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Professeur Jean Didier Zongo : « On ne gère pas une exploitation agricole comme on gère une usine de fabrication de plastique… »

Publié le vendredi 18 octobre 2013 à 23h43min

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Professeur Jean Didier Zongo : « On ne gère pas une exploitation agricole comme on gère une usine de fabrication de plastique… »

Jean Didier Zongo est Professeur titulaire de génétique et d’amélioration des plantes à l’université de Ouagadougou. Je l’avais rencontré en mars dernier à Laval, dans le département de la Mayenne, dans l’Ouest de la France, lorsqu’il était venu participer à un Forum sur l’agriculture burkinabè organisé par l’Union des Burkinabè du Grand Ouest de la France (UBGOF) en collaboration avec le comité de jumelage Laval-Garango. (Voir Lefaso.net du 25 mars 2013). Dans sa communication, il avait souligné importance de l’agriculture dans les économies des pays africains.

L’agriculture est le secteur qui produit l’essentiel des denrées alimentaires, représente 34% du PIB et 40% de la totalité des exportations de marchandises et emploie 70% de la population. C’est aussi la principale source de matières premières pour l’industrie. Il avait aussi noté qu’en raison de la pauvreté des sols résultant de leur surexploitation, du déficit hydrique, des sécheresses, de la faible utilisation des intrants et surtout du faible niveau des paysans, l’agriculture africaine était de faible production.

Il avait révélé qu’au Burkina, sur 9 millions d’hectares cultivables, seulement 3,7 millions sont effectivement cultivées tandis que l’irrigation (maitrise de l’eau) n’occupe que 0,6% des superficies cultivées et 15% du potentiel irrigable, estimé à 165 000 ha. Selon lui, la sous exploitation de ces potentialités s’explique par le manque de techniciens qualifiés en nombre suffisant, une situation qui risque d’empirer dans les dix prochaines années avec le départ à la retraite d’environ 50% du personnel actuel de la fonction publique, combiné à une offre de formation très limitée.

Afin de répondre à la forte demande en formation dans les métiers agricoles, il a créé l’Institut supérieur des sciences et technologies agricoles- (ISSTA) Zaongo Hilaire. L’établissement a ouvert ses portes en 2011-2012 avec des formations dispensées en BTS et licence agricole et cette année, l’option Master est proposée dans quatre filières, notamment en productions végétales, animales, gestion des exploitations agricoles et ressources biologiques.

Alors que les cours ont commencé en BTS agricoles et à quelques semaines du début effectif des cours en licence et Master, le Professeur Zongo et son équipe pédagogique nous ont reçus la semaine dernière dans les locaux de l’établissement, sis Rue 17.53, dans le quartier Pissy du secteur 17 de Ouagadougou.

Quelle est la philosophie générale de l’établissement ? Quel est le contenu des formations dispensées et à qui s’adressent-elles ? Quelles sont les débouchés espérés à l’issue des formations ? Explications.

Quelle est la situation actuelle de l’offre en matière de formation aux métiers agricoles ?

A l’heure actuelle, l’offre de formation dans les métiers de l’agriculture est très limitée à tous les niveaux, primaire, secondaire et supérieur. Dans l’enseignement supérieur, il y a l’Institut du développement rural (IDR) que nous avons tous contribué à créer et qui est maintenant transféré à Bobo-Dioulasso, et le Centre agricole polyvalent de Matourkou. Ces deux institutions forment des ingénieurs, mais Matourkou est la seule structure publique qui forme des BTS agricoles. Dans le privé, il y a le lycée agricole de Nanoro et l’Ecole des Sciences et techniques de production agricole, animale et alimentaire (ESTP-3A), deux établissements qui ont initié la formation de BTS agricole. L’offre est donc faible par rapport à la demande, et à titre d’exemple, seulement 1,39% à 4,67% de candidats au concours de recrutement pour la formation de BTS agricole lancé par le ministère de l’Agriculture sont reçus. Quand à l’IDR qui recrute des titulaires de DEUG, pour la rentrée 2011, seulement une soixantaine de candidats ont été retenus sur 172 candidats.

C’est paradoxal pour un pays à vocation agricole…

C’est le moins que l’on puisse dire ! Il faut donc faire quelque chose et c’est ce qui nous a motivés à créer l’ISSTA et à proposer des formations de techniciens qui soient capables de travailler directement avec les agriculteurs. Nous offrons une formation professionnalisante et notre souci est de faire en sorte que celui qui sort de l’ISSTA soit en mesure de s’installer comme un entrepreneur agricole, qu’il soit capable de créer et gérer une exploitation agricole, agricole étant entendu dans le sens le plus large, c’est-à-dire la production végétale, animale et environnement. Nous avons une formation initiale qui s’adresse aux diplômés universitaires, des BTS agricole, la licence professionnelle agricole et le Master professionnel agricole aussi. Dans les trois options, il y a la production animale, végétale, environnement, c’est-à-dire la foresterie, ce qu’on a souvent oublié. J’insiste sur ce dernier point car dans notre pays, on voit très rarement quelqu’un qui exploite des forêts. Au contraire, on ne pense qu’à abattre la forêt, et même ceux qui s’approprient 10, 20 ou 10 ha, ne pensent pas du tout à édifier une partie en forêt ! Pourtant ailleurs, des gens érigent une partie de leur propriété en forêt où des mateurs de chasse payent pour satisfaire leur passion. Il faut donc expliquer à nos compatriotes qu’il est possible de gérer une exploitation forestière et d’en vivre ; c’est pourquoi nous proposons cette option dans nos formations.

Combien de temps durent les différentes formations que vous proposez ?

Pour les étudiants possédant le BAC, ils peuvent préparer le BTS en deux ans dont un stage la première année et un examen officiel à la fin qui est national. Vous entendrez souvent parler de DTS, le Diplôme de technicien supérieur, qui est en fait une création des établissements eux-mêmes, un diplôme maison qui n’est pas national. Comme les gens redoutent les résultats nationaux, ils créent un diplôme maison et cela peut parfois créer des confusions.

Pour ceux qui sont titulaires d’un BAC +2, c’est-à-dire l’équivalent de l’ancien DEUG (Diplôme d’études universitaires générales), ils peuvent faire la licence professionnelle dans les filières évoquées plus haut en une année. Il y a enfin ceux qui viennent avec la licence et qui font le Master en deux ans. L’ouverture d’un troisième cycle est actuellement à l’étude parce que nos enseignants ont les qualifications nécessaires puisqu’ils sont tous enseignants à l’université.

Sans posséder de connaissances appropriées, de plus en plus de Burkinabè se lancent dans des activités agricoles et de l’élevage. Avez-vous pensé à leur proposer quelque chose ?

Bien évidemment ! Nous avons institué ce que nous appelons la formation continue, qui est destinée à ceux qui n’ont pas de diplôme dans l’agriculture et qui ont besoin d’une formation pratique et une attestation. Ils peuvent se former en agriculture biologique (2-3 mois en cours du soir), mais ceux qui auront choisi de faire tous les modules en agriculture, recevront un certificat d’agriculture parce qu’ils ont parcouru tous les domaines de l’agriculture. Même chose en élevage avec les caprins, bovins, animaux sauvages, etc., tous les types d’élevage ou d’embouche bovine, caprine, etc. Là également, ceux auront fait tout recevront un certificat d’embouche, c’est-à-dire qu’ils sont aptes à faire tous les types d’embouche ou l’élevage de volaille.

Nous allons commencer la formation continue cette année puisque nous avons ouvert en septembre 2012 pour les formations initiales. Pour l’instant, beaucoup ignorent notre existence et vous savez que les Burkinabè sont devenus très méfiants et attendent de voir avant de s’y engager. En BTS, ce sont des cours du jour et la présence est obligatoire, ce qui n’est pas le cas en licence et en Master où les cours, destinés aux travailleurs, sont dispensés le soir. En BTS, les cours ont déjà commencé depuis octobre et les inscriptions se poursuivent, mais en licence et Master, les cours débuteront en décembre, le temps que les étudiants aient leurs résultats à l’université aussi bien à Ouaga qu’à Bobo.

Quelles sont les critères d’admission pour la formation continue ?

Pour la formation continue, il n’y a pas vraiment de critères définis si ce n’est avoir l’envie de se former dans le but de faire l’élevage de poulets, de porcs, etc. L’expérience a montré que ceux qui s’y lancent dans de telles activités sans formation évitent rarement la faillite au bout de deux, trois ans ; il faut donc une formation de base et c’est ce que nous offrons ici à l’ISSTA.

Il y a d’abord l’aspect technique de la formation : comment choisir l’emplacement de la ferme et comment la construire ? Quelles races faut-il choisir d’élever, comment les nourrir, les soigner ? Autant de questions auxquelles nous apportons des réponses dans les formations. Ce n’est pas tout, au contenu technique, nous y ajoutons des formations sur la gestion des exploitations. Beaucoup de gens échouent parce qu’ils confondent capital, chiffre d’affaires et bénéfice et ils ne savent pas qu’on ne gère pas une exploitation agricole comme on gère une usine de fabrication de plastique, tout simplement parce qu’on y a à faire à des êtres vivants. Faites le tour de Ouagadougou et vous verrez qu’il y a plein de fermes qui ne marchent plus du tout. Pour l’élevage, on leur donne des connaissances sur la manière de produire le fourrage parce qu’on ne peut plus laisser les animaux divaguer comme avant. La formation dure une soixantaine d’heures le soir et les horaires sont flexibles pour tenir compte des obligations des travailleurs

Vous avez choisi comme slogan : « L’agriculture, un métier d’avenir ». Pensez-vous vraiment que les métiers agricoles attirent les jeunes et que l’image de l’agriculteur s’améliore dans l’opinion ?

Oui, nous sommes convaincus que l’agriculture est un métier d’avenir. Vous entendez bien les responsables politiques prôner la valorisation des métiers agricoles en parlant d’agro-business. Si vous prenez par exemple l’axe Ouagadougou Fada, jusqu’à Linoghin, il n’y a plus un mètre carré libre ; tout est acheté et c’est pour y pratiquer des activités agricoles. Vous savez, le mode de consommation des Burkinabè a beaucoup changé et lors des mariages ou fêtes, c’est la viande qui est plus demandée. Le poulet qui coûtait entre 500 et 750 F CFA il y a quelques années est passé à 2000, voire 3000 F CFA ! Celui qui sait gérer une ferme peut bien s’en sortir et gagner dignement sa vie et pour cela, il lui faut acquérir des compétences pour gérer ce type d’entreprise.

Quant à l’image du métier d’agriculteur, elle change positivement parce qu’on voit souvent à la télévision, des agriculteurs qui s’en sortent bien et certains reçoivent des prix lors des foires et autres manifestations agricoles. Les gens comprennent de plus en plus en plus qu’il faut s’intéresser au travail de la terre. Nous connaissons pas mal de gens qui font fortune dans l’agriculture, par exemple dans la production de semences et dans les années à venir, il faudrait qu’ils embauchent des salariés ayant un niveau de formation élevé de sorte à apporter un plus au fonctionnement de la production et de l’entreprise.

Ici à l’ISSTA, nous sommes tous des enseignants d’université, mais en contact permanent avec les jeunes, le milieu rural également et les associations. Nous voyons qu’à l’université beaucoup d’étudiants sortent avec des diplômes et un niveau bien élevé, mais pratiquement, ça ne leur sert pas vraiment. Soit ils se lancent dans l’enseignent, soit ils font un autre métier qui n’a rien à voir avec la formation initiale. Pour un agronome de formation, il peut rester dans l’enseignement par choix, mais il peut aussi s’installer en tant que producteur, ce qui n’est pas le cas dans plusieurs filières.

Avez-vous des accords avec des fermes pour faciliter les stages des étudiants ?

Pour les travaux pratiques et les stages, nous nous appuyons sur les fermes qui sont fonctionnelles sur l’ensemble du territoire surtout autour de Ouagadougou. Nous avons aussi notre propre ferme d’exploitation que nous sommes en train de construire sur un terrain de 7 ha à Boulbi, à une dizaine de km au sud de Ouagadougou, sur la route de Saponé. Ce site nous permettra de mener toutes les activités liées aux formations que nous dispensons, y compris les stages et les travaux pratiques

L’ISSTA est-il un établissement conventionné ?

Non pas encore. Nous sommes un établissement 100% privé et vous savez que pour être conventionné, il faut avoir une certaine expérience, ce que nous n’avons pas pour l’instant. Mais le BTS est un examen national, de même que la licence et le Master. Nous avons déposé un dossier complet avec le contenu des programmes et les CV des enseignants, ce qui nous a permis d’avoir l’autorisation de création, puis l’autorisation d’ouverture. Quand nous aurons sorti une promotion de BTS, nous pourrons alors signer une convention avec l’Etat et déposer un dossier au CAMES et je ne doute pas que notre requête sera acceptée. Nos enseignants viennent des universités de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, et surtout des professionnels du ministère de l’Agriculture, de l’Environnement, des Ressources animales, qui ont l’avantage d’avoir la formation théorique et la pratique. Ce sont des gens pétris d’expérience et qui donnent des exemples d’illustration devant les étudiants dans les cours. Sans leur jeter des fleurs, je pense pouvoir dire qu’en termes de qualité des enseignants, on ne peut pas trouver mieux au Burkina que ceux assurent les cours à l’ISSTA.

Propos recueillis par Joachim Vokouma, Lefaso.net (France)

Contacts ISSTA : Rue 17.53, secteur 17, quartier Pissy ; tél : 00226 50 41 13 14/ 50 43 23 03 ; Courriel : info@isstazh.net/ issta2012@yahoo.fr ; site Web : www.isstazh.net

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