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Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

Publié le jeudi 5 septembre 2013 à 00h15min

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Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

Les sorties de masques constituent une des attractions lors des grandes funérailles bobo qui se déroulent, comme à l’accoutumée, entre mars et juillet à Bobo-Dioulasso. Autant les masques fascinent et attirent, autant ils sont craints et redoutés. Une immersion au cœur de la vieille cité de Sya a permis de comprendre l’intérêt de cette tradition. Cependant, au regard de ses débordements, souvent tragiques, les uns et les autres pensent qu’il serait bon de réorganiser la pratique, dans une ville en pleine mutation.

Sakabi, lundi 22 juillet 2013, la sortie des masques de nuit est attendue. Elle doit durer quatre nuits après celle des masques de jour. Cependant, avant l’heure indiquée, des masques ont décidé d’apparaître. Il est 17 heures, lorsque Hermann Sanou se rend dans le cabaret de sa tante. Alors qu’il est en pleine conversation avec son cousin et d’autres clients, un masque surgit dans le cabaret et tente d’intimider les buveurs.

Dépossédé de son fouet, il s’enfuira pour revenir quelques instants après, accompagné d’autres masques. Ensemble, ils se mettent à bastonner les buveurs. C’est le sauve-qui-peut. Chacun prend ses jambes au cou. Dans sa tentative de fuir, Hermann Sanou trébuche et tombe. Alors, les masques s’acharnent sur lui, à coups de gourdins, jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Il est 18 heures quand on le transporte au CSPS de Sakabi, puis au Centre médical avec antenne Chirurgicale ( CMA) du secteur n°22, compte tenu de la gravité de son état. Là-bas, on tente de le soigner, mais les blessures sont profondes.
Le lendemain mardi 23 juillet 2013, il est évacué au Centre hospitalier universitaire (CHU) Souro Sanou où malgré les soins, il rendra l’âme le samedi 27 juillet à minuit. Quelques mois avant ce tragique événement, Dioulasso-Bâ, le vieux quartier de Bobo-Dioulasso était lui aussi aux couleurs des grandes funérailles. Le dimanche 21 avril 2013 à 14 h, il était donc pris d’assaut par une multitude de gens venus des quatre coins de Bobo-Dioulasso. Parmi eux, il y avait les curieux qui venaient pour admirer les masques danser au cœur du quartier, dans l’espace aménagé à cet effet. Ces derniers, munis de leurs appareils photos ou de leurs cameras vidéo, cherchaient à immortaliser l’événement. Il y avait également ceux (et ils sont les plus nombreux) venus pour provoquer les masques et se faire pourchasser au risque d’être fouettés. Ces derniers se sont postés à l’entrée du quartier Dioulasso-Bâ sur la rue Sakidi Sanon, pour invectiver les masques qui, en retour, les pourchassent, et gare à qui tombe sous leurs fouets.

Les véritables familles de masques respectent la coutume

Dans la course-poursuite qui s’engage ainsi, de simples passants n’ayant rien à voir avec les provocateurs, sont pris en sandwich entre les masques et les fuyards. Pris de panique, ces passants essaient de se sauver, et un cafouillage s’installe avec des risques d’accidents. Les mêmes scènes se sont produites à Tounouma, où un citoyen fouetté par un masque, a riposté avec un lance-pierre. Le masque s’est d’abord retiré puis très vite, est revenu avec d’autres masques et l’homme a été copieusement bastonné. Il n’a eu le salut que grâce à ses jambes. Ce genre de spectacles, très déplorables et mêmes tragiques, sont réguliers depuis quelques années dans la cité de Sya.

Là-dessus, que de commentaires : « Bobo est devenue une grande ville. Il faut revoir la sortie des masques ». « C’est quelle tradition qui mange ses propres enfants ? » ou « Est-ce la tradition qui demande de fouetter les gens n’importe comment ? », entend-on par-ci par-là. Les réponses sont sans équivoques tant chez les coutumiers que les religieux. « Ce n’est pas normal que les masques frappent les gens au hasard », affirme Blaise Sanou, membre de la caste des forgerons de Tounouma.

L’archevêque émérite de l’archidiocèse de Bobo-Dioulasso, Monseigneur Anselme Titianma Sanon juge l’attitude des masques inacceptable. Selon lui, il doit s’agir de jeunes non initiés (Bobo comme les non Bobo) qui, sous la couverture du masque, se livrent à ces actes condamnables. Même remarque du côté du responsable à la communication de la communauté musulmane, El hadj Salia Sanon. Il affirme que « les véritables familles de masques respectent la coutume et suivent les principes. Les abus sont généralement commis par les jeunes qui ne comprennent rien dans le langage ni dans la culture des masques, parce qu’étant nés dans des familles musulmanes ou celles d’autres religions ».

Le costume du masque prêté ou loué moyennant des sous !

L’abbé Jacques Sanou, curé de la paroisse de Sakabi déclare avoir eu des séances de travail avec les coutumiers avant le début des funérailles. « Nous avons pris des dispositions pour le bon déroulement des funérailles, mais cela n’a pas été du goût d’une minorité de jeunes qui ne sont même pas issus de la famille des masques », dit-il. Ces derniers, poursuit-il, ont voulu instaurer autre chose qui n’est ni de la tradition, ni de la coutume. Ils utilisent aujourd’hui les funérailles à d’autres fins qui n’ont rien à voir avec la coutume. Ces jeunes s’opposent aux recommandations prises par les gardiens de la tradition, à savoir les zones délimitées pour les masques, et s’attaquent à des personnes ciblées pour des règlements de compte.
Ils vont même jusqu’à prêter ou louer le costume du masque à des amis moyennant des sous. Blaise Sanou relève de son côté que l’extension de la ville a poussé des familles de Tounouma à s’installer dans d’autres secteurs de Bobo-Dioulasso comme Ouezzin-Ville et St Etienne. Ces dernières ne se déplacent pas toujours pour prendre part aux réunions préparatoires des funérailles et n’ont donc pas échos des décisions prises.

Pourtant, au cours des célébrations, des masques issus de ces familles sont présents sur les espaces. L’un dans l’autre, tous ces éléments contribuent à rendre la sortie des masques, incontrôlable, dangereuse et souvent dramatique comme ce qui est arrivé à Sakabi. Selon lui, tout cela se passe parce que Dioulasso-Bâ, Kuinima, Tounouma, Sakabi qui étaient autrefois des villages, sont devenus des quartiers de Bobo-Dioulasso.

Comment éviter les débordements ?

Les funérailles qui concernaient autrefois, uniquement la communauté villageoise bobo, attirent les populations de toutes les communautés installées dans la cité de Sya.

Emmanuel Sanou, l’oncle de la victime de Sakabi, invite les responsables coutumiers à user de fermeté pour faire respecter la coutume. « C’est parce qu’il y a un manque d’autorité que des jeunes se permettent d’agir ainsi », dit-il avant de suggérer qu’il y ait une implication des autorités municipales dans la régulation de la sortie des masques. Monseigneur Anselme Titianma Sanon propose, lui, de repenser les funérailles traditionnelles à l’avenir, ainsi que la sortie des masques. Il souhaite que dans le futur, les masques ne soient plus une propriété de la communauté villageoise, mais une affaire de la cité de Sya. « On peut créer un musée ouvert pendant une semaine pour voir les masques parce que le masque, autant il fait peur, autant il attire. Ça pourrait pacifier les choses », note-t-il.

Une interpellation des autorités municipales qui, par la voix de Ardjouma Sanou, directeur de cabinet du maire de Bobo-Dioulasso, expriment leur disponibilité à accompagner les coutumiers s’ils le demandent, pour un meilleur encadrement des funérailles afin de remédier aux dérapages. Pour Blaise Sanou, les débordements préoccupent au plus haut point, les gardiens de la tradition et des réunions chez le chef suprême des Bobos mandarè, le Molo Tapa M’Pa Yacouba Sanou, se tiennent régulièrement.

Des décisions sont en vue, informe-t-il. Aussi, il invite les non initiés bobo comme les non bobo, à se retirer de l’affaire des masques et à arrêter de profiter des funérailles pour se régler des comptes. « Nous œuvrons pour que les masques ne viennent pas de partout et qu’il y ait respect de l’espace délimité pour eux. C’est notre responsabilité et nous allons l’assumer. Si un masque est retrouvé à l’avenir en dehors de son lieu habituel, ce qui va arriver, arrivera », prévient-il.
Cependant, Bobo-Dioulasso étant devenue une grande ville, il est possible pour des membres des communautés qui ont duré à Bobo-Dioulasso, d’intégrer la société bobo et participer aux rites traditionnels, laisse-t-il entendre. Des exemples existent. « Il y a des non Bobos qui sont nés et ont grandi dans la ville. Ils ont demandé à être intégrés dans la communauté et aujourd’hui, ils le sont et prennent part de droit aux cérémonies au même titre que les autochtones », affirme-t-il.

La sortie des masques aux grandes funérailles bobo a une importance particulière. A Dioulasso-Bâ, le chef des masques, Joseph Sanou explique : « Chez le Bobo, le masque signifie un revenant. Il a sa langue qui est secrète ». Sa participation aux funérailles, assure-t-il, c’est de montrer que tous ceux qui sont morts vivent avec nous sous une autre forme. Il y a des masques de cérémonies qui sont reconnus et sont la propriété de tout le village. Ils n’apparaissent pas en public. Il y a aussi des masques personnels qui sont appelés à fouetter les petits-fils et filles du disparu. Ils ont également le droit de frapper les non initiés. Cependant, le masque ne frappe pas les personnes âgées, ni quelqu’un qui court et tombe. Il ne doit pas non plus frapper une femme enceinte ou qui porte un enfant au dos, ou encore qui est accompagnée par un initié.

Trois étapes pour rejoindre les ancêtres

Une femme qui porte des effets sur la tête ou qui s’accroupit à l’arrivée du masque, ne doit pas également être frappée. Ces règles sont toujours respectées dans les villages bobo comme Léguéma, Kotédougou, Koumi. Ce n’est pourtant pas toujours le cas à Bobo-Dioulasso.

Joseph Sanou fait remarquer que trois étapes constituent l’accompagnement d’un ancien qui décède vers les ancêtres. La première étape, ce sont les funérailles fraiches appelées « Sakouma bin » en langue bobo. Elles sont organisées avant l’enterrement du corps. « L’âme du mort ne part pas immédiatement. Elle reste avec les gens pour prendre part à ses propres funérailles », affirme-t-il.

Ces funérailles durent trois jours pour un homme et quatre jours pour une femme. Elles sont marquées par l’utilisation du panier trésor. Il provient de la famille maternelle qui contient des habits, des colliers et autres. C’est dans ce panier qu’on enlève des habits pour couvrir le mort, qu’il soit riche ou pauvre. Ainsi, tout le monde est mis sur le même pied et les liens familiaux sont raffermis.

Ensuite, vient la période des grandes funérailles dites sèches « Sakouma kwèyè » qui concernent tous les morts de l’année. Celles-ci sont marquées par l’immolation d’une chèvre dont la viande est répartie entre les composantes de la famille. Tout membre de la famille maternelle doit avoir sa part. Celle de l’absent est gardée, à moins qu’il n’autorise quelqu’un d’autre à consommer sa part.

Si cette règle n’est pas respectée à en croire les responsables, la personne absente peut se plaindre et c’est sûr qu’il y aura des morts. La dernière étape, ce sont des cérémonies organisées par les anciens pour l’admission des morts auprès des ancêtres. C’est également l’occasion de demander aux disparus, aux ancêtres de veiller sur la ville de Bobo-Dioulasso afin que perdure son hospitalité légendaire et que prospèrent les activités de ses habitants venus d’un peu partout.

Wuroteda Ibrahima SANOU

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 5 septembre 2013 à 08:19, par Burkindi En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    Cet article est très instructif. Il faut sauver et sauvegarder notre patrimoine culturel.
    Un mossi qui a grandi et vécu à Bobo

  • Le 5 septembre 2013 à 09:06, par انصار بوركينا@Ançar Burkina En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    Dommage que l’équipe municipale en charge de la ville ne soit pas consciente que le phénomène des masques est une opportunité pour la ville. À Laongo à partir de rien un site touristique de sculptures sur granite à été imaginé pensée et réalisé. À bobo tous les ans des masques sont crées décoré et déversés dans la ville de façon anarchique sans organisation . Pourquoi ne pas créer autour de la sortie des masques un événement culturel annuel qui attirerait des touristes et aurait des retombées économiques pour la ville. C’est vrai quand on refuse le développement, la prospective la vision et l’initiative deviennent un luxe.

  • Le 5 septembre 2013 à 09:56, par Opposant En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    vraiment triste, cette tradition qui autorise qu’on fouette son admirateur pire son prochain. Vivement revoyez votre copie sinon, les assassinats sous le couvert de la tradition ne vont jamais cessé

  • Le 5 septembre 2013 à 10:32, par Opposant En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    vraiment triste, cette tradition qui autorise qu’on fouette son admirateur pire son prochain. Vivement revoyez votre copie sinon, les assassinats sous le couvert de la tradition ne vont jamais cessé

  • Le 5 septembre 2013 à 13:35, par anta En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    anta
    La proposition de l’évêque est meilleure, car si la ville est en voie de développement, il faut que les masques soient dans un musée

  • Le 5 septembre 2013 à 13:36 En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    c’est vraiment sérieux cette histoire de masques. les garants de la traditions Bobolaises doivent savoir que Bobo n’est plus un village. Je ne suis pas un bôbô donc je m’en fou des masques. pourquoi venir nous embêté avec ces monstres ? si les autorités ne prennent garde, ils aurons à résoudre une guerre civile. imaginé si la victime était d’une autre ethnie ? vous pensez que ses parents resterons les bras croisés ? il ya des traditions qu’on a banni : exision, mariage forcé..., car cela à montré ses limites. les choses changent, donc ils faut changer de comportement. Les masques peuvent sortir mais ne plus porter la main à quelqu’un, plus de fouét. c’’est tout.

  • Le 5 septembre 2013 à 14:13, par BRICALO En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    ok.mais pourkoi ceux qui ne doivent pas porter les masques ne sont pas sanctionnés par les ancetres si vraiement c’est une realité ses coutues ?

  • Le 5 septembre 2013 à 14:17, par BRICALO En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    ok.mais pourkoi ceux qui ne doivent pas porter les masques ne sont pas sanctionnés par les ancetres si vraiement c’est une realité ses coutues ?

  • Le 5 septembre 2013 à 16:12, par étudiant noir de soweto En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    la tradition doit ètre respectée cela est vrai, mais si les rites traditionnels ne sont pas encadrés il en découle des dérives qui ternissent l’image de cette belle culture Bobo Mandarè..

  • Le 5 septembre 2013 à 19:04, par le véridic En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    Jamais rien de sérieux venant de Bobo et environnants. Tout est banalisé et monnayé. C’est triste. Regardez un peu du côté de certaines ethnies dont les masques sont craints et respectés. Suivez mon regard. Là-bas les masques se respectent et il n’y a pas ce rat là qui va s’amuser à taper un masque car il en mourra non pas par bastonnade, mais par pouvoirs mystiques.

  • Le 5 septembre 2013 à 21:14, par le prince En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    vraiment triste ce état de fait .Prière a la municipalité de régler cette affaire.Je vous assure que cette période est vraiment insupportable a bobo partout en ville des masque même dans les six mètres.Que Dieu te bénisse pour cet élément diffusé.

  • Le 6 septembre 2013 à 09:20, par defiafrique@hotmail.fr En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    Bonjour à tous,
    Merci pour cet article qui mets le doigt sur un vrai problème dans notre ville.
    En déplacement à Bobo (pour raison de famille), j’ai eu la chance d’assister en avril aux "grandes" funérailles de Tounouma. Cela faisait plus de 20 ans que je n’avais pas assister aux funérailles compte tenu du fait que je vis en Europe. Je suis moi même d’ethnie Bobo et j’ai été désagréablement surpris par les masques . J’étais très révolté par le fait que nos traditions étaient en train de disparaitre. Les masques étaient portés non seulement par les non-initiés mais pire par de jeunes qui n’étaient pas des bobo. Où sont nos coutumes ? En plus, les masques ne se limitaient plus au village de tounouma, mais tu les retrouvaient à yoro-koko, à koko, à saint-étienne, etc..... Je demande aussi à nos reponsables coutumiers de revoir celà afin que nos enfants et nos petits enfants puissent à l’avenir profiter de nos traditions et de nos coutumes. Nos masques oui, mais avec une application très stricte de nos coutumes et traditions.
    Merci à Monseigneur SANON Anselme, à Blaise Sanou et à tous les intervenants pour la recherche d’une solution dans le strict respect de nos traditions et nos coutumes. Que nos ancêtres veillent sur nous.

  • Le 6 septembre 2013 à 15:35, par some En réponse à : Sortie des masques à bobo-dioulasso : Règlement de compte sous le couvert de la tradition

    il faut aussi parler des initiés de Gaoua qui opportunent les voyageurs et autres usagers

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