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Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

Publié le lundi 23 septembre 2013 à 22h00min

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Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

Au-delà du bilan humain, qui sera nécessairement dramatique (à l’heure de la rédaction de cette « Dépêche », on annonce déjà 69 morts mais personne ne sait combien d’otages sont aux mains des shebabs), c’est la stratégie choisie par les assaillants et la symbolique des lieux qui doivent être retenues.

Le Kenya n’a jamais été épargné par la violence dans son histoire récente. Sans remonter à l’insurrection Mau Mau, au temps de la colonisation, dans les années 1950, il faut rappeler l’attentat contre l’ambassade américaine à Nairobi. Installée en centre-ville, elle avait provoqué des dégâts collatéraux considérables : 213 morts. C’était le 7 août 1998. Les affrontements inter-ethniques post-électoraux en 2007-2008 ont provoqué, officiellement la mort de 1.133 personnes. Des tentatives d’attentats sont régulièrement déjouées. On se souvient des missiles tirés, sans atteindre leur but, contre un vol charter israélien le 28 novembre 2002.

Tout au long du week-end, les infos des télés ont égrené le nombre des morts. Quand des centaines « d’innocents » sont victimes d’attentats particulièrement meurtriers en Syrie, au Pakistan, au Liban, au Nigeria… sans oublier la Somalie que tout le monde, pourtant, oublie. Sauf les shebabs. Et c’est pour se rappeler à l’opinion internationale qu’ils ont entrepris cette action spectaculaire : 69 morts en Somalie, cela ne risque pas d’émouvoir grand monde ; 69 morts à Nairobi, dans un lieu public qui vise à symboliser la réussite économique et sociale du Kenya, le Westgate Mall, cela frappe les esprits.

Il n’est pas nécessaire de connaître l’Afrique pour connaître le Kenya. Le pays évoque depuis toujours les safaris, les plages de sable blanc de l’océan Indien, le Kilimandjaro (qui, cependant, se trouve sur le territoire de la Tanzanie voisine), les Masaï, « la chasse au lion à l’arc », Ernest Hemingway, « Out of Africa » et, depuis que Barack Obama a conquis la Maison-Blanche, le pays de son père.

Nairobi est une ville blanche, jaune et noire. Son centre, blanc, a longtemps conservé cet aspect « so british » avec ses hôtels victoriens, ses larges avenues, ses policiers à motos en short et casque colonial, la tour immense du Hilton dont on disait que le dernier étage était occupé par les services de la CIA, les immenses pelouses du Parlement, le campus verdoyant de l’université. L’image rassurante et exotique du « bon nègre-bon boy » véhiculée par le cinéma hollywoodien et la littérature d’avant l’indépendance.

Au-delà du centre, le deuxième cercle était celui des Indiens : commerce, banques, services… Une implantation ancienne ; la première classe moyenne « africaine ». A la périphérie, le troisième cercle, celui des ghettos noirs. Nairobi est une capitale touristique mais aussi une capitale internationale dès lors que les Nations unies et les grands médias y ont installé leurs services. Située en altitude, elle est une ville facile à vivre pour les « occidentaux ». Il suffisait de regarder les images des clients évacuant le Westgate Mall conquis par les shebabs pour percevoir que l’assaut avait été donné contre un symbole de « l’occidentalisation » du pays. Des « Blancs », des Indiens, quelques Africains « noirs ». Le bilan des morts et des blessés, d’ores et déjà, confirme « l’internationalisation » des victimes : des Européens, des Américains… Ce qui enfièvre bien plus les médias occidentaux que les morts que l’on ramasse quotidiennement en Somalie. Les shebabs, d’emblée, ont réussi leur coup. Ce qui est certain, c’est que la sécurité kenyane et les services occidentaux ont raté le leur.

Le Kenya, chacun le sait, est dans le collimateur des shebabs. Rien de surprenant à cela, le pays est frontalier de la Somalie, accueille sur son territoire les plus importants camps de réfugiés (qui sont autant de centres de recrutement pour les shebabs) et s’est militairement engagé sur le terrain. Après bien des déboires, les troupes kenyanes ont finalement conquis plusieurs villes de l’Ouest de la Somalie, notamment le port de Kismaayo, permettant de mieux sécuriser la capitale : Mogadiscio. Cet engagement militaire et la connexion entre Nairobi et les capitales occidentales dans la lutte contre les « pirates » somaliens dans l’océan Indien avaient déjà enflammé la côte kenyane. Mombasa, la « capitale » balnéaire du pays (et même de la côte africaine de l’océan Indien), a été le cadre de prises d’otages d’occidentaux qui, parfois, se sont terminées dramatiquement. Mais rien à voir avec l’assaut du Westgate Mall, un samedi, à Nairobi. Qui a été une opération massive et structurée, nécessitant l’infiltration de dizaines d’hommes et la mise en place d’une logistique importante, notamment pour équiper en armes ce commando.

Or, tous les services secrets « occidentaux » sont présents à Nairobi : les Anglais bien sûr et les Américains, mais aussi les Français (on se souvient de l’opération ratée de la DGSE, en janvier 2013, pour libérer son agent retenu en otage en Somalie), les Israéliens, les Allemands… Manifestement, personne n’a rien vu venir. Ce qui semble incroyable. Comme il semble incroyable qu’un centre commercial tel que le Westgate Mall, dont des actionnaires sont des hommes d’affaires israéliens, n’ait pas fait l’objet d’une sécurisation particulière. Le Westgate Mall ce n’est quand même pas le boutiquier indien du coin de la rue… !

Pour les shebabs, c’est une opération qui apparaît, quelle qu’en soit l’issue, une réussite majeure : tout au long du week-end, KTN, la chaîne kenyane (relayée en continu par les chaînes internationales) a filmé la fuite éperdue des clients du Westgate Mall, l’impréparation de la police et de l’armée face à cette agression, la subordination des services de sécurité du Kenya à des services « étrangers », les discours foireux d’Uhuru Kenyatta promettant rapidement le pire aux assaillants alors que les shebabs, eux, le faisaient subir aux clients du Westgate Mall, l’incapacité des autorités à reconquérir et à sécuriser un des symboles de l’ancrage occidental en Afrique orientale.

Dix, quinze, vingt hommes ( ?) auront ainsi semé la terreur pendant plus de 48 heures dans une des capitales africaines les plus « modernes » du continent. On imagine ce qui pourrait se passer ailleurs*. Et le traumatisme qui va être celui de la « bourgeoisie » kenyane et de sa classe politique. Personne ne peut douter, d’ailleurs, que Kenyatta va, désormais, surfer sur cet événement dramatique. Il est, depuis le 4 mars 2013, le quatrième président du Kenya ; le fils du fondateur du Kenya indépendant, icône du Mau Mau, qui avait choisi un « blaze » symbolique (le nom civil de Jomo Kenyatta était Johnstone Kaman Ngengi). Uhuru Kenyatta est, rappelons-le, inculpé de crime contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) à la suite des émeutes de 2007-2008. Son vice-président, William Ruto, est lui, actuellement, devant la CPI et a été autorisé à prendre une semaine de « congé » pour se rendre au Kenya.

C’est dire qu’il y aura un avant et un après Westgate Mall. Certes, ce n’est pas le « 11-septembre », mais, six mois après l’accession au pouvoir de Uhuru Kenyatta, c’est un sérieux avertissement au pouvoir kenyan, allié de « l’Occident » : des terroristes liés à Al Qaeda peuvent y faire ce qu’ils veulent quand ils le veulent. Nul doute que Nairobi va instrumentaliser cet événement. Mais les shebabs aussi. Car l’impact médiatique (et économique) de ces 69 morts - dont plusieurs « occidentaux » - sera bien plus fort que les dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants massacrés, chaque week-end, dans le Nord du Nigeria, par Boko Haram.

* C’est une nouvelle étape dans les opérations de prise d’otages. Après la piraterie aérienne et les détournements d’avion « inaugurés » dans les années 1970, puis la piraterie maritime dont l’océan Indien et le golfe de Guinée sont devenus des pôles majeurs, voici donc venu le temps de la prise d’otages dans des centres commerciaux dont la sécurisation est bien plus difficile et où les complicités peuvent s’exercer à tous les niveaux (y compris celui des chargés de la sécurité). Les grands hôtels ont déjà été la cible en Asie de groupes terroristes islamiques ; en Afrique, le Westgate Mall est une « première ». Et, bien plus, risque fort de n’être qu’une première étape.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 23 septembre 2013 à 21:22 En réponse à : Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

    Ah ah, pauvres africains.

    Bientôt a Rood woko....

    • Le 24 septembre 2013 à 09:26, par L’expert En réponse à : Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

      Je ne souhaite pas que ce genre de situation n’arrive pas à mon pays. Mais je suis au regret d’affirmer que si une situation similaire arrivait chez nous ; notre réaction allait être comme ce qui se passe actuellement au Kenya. NULLE.
      Pour des raisons Politiques, la majorité des pays Africains ne veulent pas de vrais unités anti-terroristes, surtout CONTRE-TERRORISTE.
      Pouvoir et opposition concertez vous et ne bradez pas notre sécurité. Il est toujours temps de bien faire.Ca n’arrive pas qu’aux autres.

  • Le 24 septembre 2013 à 08:15, par johnblacksad En réponse à : Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

    Les religions sont un désastre mais il y en a une particulièrement qui fait bien chier en ce moment.

  • Le 24 septembre 2013 à 09:38, par L’expert En réponse à : Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

    Lutter contre le terrorisme en milieu urbain n’est pas une question militaire ou de volonté, c’est une affaire de spécialistes. Le terrorisme urbain est le prolongement de l’infraction pénale. Le Burkina Faso recèle de spécialistes dans ce domaine.

    Voyez comment le Kenya patauge !! Manque de spécialistes et de moyens !!
    Que de morts !! C’est dommage.

  • Le 24 septembre 2013 à 11:24 En réponse à : Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

    Pourquoi parler d’une grande première dans votre titre ? Que ce soit des attentats meurtriers, des prises d’otages sanglants, etc. le résultat est le même seule la méthode de ces terroristes est différente. Parler d’un avant ou d’un après Westgate mall ne veut rien dire avec les multiples actes terroristes que l’on voit chaque jour à travers le monde et le Kenya a déjà été touché à plusieurs reprises.

  • Le 24 septembre 2013 à 17:47 En réponse à : Westgate Mall à Nairobi : Une grande première. Qui ne sera pas une dernière !

    Au delà de l’évènement du jour, il faudrait vous poser la question pourquoi le terrorisme sous toutes ses formes se développe partout dans le monde ? ne serais-ce pas la faute d’un libéralisme débridé à tout va qui écrase une majorité dans la misère dans tous les pays du monde alors qu’une petite minorité vit dans le luxe indécent. Les inégalités depuis plus de 30 ans ne font que croîtrent dans pratiquement tous les pays du monde au Nord, au Sud, à l’Ouest et à l’Est. La croissance de la misère, des inégalités, des injustices, des paradis fiscaux, etc. sont le terreau fertile de ces terroristes. Cela ne pardonne pas les actes sanglants qu’ils revendiquent mais l’expliquent. Est-ce que la violence d’état liée à la mal gouvernance n’est pas aussi violente quand des millions de femmes et d’enfants en bas âge meurent faute de soin chaque année et que plus d’un milliard de personnes ne mangent pas à sa faim ?

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