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Charles Blé Goudé. Un ticket pour La Haye ? (1/2)

Publié le vendredi 4 octobre 2013 à 19h27min

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Charles Blé Goudé. Un ticket pour La Haye ? (1/2)

La Côte d’Ivoire n’en finit pas avec son histoire immédiate. Elle lui pourrit la vie. Dans quelques semaines, le 31 octobre 2013, cela fera trois ans qu’a été organisé le premier tour d’une présidentielle qui ne l’avait pas été depuis dix ans ; Laurent Gbagbo avait alors conquis le pouvoir dans des conditions « calamiteuses ». Le 2 décembre 2010, la commission électorale indépendante proclamera la victoire d’Alassane D. Ouattara au deuxième tour, organisé le 30 novembre 2010.

On connaît la suite : plus de 3.000 morts (essentiellement des civils qui n’avaient rien à voir avec la « guerre des chefs ») ; la capture de Laurent et Simone Gbagbo le 11 avril 2011 ; l’investiture de ADO le 21 mai 2011. Pour autant, le pays ne connaît pas la sérénité. C’est le moins que l’on puisse dire. A deux mois du vingtième anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny (7 décembre 1993), chantre du « dialogue », la Côte d’Ivoire n’est plus ce qu’elle était. Notamment au niveau de l’image. Reste à savoir ce qu’est ce pays aujourd’hui !

Lui-même ne le sait plus. Les « houphouëtistes » se déchirent. Au PDCI, le parti historique qui a été au pouvoir pendant quarante ans, les tensions sont fortes à la veille de son congrès. Le RDR, parti au pouvoir, se pose des questions sur son devenir. Le FPI, parti d’opposition, est moribond. Gbagbo, son fondateur, qui a présidé le pays pendant dix ans, est incarcéré à La Haye où il devrait comparaître devant la Cour pénale internationale (CPI), l’audience de confirmation des charges devant avoir lieu en début de semaine prochaine (en principe le 9 octobre 2013). Et la CPI aimerait bien qu’il y soit rejoint par son épouse, Simone. Mais Abidjan n’entend pas laisser partir l’égérie du FPI, la reine de la haine, la mère de toutes dérives politiques et criminelles de la Côte d’Ivoire. « Une décision politique » dit-on dans la « capitale » de la République de Côte d’Ivoire qui affirme avoir « une justice en état de marche » apte à porter un « jugement équitable, objectif, indépendant ». On pensait le dossier CPI refermé, au moins provisoirement, et voilà qu’hier, mardi 1er octobre 2013, était rendu public le mandat d’arrêt lancé par la CPI contre Charles Blé Goudé. Une vraie star, ce Blé Goudé ; une tête d’affiche. Laurent, Charles et Simone à La Haye, ce serait le père, le fils et le… mauvais esprit.

Blé Goudé a été arrêté au Ghana le jeudi 17 janvier 2013. On pensait alors qu’il irait directement à La Haye. Mais c’est dans un lieu de détention tenu secret que le leader des « Jeunes Patriotes » a été détenu. Aussitôt, un comité de défense s’est constitué et son avocat s’est mobilisé. Pas n’importe qui : Nick Kaufman. Un nom d’aventurier de BD, version années 1960. Cet Israélien, fils d’un chirurgien, né à Liverpool, élevé à Birmingham, formé à l’université de Cambridge, a décidé, en 1993, à vingt-cinq ans, d’immigrer en Israël.

Il rejoindra alors le bureau du procureur du district de Jérusalem avant d’être, en 2005, le premier procureur israélien à participer à une procédure judiciaire à la CPI. Expert en droit international, il va s’installer comme avocat dans le quartier Pisagat Ze’ev de Jérusalem, avec des clients très typés : Aleksandar Cvetkovic (mis en cause dans le massacre de Srebrenica) ; Kaing Guek Eav (« camarade Duch », chef de la prison de Tuol Sleng, à Phnom Penh, au temps des Khmers rouges) ; Callixte Mbarushimana (un Hutu mis en cause dans les viols collectifs exercés par les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda – FDLR) ; Jean-Pierre Bemba (ancien vice-président de la RDC) ; Nadia Cohen (veuve de l’espion israélien Eli Cohen) ; Joseph Bony (leader de l’Armée du Seigneur en Ouganda) ; la famille de Mouammar Kadhafi…

Kaufman a une vision spécifique de la CPI. « Le tribunal de La Haye, dit-il, est devenu l’arène dans laquelle les dirigeants africains règlent des comptes politiques ». Autant dire que, selon lui, cela n’a rien à voir avec la justice. Blé Goudé, dont les exactions sont, hélas, « historiques » (cf. LDD Spécial Week-End 0568/Samedi 19-dimanche 20 janvier 2013), ne fera pas tâche dans son écurie. D’autant moins qu’ils ont la même perception de la CPI : « une arène politique ». « Je suis prêt à aller à la CPI parce que je ne me reproche rien » a-t-il déclaré à l’AFP (d’après Le Monde.fr du 27 juin 2012). Il ajoutait sans rire : « Je ne suis pas un partisan des armes, je n’ai jamais entretenu une seule milice. Si pour avoir organisé des marches de protestation, la CPI veut-bien m’inviter, je n’ai aucun problème à comparaître devant la CPI […] Je suis prêt à aller à la CPI pour qu’on sache enfin en Côte d’Ivoire qui a fait quoi ». Selon lui, ce sont « les différentes classes politiques vieillissantes en Côte d’Ivoire [qui] sont à la base de la crise dans notre pays ». Autrement dit Bédié et Ouattara. « A la mort d’Houphouët-Boigny, ne voulant pas céder le fauteuil à Henri Konan Bédié comme le recommandait l’article 11, une guerre a éclaté entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara. La suite on la connaît : coup d’Etat et autres, jusqu’à ce qu’on arrive à la crise de 2002 » (Les Afriques du 28 décembre 2011 – entretien avec Rodrigue Fénelon Massala). Il s’est aussi appuyé sur les « révolutions arabes » pour justifier les actions menées alors : « Nos sommes descendus dans la rue pour nous opposer aux armes […] C’est loué non ? [Mais] on nous a traité de miliciens ».

Dans un entretien avec Pierre Cherruau et Philippe Duval, publié par SlateAfrique le 15 septembre 2012, il disait sans ambages : « Monsieur Ouattara divise les Ivoiriens et suspend les journaux de l’opposition […] Il traque, il emprisonne, il enlève tous ceux qui pensent autrement que lui […] Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire, c’est une dictature ». Pour ce qui est de son action, rien à craindre : « Si quelqu’un doit être récompensé et félicité pour ses activités en faveur de la paix, c’est Blé Goudé Charles [il aime à parler de lui à la troisième personne]. Il faut le reconnaître humblement. J’ai permis à la Côte d’Ivoire d’éviter la catastrophe à plusieurs reprises. Malheureusement, ce n’est pas reconnu » (entretien avec Pascal Airault et Philippe Perdrix, Jeune Afrique du 5 juin 2011).

C’est dire que le retour de Blé Goudé sur la scène ivoirienne a été un événement politique au lendemain de son arrestation le jeudi 17 janvier 2013 et de son transfert depuis le Ghana. La question était simple : « Qu’en faire ? ». On avait promis le pire à Ouattara. « Son arrestation va accroître les rancœurs et la méfiance entre les Ivoiriens et constituer un obstacle pour le retour d’un climat social apaisé », avait pronostiqué Joël Poté, président intérimaire du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP), fondé par Blé Goudé qui entendait en faire non pas un parti mais « un groupe de pression ». Mais pour la majorité des Ivoiriens, Blé Goudé c’est du passé ; et la population a actuellement bien d’autres « chats à fouetter ». Politiquement, la donne est différente. On a dit (cf. LDD Côte d’Ivoire 0389/Lundi 21 janvier 2013) que Blé Goudé a été « l’initiateur du récent dialogue de Dakar entre le pouvoir et le FPI » (dialogue dans lequel s’est investi le président Macky Sall et mené sous la férule de Stéphane Kipré, gendre de Gbagbo et proche de Blé Goudé).

N’oublions pas non plus que le leader des « Jeunes Patriotes » a, parfois, été pris en considération par les « intellectuels » africains qui étaient engagés dans une lutte d’influence contre la politique africaine de Nicolas Sarkozy. C’est ainsi que son livre « Crise ivoirienne. Ma part de vérité », publié en 2006 par Frat Mat Editions, a été préfacé par l’ancienne ministre malienne Aminata Traoré : « Je vois en lui, écrivait-elle alors, un jeune homme comme des millions d’autres qui, à l’échelle du continent, attendent de leurs aînés écoute et accompagnement afin de se frayer un chemin dans un monde de plus en plus tourmenté, hypocrite et cynique […] Vivement le réveil des consciences en Afrique afin que nous cessions de nos tromper d’ennemis et de guerre ».

Blé Goudé n’est plus ce bâton de dynamite qu’il a été, autrefois, en Côte d’Ivoire. Les temps ont changé. Mais s’il n’a plus de capacité de nuisance, il demeure dépositaire d’une « part de vérité » sur les événements qui ont marqué « l’histoire immédiate » du pays. Une « part de vérité » qui pourrait être dérangeante pour quelques nantis d’aujourd’hui.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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