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Banny contre Bédié : Quand les Konan « déconnent ».

Publié le dimanche 22 septembre 2013 à 12h30min

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Banny contre Bédié : Quand les Konan « déconnent ».

Dans une Afrique de l’Ouest qui se porte plutôt mal, on se lasse des luttes d’influence entre « élites » qui mettent à mal non seulement la stabilité des Etats mais plus encore freinent leurs perspectives de développement et de croissance. Contrairement à ce que l’on affirme trop souvent, il n’y a pas de « guerres civiles » en Afrique subsaharienne ; rien d’autre que des affrontements entre « leaders » politiques dont les civils font toujours les frais. La Côte d’Ivoire en est la meilleure illustration.

Henri Konan Bédié, accédant à la présidence de la République par la volonté du « Vieux » et de la Constitution, a tellement stigmatisé Alassane D. Ouattara que celui-ci s’est trouvé quelque peu contraint et forcé de s’engager dans une carrière politique qui lui a été longtemps étrangère.
Fonctionnaire international, homme d’affaires, étranger à la Côte d’Ivoire à l’exception de la période pendant laquelle il avait été premier ministre (1990-1993), ce n’est qu’en 1999 qu’il s’est décidé à franchir le pas. Entre temps, Bédié avait provoqué l’irrémédiable ; un discours haineux contre celui qu’il présentait comme un « Burkinabè » et une idéologie fondée sur l’exclusion : « l’ivoirité ». Ce mur de la haine, bâti par Bédié et le PDCI (avec, en première ligne, Laurent Dona Fologo, patron alors du PDCI), va être ébranlé par l’éviction de Bédié à la veille de Noël 1999. Mais pas démoli. Robert Gueï puis Laurent Gbagbo vont entreprendre de le reconstruire. On connaît la suite : une décennie de feu et de sang.

Aujourd’hui, de ces deux décennies « gâtées », il ne reste que des vieillards qui, malgré l’âge, continent de s’écharper, ne feignant de se réconcilier que dès lors qu’il y a des enjeux qui obligent « du passé à faire table rase ». Les Ivoiriens attendront ! Ce petit jeu de « mon égo est plus développé que le tien » anime aujourd’hui les rangs du PDCI. Dont la gloire est d’avoir été un parti historique, section ivoirienne du RDA. Mais dont l’histoire est bien moins glorieuse que ne la racontent les griots. Le PDCI a été, pour moi, tout autant « stalinien » que les autres partis uniques qui, en Afrique francophone, étaient ancrés dans le camp soviétique ; il l’a même été avec plus d’efficacité encore compte tenu des ressources du pays et de la personnalité de Félix Houphouët-Boigny. Tolérable au temps du « Vieux », ce « stalinisme » ne sera plus acceptable lorsque Bédié prendra sa suite. D’où la scission qui donnera naissance au RDR. D’où la haine tenace de Bédié pour ceux qui se sont permis de remettre en question son leadership.

Les vingt années passées du PDCI (1993-2013) n’honorent pas le vieux parti. Après trente années au pouvoir (1960-1999), il n’aura pas su s’imposer comme un parti d’opposition crédible et, plus encore, constructif. Opportuniste tout au plus. Ce qui ne saurait étonner. Dans la perspective d’une présidentielle à géométrie variable, au nom des « houphouëtistes », le PDCI et le RDR se sont coalisés contre le FPI. Et l’ont emporté. On a cru, un moment, qu’ils allaient « du passé faire table rase » et fusionner pour refonder un quasi parti unique ; ceux de l’opposition avaient été éradiqués par les événements post-électoraux de 2010-2011 qui auront permis à un RDR victorieux d’embastiller les FPI vaincus. La lune de miel ne durera pas dès lors que le soleil se remettra à briller pour les « houphouëtistes », réchauffant, du même coup, la marmite du pouvoir. Sauf que le PDCI considérera que dans la distribution des parts, il n’avait pas celle qui lui revenait (cf. LDD Côte d’Ivoire 0416/Lundi 26 août 2013).

« Bon appétit, Messieurs ».

La perspective du prochain congrès du PDCI-RDA – le XIIème (le précédent s’est tenu en avril… 2002) –, du 3 au 5 octobre 2013, exacerbe les tensions. Et les ambitions. L’enjeu n’est pas que la présidence du parti (cf. LDD 0409/Jeudi 25 juillet 2013) ; il y a une lutte d’influence entre ceux qui veulent que le PDCI présente un candidat à la présidentielle 2015 et ceux qui ne le veulent pas. Bédié est pour l’abstention. Parce qu’il n’a plus l’âge pour s’y présenter ; mais ne veut pas qu’un autre soit candidat à sa place. Problème : il n’a plus l’âge non plus pour présider le parti. Mais s’en moque. Le PDCI, c’est sa chose et les PDCIstes lui sont redevables des prébendes accordées sous son règne. Sauf que Bédié, c’est « Konan le Barbare ». Il a plongé le pays dans le chaos avec « l’ivoirité » ; cela lui a coûté son job en 1999 et il a entraîné le PDCI dans sa chute. Malgré les compromissions des PDCIstes, le parti n’a fait que survivre sous Gueï-Gbagbo. En 2010, Bédié n’est pas parvenu à se qualifier pour le second tour de la présidentielle ; le PDCI est devenu le valet de chambre d’un RDR pourtant issu de ses rangs il y a vingt ans.

A l’instar du « Vieux », Bédié veut mourir au pouvoir. Il ne préside plus la République mais tant que Alassane D. Ouattara sera là, il est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut : faiseur de roi. Un rôle pour Baoulé ! Il n’est pas seul à le penser : hier, jeudi 19 septembre 2013, le BP du PDCI s’est prononcé en faveur du maintien de Bédié à sa tête bien qu’il ait dépassé la limite d’âge qu’il avait lui-même fixée. Pourquoi Bédié serait-il plus respectueux de la démocratie à la tête du parti qu’il ne l’était à la tête de l’Etat ? Corruption, clientélisme, tribalisme, autoritarisme, totalitarisme (censure, répression…) etc., de décembre 1993 à décembre 1999, Bédié a mis la Côte d’Ivoire par terre. Les mêmes méthodes ont été employées, hier, lors du BP du parti, pour empêcher de s’exprimer les PDCIstes opposés à cette candidature « hors du temps », représentés par Kouadio Konan Bertin – un autre Konan – l’homme des 4R : « Renouveau, Rajeunissement, Renaissance, Reconquête du pouvoir ».

Parmi ces opposants, un nouveau venu : Charles Konan Banny. Un Bédié bis. Même parcours de nomenklaturiste du PDCI-RDA ; enfant gâté des années Houphouët ; couvé dans l’ombre de son grand-frère avant d’éclore au sein de la BCEAO sous la férule de Ouattara. C’est à la banque centrale que Banny a fait carrière. Quand ADO a été appelé à Abidjan puis promu premier ministre, Banny a assuré son intérim. Avant d’être élu gouverneur. Il a pensé que la chute de Bédié avait disqualifié celui-ci et qu’il serait l’homme du retour du PDCI au pouvoir. Conforté dans cette idée (fausse) par ses « clients » politiques. On a eu l’original, pourquoi remettre le couvert avec une pâle copie ? Banny va surfer sur ses ambitions présidentielles (cf. LDD Côte d’Ivoire 059/Mardi 21 janvier 2003) mais se contentera d’être premier ministre de… Gbagbo, fin 2005, avant que les accords de Ouagadougou, en 2007, ne changent la donne à Abidjan. Il se pensera toujours en réserve de la République à tel point que ADO en fera le président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) à la demande, dit-on, de son allié « houphouëtiste », Bédié, qui ne supporte plus d’avoir Banny dans les pattes.

Sauf que Banny sait, par expérience, qu’il faut exploiter la situation quand elle est confuse. La fronde anti-Bédié d’une partie du PDCI est une aubaine pour lui. Le mardi 17 septembre 2013, à la veille de son BP (dont il est membre), il a publié dans le quotidien gouvernemental Fraternité-Matin une tribune pour rappeler qu’il avait dans les années 1980 incité le « Vieux » à instaurer le multipartisme puis appelé à « l’union sacrée » en 2007.

Aujourd’hui, à 70 ans, il appelle « au respect des textes [du PDCI] à un moment où le pays légifère sur des questions essentielles » que sont « la propriété des terres » et « l’identité ». Jamais, il ne cite Bédié mais chacun a compris qu’il était la cible. « N’ayons pas peur du débat », écrit-il quand Bédié le refuse. Est-il pour autant candidat à la présidence du parti pour être candidat à la présidence du pays ? Veut-il, en émergeant brutalement sur le devant de la scène du PDCI, remettre de l’ordre dans les rangs bousculés par Kouadio Konan Bertin, Alphonse Djédjé Madi et quelques autres ? Peut-il se permettre de radicaliser son action après avoir été le plus grand dénominateur commun entre Bédié et Ouattara et un « houphouëtiste » historique ? Réponse dans quinze jours, à l’issue du congrès du PDCI.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 22 septembre 2013 à 20:18, par stephane lambert En réponse à : Banny contre Bédié : Quand les Konan « déconnent ».

    Cette fracture n’apportera rien à aucun politicien du parti .A l’analyse c’est encore une lutte sans perspective . Du reste , il passera par des compromis pour quelques portes feuilles et se donner du temps pour revenir aux affaires mais pour combien de temps encore ?Bref, J’accuse les dirigeants .A mon avis la solution n’est pas pour demain car visiblement ce géant a pris du plomb dans l’aile.

    • Le 23 septembre 2013 à 18:11 En réponse à : Banny contre Bédié : Quand les Konan « déconnent ».

      Il y a le même combat au sein de l’UMP nous n’avons pas vu de critique de ce genre ; ou bien les remarques ne valent que lorsque c’est en Afrique ? vous savez plus que tout le monde que c’est domaine dans lequel tous les coups sont permis et malheur au perdant !

  • Le 24 septembre 2013 à 22:03, par camusali@yahoo.fr En réponse à : Banny contre Bédié : Quand les Konan « déconnent ».

    Ce blanc est dangereux pour l’Afrique. Quand on le lit on sent cette manière bien gauloise de voir seulement le mal chez les Africains. En plus, qu’à t.il écrit sur la politique de rattrapage de son mentor Alassane ? Rien ?

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