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Mais qui donc a rayé le Qatar de la carte géopolitique mondiale ? (1/2)

Publié le lundi 26 août 2013 à 16h46min

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C’était la diva de la géopolitique mondiale. Pas un jour sans le Qatar. Pas un jour sans le déplacement à Doha d’une personnalité politique « mondiale ». On voyait la main de l’émirat (celle qui tient le chéquier) partout en Europe, en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Pour acheter des entreprises, des clubs sportifs, des « marques » de luxe mais aussi pour financer çà et là les « révolutions arabes » : Tunisie, Libye, Egypte…

« Emergent » depuis la réplique des Bushmen à l’attaque contre l’Amérique du 11 septembre 2001, le Qatar s’était imposé comme l’interface entre le monde « occidental » et le monde moyen-oriental. Mais le trouble-jeu du monde arabe sait jouer, aussi, un jeu trouble (cf. LDD Qatar 009/Lundi 24 juin 2013). « Le flux les apporta, le reflux les remporte ». Dans cette affaire, d’autres vers de la célèbre tirade du Cid due à la plume de Pierre Corneille pourraient être cités : « Ils couraient au pillage et rencontrent la guerre ». Ou, encore le dernier vers devenu emblématique pour ne pas dire caricatural : « Et le combat cessa faute de combattants ». Le Cid se prête bien à cette « récupération » puisqu’il évoque, justement, l’attaque du royaume de Castille par les Maures. Et que c’est la problématique à laquelle les « royaumes » du Moyen-Orient sont confrontés : les Maures étant, en l’occurrence, les… Frères musulmans.

« Le flux les apporta, le reflux les remporte ». La flamboyance des Qataris – dont personne d’ailleurs, jamais, ne sait qui est qui et qui fait quoi ; mais tout le monde sait qu’ils sont « friqués » – a atteint son summum à l’occasion des « printemps arabes ». Des « printemps arabes » encensés par le monde « occidental » qui, pourtant, avait tout autant encensés (et c’est un euphémisme) les dictateurs que le « printemps des peuples » ne cessait de déboulonner les uns après les autres : Ben Ali, Kadhafi, Moubarak…

Des révolutions sans révolutionnaires que le Qatar, enclin, à l’instar de la nature, à avoir peur du vide, s’est empressé, dira-t-on, de structurer avec ce qu’elle avait en stock : non pas des révolutionnaires mais des islamistes. Ce fut, d’abord, du bricolage un peu partout. Coûteux, certes, mais rien d’autre que du bricolage. Il est vrai que la Tunisie de Ben Ali et la Libye de Kadhafi, ce n’était pas très sérieux. Des pays mineurs dont l’impact géopolitique était restreint. Rien à voir avec l’Egypte, pays africain et proche-oriental, le plus peuplé des pays arabes, le voisin d’Israël et de la bande de Gaza.

« L’affaire égyptienne » - dans sa configuration actuelle : l’après-Morsi - est arrivée après que la France ait déclenché l’opération « Serval » au Mali. Qui a sonné le glas du Qatar dans le « corridor sahélo-saharien ». Dans cette affaire aux confins de « l’Afrique noire » (où le Qatar s’était déjà immiscé à l’occasion de « l’affaire du Darfour »), le jeu trouble de Doha était apparu trop flagrant aux yeux des commentateurs. Et l’ex-Soudan français n’a pas été un terrain de jeu (diplomatique) à la hauteur des ambitions de l’émirat du golfe.

Les convulsions révolutionnaires de l’Egypte étaient bien plus dans les cordes de Doha puisqu’il s’agissait de s’opposer, dans le plus significatif des pays arabes, aux vieilles monarchies du Moyen-Orient, celles qui avaient été le fondement de la politique moyen-orientale de « l’Occident ». Doha, présenté par nombre d’analystes comme ayant instrumentalisé les « printemps arabes » en Afrique du Nord et au Proche-Orient, en était devenu le bénéficiaire via la confrérie des Frères musulmans.

La gestion des politiques publiques par les « islamistes » en Afrique du Nord s’est révélée rapidement calamiteuse : Tunisie, Libye, Egypte ont sombré dans le chaos. La chute de Mohamed Morsi, le 3 juillet 2013, président démocratiquement élu mais porte-drapeau des Frères musulmans, et le retour au premier plan de l’armée en Egypte opéré par le général Abdel Fattah al-Sissi (ancien attaché militaire en Arabie saoudite), sonnent comme le reflux du Qatar. Qui, étant ce qu’il est, n’a pas grand-chose à craindre de ces « printemps arabes » qu’il instrumentalise chez les autres pour le compte de « l’Occident ». Ce n’est pas la même chose pour l’Arabie saoudite, le Koweït, les Emirats arabes unis et quelques autres royaumes de potentats locaux. Eux n’apprécient guère cette « islamisation » qui est une remise en question de leur primauté régionale.

La « modernité » du Qatar s’oppose à leur « traditionnalité ». D’où la chute de Morsi, la répression contre les Frères musulmans, l’emprisonnement de leur leader, Mohamed Badie, et la perspective très prochaine d’une remise en liberté d’Hosni Moubarak, ex-allié privilégié des Saoudiens. Tandis que la manne financière des puissances moyen-orientales vient se répandre sur une Egypte économiquement exsangue : 5 milliards de dollars de l’Arabie saoudite, 4 milliards du Koweït, 3 milliards des Emirats arabes unis. Une contribution financière au titre de la « lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et la sédition » souligne-t-on à Riyad. Plus que ce que Doha avait, dit-on, versé aux Frères musulmans (7 milliards de dollars).

« Le flux les apporta, le reflux les remporte ». Mais alors que l’alliance Doha/Washington semble au beau fixe depuis plus d’une décennie, pourquoi le Qatar se trouve-t-il subitement gommé de la scène diplomatique proche-orientale ? La question mérite, certes, d’être posée mais, auparavant, il faut se poser celle du pourquoi de l’alliance Doha/Washington. Le Qatar, on le sait, est une formidable puissance gazière ; d’autant plus significative que l’émirat est un nain démographique. Ce minuscule pays a su, surtout, face à des monarchies vieillissantes, s’imposer comme l’interface entre le « monde occidental » et le « monde moyen-oriental » en un temps où la guerre au Koweït, en Irak puis en Afghanistan, enfin les tensions avec l’Iran… lui ont permis d’adopter un géopositionnement original : allié de « l’Occident » sans, pour autant, se couper du monde islamiste. Bien au contraire. La plus belle expression de ce double-jeu porte un nom : Al Jazeera, la chaîne d’information du monde arabe créée à Doha en novembre 1996.

Face à des alliés usés par des décennies d’exercice du pouvoir, le Qatar s’est imposé comme une alternative : diplomatiquement ouvert, économiquement prospère. D’autant plus dans l’air du temps que la famille régnante a su promouvoir une image rénovée des monarchies moyen-orientales : la Principauté de Monaco chez les Arabes ! Avec, cerise sur le gâteau en cette période de crise économique, une politique massive d’investissement et une pluie de contrats pour les multinationales. Sans oublier que Doha a su se faire câline, devenant une destination phare pour les élites politiques, économiques, intellectuelles, sportives, culturelles « occidentales »…

Le Qatar devenu « occidentalo-compatible » pouvait dès lors jouer un jeu géopolitique plus « perso ». Les « printemps arabes » vont lui en donner l’occasion. D’abord en Libye. Ce qui ne pose guère de problème aux responsables politiques « occidentaux » et à leur opinion publique. Kadhafi avait une crédibilité politique proche de zéro. Et son pays n’a jamais été perçu comme une nation. Son passé terroriste et son présent de preneurs d’otages, par ailleurs, ne plaidaient pas en sa faveur. Il fallait un partenaire arabe dans la coalition montée par Paris, Londres et Washington pour le dégommer : ce sera le Qatar. Et cela non plus ne posait pas de problème : l’émirat jouissait alors d’une image positive, des Arabes d’autant plus fréquentables qu’ils fréquentaient les classes dirigeantes « occidentales » y compris les patrons du CAC 40 à Paris, de la City et de Fleet Street à Londres et de Wall Street à New York. A Tunis et au Caire, la situation a été différente.

A Tripoli et Benghazi, c’était une opération militaire extérieure pour dégommer un dictateur qui apparaissait comme un « islamiste radical » pas toujours en cour du côté de « l’Occident ». En Tunisie et en Egypte, ce seront des peuples reconnus comme tels, les Tunisiens et les Egyptiens, qui se soulèveront contre des dictateurs dont tout le monde s’accommodait, à commencer par les touristes.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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