourd’hui sont les conseillers municipaux CDP du secteur 7.

Comme nous ne sommes pas du même bord politique, ils cherchent à me nuire mais Dieu fait bien les choses : moi, je suis un homme de terrain. Aujourd’hui à Samandin, on ne peut citer de conseiller municipal sans le nom de Nana Thibaut en bonne place.

Vous n’avez pas d’autres adversaires de plus grande envergure ?

Non non non ! Même s’il y en a, pour le moment, ils ne se font pas voir.

Nous allons vous demander de dire ce que vous pensez des personnes suivantes :

- Simon Compaoré.

C’est le maire de la commune de Ouagadougou. Il est mon premier responsable en tant que conseiller municipal. J’admire son courage. Il travaille bien. Mais Simon a toujours eu un « comportement CDR ». Et il est un peu arrogant.

Quand vous l’approchez, il a souvent des mots qui font mal. A voir par exemple ce qu’il fait aux commerçants, il le fait sans souplesse. Mais c’est quelqu’un qui ne garde pas rancune. Contrairement à ce que pensent certaines personnes. Je le côtoie et nous avons eu à discuter.

Si tu fais quelque chose qui ne plait pas à Simon, il te le fait savoir sur place. Il faut aussi reconnaître que c’est un grand travailleur, comme un CDR. Je l’admire car il travaille, mais il y a son entourage souvent qui joue.

Simon est bon, mais ses petits maires d’arrondissements sont mauvais. En tant que conseiller municipal, je suis bien placé pour le dire. Allez- au secteur 17 pour voir ce qui se passe par rapport au lotissement.

Avez-vous déjà eu maille à partir avec lui ?

C’est peut-être Simon qui a eu des difficultés avec moi. En 2000, il est venu dans mon secteur pour dire que Nana Thibaut n’est rien. Je pense qu’il ne va plus le répéter car ce jour il a été lapidé. Certainement que c’est son entourage qui lui avait dit que je ne maîtrise pas Samandin.

-Marin Ilboudo, maire de l’arrondissement de Baskuy

Marin Ilboudo fait justement partie des gens qui ne disent pas la vérité au maire de la commune ! Ce ne sont que des suivistes. Une fois, lors d’une session, j’ai eu à dire que je suis conseiller municipal par mon courage. J’ai créé mon propre parti et par mes propres moyens je suis devenu ce que je suis. J’ai ajoutéqu’ily a des gens qui vont en campagne et n’osent pas dire à la populationdeles voter comme conseillers municipaux, mais ils vont plutôt dire de voter pour Blaise Compaoré ou Simon Compaoré. Marin ne peut pas se déplacer dans la foule sans Simon ! Ce sont des gens impopulaires !

-Koanda Mahamadi

Il est venu dans la politique pendant la Révolution. Ce ne sont pas vous les gens de l’Observateur paalga qui allez dire le contraire. Même si ce n’est pas un intellectuel, c’est un homme bouillant.

Il a réussi à être député. Car pour être député, les études ne sont pas indispensables. Il faut seulement avoir du monde derrière soi. Politiquement, il a donc beaucoup évolué. C’est quelqu’un que j’admire pour son courage. Il était au secteur 5, moi j’étais au 7.

Seulement il y a eu les rumeurs qui ont couru qu’il était à la base de l’incendie de l’Observateur paalga. Pendant les événements du projet Zaca également, on l’accusait de monter la population contre ledit projet. Par la suite, j’ai également appris qu’entre lui et Simon, ça n’allait pas et qu’ils ne se saluaient pas publiquement.

-Halidou Ouédraogo

C’est à partir du mouvement du Collectif qu’on s’est beaucoup frotté. Je loue son courage mais à un moment donné, je trouve qu’Halidou a baissé les bras. Et beaucoup de jeunes disent que c’est Halidou qui a fait que le pouvoir n’a pas eu beaucoup de problèmes.

Il a calmé les ardeurs des gens. Je le comprends, parce qu’à l’époque, le pouvoir en place était impitoyable, et il y aurait eu effusion de sang.

-Me Hermann Yaméogo

Voilà quelqu’un qui à un moment donné avait fourni un travail concret. Par la suite, il a un peu reculé. Si aujourd’hui l’opposition est en panne, c’est par la faute d’Hermann Yaméogo.

En 91, si vous vous rappelez, il y a eu un mouvement qui disait non à l’ODP/MT de l’époque. Il a cassé le mouvement. Il le regrette aujourd’hui, mais c’est tard. Aujourd’hui il est un homme à abattre pour le pouvoir et c’est lui qui l’aura voulu.

Autrement, Hermann aurait dû être aujourd’hui le second président après Blaise. Mais il a failli à sa mission.

Quels sont les vœux politiques que Nana Thibaut a à l’adresse du peuple du Burkina pour l’année 2005 qui est une année d’élections ?

Je demande aux gens de rester dignes. Il vaut mieux voter pour quelqu’un que vous connaissez plutôt que de prendre 500 francs ou du zom-kom pour aller voter un inconnu. Je demande donc au peuple entier de sortir massivement pour voter.

Il y en a qui se disent que ce n’est pas la peine de sortir voter. Et Blaise et le CDP vont passer encore ! C’est grave ! ! Allez voter ! Ne votez pas un parti, mais votez plutôt un individu. Pourquoi aller voter un parti derrière lequel se cachent des gens que vous ne connaissez pas et qui ne chercheront pas à vous faire du bien ? C’est le problème en Afrique.

On ne vote pas un parti, on vote un individu. Exemple : chaque jour qui passe dans mon quartier, moi je reçois des gens qui viennent m’expliquer leurs problèmes. Donc votez les gens que vous connaissez et vous verrez s’il y a changement ou pas ! Pour quelques francs, vous allez voter des gens que vous allez supporter pendant des années.

Est-ce à dire que Nana Thibaut, on ne peut pas l’acheter ?

Non, on ne peut pas. Si je l’acceptais, peut-être que depuis longtemps, je roulais en Patrol et logeais dans une grosse villa. Il y a tellement de propositions que j’ai rejetées. Mais je préfère garder cela pour moi. J’ai toujours été du côté des plus démunis.

Entretien réalisé par Issa K. Barry
L’Observateur Dimanche (N°450 du 14 janvier 2005)

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