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Mali 2013. Encore un gouvernement de « transition ». Mais qui, cette fois, ne manque pas de convictions.

Publié le lundi 9 septembre 2013 à 22h03min

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Mali 2013. Encore un gouvernement de « transition ». Mais qui, cette fois, ne manque pas de convictions.

Ils ont su éviter les nominations « exotiques » qui font le bonheur des commentateurs mais pas celui des populations. Et suscitent des frustrations au sein de la classe politique. Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et son premier ministre, Oumar Tatam Ly, ont composé un gouvernement qui devrait permettre de passer sereinement les mois qui vont s’écouler avant les législatives et de mettre en place les accords de Ouagadougou.

IBK a été élu à la présidence très largement et sans contestation. Mais la physionomie politique de l’Assemblée nationale est celle de « l’ancien régime ». Jusqu’à présent, les députés ne se sont pas illustrés sur la scène politique ; mais ayant jeûné pendant dix-huit mois, ils vont rapidement retrouver leur appétit d’antan et réclamer leur dû. D’autant plus que le débat politique risque fort d’être particulièrement animé au cours des semaines et des mois à venir. C’est donc un gouvernement de transition que IBK a mis en place, attendant que les électeurs confirment au sein de l’assemblée sa prééminence, pour ne pas dire son hégémonie, lors de la présidentielle. Cela lui était d’autant plus facile que Ly n’est pas un « politique ». Ni même une figure emblématique malienne ayant besoin de caser ses « clients » et autres « sponsors » (cf. LDD Mali 0103/Jeudi 5 septembre 2013).

Très rapidement, les deux hommes ont formé ce premier gouvernement. Rappelons que IBK a prêté serment le mercredi 4 septembre 2013, que dès le lendemain était nommé son premier ministre et que c’est à la fin du week-end, le dimanche 8 septembre 2013, qu’est annoncée la composition de l’équipe gouvernementale. 34 ministres et ministres délégués dont seulement onze appartiennent formellement au RPM, la formation politique du chef de l’Etat. Au sein du top 10, deux « survivants » de la précédente équipe gouvernementale (au total, ils sont six) ; mais non des moindres. Il s’agit d’abord du général de brigade Moussa Sinko Coulibaly.

Membre de la junte militaire, il a été directeur de cabinet du capitaine Moussa Haya Sanogo quand celui-ci se prenait pour le chef de l’Etat, avant d’entrer au gouvernement au portefeuille de l’administration territoriale, qu’il conserve. A ce titre, il a été l’inattendu signataire des accords de Ouagadougou, ce qui n’est pas la plus mauvaise chose : il savait alors ce qu’il faisait. Rappelons qu’à l’instar de Sanogo, il a bénéficié d’une promotion à la veille de la présidentielle 2013 : il était jusqu’alors colonel. Dans le gouvernement Ly, il est numéro 8. L’autre est le numéro 10. Il s’appelle Tiéman Hubert Coulibaly : ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières. Il était en charge des affaires étrangères lors de la première « transition » et l’incontournable interface Bamako/Burkina Faso dans le cadre de la médiation burkinabè.

Les nouveaux venus du top 10 sont donc : le ministre de la Justice, Garde des sceaux, l’avocat Mohamed Aly Bathily (numéro 1) ; le ministre de la Défense et des Anciens combattants, Soumeylou Boubèye Maïga (numéro 2), un ancien patron du renseignement, ancien titulaire de ce portefeuille de la défense et ancien ministre des affaires étrangères (il prend la suite d’un « juntiste », le colonel-major Yamoussa Camara qui a été secrétaire général du ministère avant d’en devenir le patron) ; Cheick Oumar Diarra (numéro 3), un proche de IBK, premier ministrable, qui est ministre de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord, portefeuille créé pour l’occasion.

C’est une femme, formée au sein de la Banque mondiale, qui obtient le portefeuille de l’Economie et des Finances : Bouaré Fily Sissoko (numéro 5), tandis que le ministère de la Sécurité est confié au colonel Sada Samaké** (numéro 6) – il remplace le général Tiefing Konaté qui était, lui, en charge de la sécurité intérieure et de la protection civile – , le développement rural va au Dr Bocary Téréta (numéro 7), et enfin, parmi ce Top 10, figure Cheickna Seïdy Diawara (numéro 9), nommée ministre du Plan et de la Prospective***.
Mais l’arrivée la plus surprenante au sein de ce Top 10 est la nomination de Zaraby Sidi Ould Mohamed (numéro 4), ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. C’est le personnage le plus mystérieux de ce gouvernement, même s’il a été une figure marquante de la « rébellion » des années 1990. Il a, d’ailleurs, été très peu présent au Mali au cours des décennies de la « démocratie ». Né en 1958 à Tombouctou, on le présente comme un major de l’ENA de Bamako et un diplômé de la Sorbonne. Il aurait alors travaillé pour le compte d’une ONG norvégienne dans le Nord-Mali et c’est, dit-on, à ce moment qu’il aurait fait la connaissance de IBK, lui aussi employé par une ONG. C’est à la fin des années de présidence de Moussa Traoré qu’il va rejoindre la « rébellion ». Quand, en 1988, Iyad Ag Ghali va fonder le MPLA, il va rejoindre ses rangs avant de prendre la tête, en 1990, du Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA), dont il est le fondateur, qui résulte de la scission du MPLA. De son côté, Ag Ghali fondera le MPA qui se subdivisera, par la suite, en deux mouvements : ARLA et FPLA. Le FIAA se positionnera alors comme le mouvement des Arabes du Mali. Après la chute de Moussa Traoré, et les négociations avec Bamako, Zaraby Sidi Ould Mohamed sera le coordinateur des mouvements arabes et touareg dans le Nord, les quatre organisations (FIAA, MPA, FPLA et ARLA) fusionnant, pour l’occasion, au sein du Mouvement des fronts unifiés de l’Azawad (MFUA). Après les négociations menées avec l’Algérie à Ghardaïa, le MFUA va signer le Pacte national le 11 avril 1992 et, dans le sillage de cet accord, se dissoudra. Cependant, au lendemain de la Conférence nationale, le FIAA va relancer la lutte armée. Qui fera des centaines de morts dans le Nord au cours de l’année 1994. L’ADEMA au pouvoir va proclamer que le FIAA est une « organisation terroriste et raciste », la traitant même de « génocidaire ». Alors que le FIAA appellera à la « guerre totale » contre Bamako, Bamako réclamera l’extradition de son leader Zaraby Sidi Ould Mohamed, réfugié à l’étranger. A noter qu’a cette époque IBK était premier ministre et que, à la suite du remaniement gouvernemental du 25 novembre 1994, Dioncounda Traoré (jusqu’à il y a quelques jours président intérimaire) perdra son portefeuille de ministre de la Défense et se verra confier celui des Affaires étrangères. A cette époque, IBK aurait fait lancer un mandat d’arrêt contre Zaraby Sidi Ould Mohamed. Depuis, la donne a changé. L’ex-leader du FIAA a fait carrière au sein des Nations unies. Il aurait été en poste au Congo, en Haïti, en Somalie, en Côte d’Ivoire, au Soudan. Le MNLA le considère comme un « farouche opposant » au mouvement de libération de l’Azawad, un « pro-malien », et le dénonce comme un sous-marin d’Alger dont la mission serait, justement, de liquider le MNLA. Pour faire bonne mesure, le MNLA ne manque pas de le classer parmi les soutiens des narcotrafiquants. Pas sûr que dans ce micmac, Bamako et Kidal s’y retrouvent. Pas sûr non plus que les uns et les autres aient envie de se retrouver.

* D’ores et déjà une cérémonie de « réconciliation » est prévue le 20 septembre 2013. Un peu précipité sans doute !

** Il y a, au sein de ce gouvernement, un troisième officier supérieur : le colonel Abdoulaye Koumaré (numéro 14), ministre de l’Equipement et des Transports, membre de la junte.

*** S’il y a deux femmes au sein du Top 10, le gouvernement n’en compte que cinq au total, les trois autres étant en charge
de portefeuilles fréquemment confiés « au genre » : promotion de la femme, de la famille et de l’enfant ; éducation nationale ; artisanat et tourisme.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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