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Après le Mali, la Cédéao ne devrait-elle pas s’intéresser à Boko Haram, massacreur au Nigeria ? (2/2)

Publié le vendredi 12 juillet 2013 à 16h59min

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 Après le Mali, la Cédéao ne devrait-elle pas s’intéresser à Boko Haram, massacreur au Nigeria ? (2/2)

En Afrique, la lutte contre le terrorisme a été internationalisée dans deux pays : la Somalie et le Mali, alors que les missions de maintien de la paix concernent six pays : Sahara occidental (la plus ancienne : 1991) ; RDC (1999) ; Libéria (2003) ; Côte d’Ivoire (2004) ; Soudan (2007) ; Soudan du Sud (2011). Ce qui ne signifie pas que les guerres civiles* soient un mal plus omniprésent que le terrorisme sur le continent.

Il est des pays qui ont été ou sont sous la coupe de groupuscules terroristes à l’exemple de l’Algérie que l’on peut considérer comme le « pays-mère » de bien des mouvements qui, aujourd’hui, terrorisent le « corridor sahélo-saharien ».

Il y a encore, en Afrique centrale, les exactions de l’armée de résistance du Seigneur (LRA) de l’Ouganda au Soudan du Sud en passant par la RDC et la RCA. Il y a aussi, ça et là, des mouvements sporadiques qui sont à la frontière (pas toujours bien définie) de la rébellion et du terrorisme. La situation qui prévalait au Nord-Mali en 2012-2013, a mis, un bref instant, un coup de projecteur sur Boko Haram.

Non pas tant pour ses actions particulièrement meurtrières au Nigeria que pour ses connexions supposées avec AQMI, Ansar Dine et le MUJAO au Nord-Mali**. Si Al-Shebab, en Somalie, opère dans le pays le plus pauvre du continent, Boko Haram est un des cancers (il ne faut pas oublier la situation qui prévaut dans le golfe de Guinée et le delta du fleuve Niger) qui rongent une puissance démographique, économique, pétrolière et gazière du continent : le Nigeria. Un Etat qui, par ailleurs, quelles que soient ses insuffisances, n’est pas considéré comme une « horrible dictature » !

Dans ce pays, chaque semaine apporte son lot de cadavres. Essentiellement des civils. Des hommes, des femmes, des enfants. Pour des raisons qui, schématiquement, relèveraient d’une vision du monde divergente. Mais, en fait, bien plus sociales et politiques que religieuses (cf. LDD Nigeria 010/Mardi 9 juillet 2013). Paris ne semble guère préoccupé par Boko Haram. Bien que le Nigeria ne soit entouré que de pays francophones : Bénin ; Niger ; Tchad ; Cameroun. Et que Lagos, Abuja et Port-Harcourt forment un triangle d’or pour les intérêts français notamment dans les secteurs du BTP, du pétrolier, du parapétrolier, de l’offshore... Washington, qui est bien plus que Paris une cible des « terroristes », est préoccupé du risque de déstabilisation du géant de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale et, plus encore, de ce que Boko Haram, à l’instar d’Al-Shebab, devienne la « couveuse » d’un terrorisme « transnational » qui pourrait venir mûrir aux Etats-Unis.

A l’instar de ce qui s’est passé avec l’américano-tchétchène Djokhar Tsarnaev, un des instigateurs (avec son frère mort lors de son arrestation) de l’attentat de Boston le 15 avril 2013 et qui est présenté aujourd’hui, pour la première fois, devant les juges US. Africa Defense Forum (ADF), le magazine de l’état-major unifié des Etats-Unis pour l’Afrique (cf. LDD Nigeria 010/Mardi 9 juillet 2013) a décortiqué les relations entre les diasporas africaines en Amérique du Nord et Al-Shebab. « Les combattants étrangers, écrit ADF dans son numéro vol. 4, 4ème trimestre 2012, exercent désormais des fonctions à tous les échelons hiérarchiques d’Al-Shebab. Selon David Shinn [ancien ambassadeur des Etats-Unis en Ethiopie], parmi les 85 membres du conseil exécutif d’Al-Shebab, 43 sont des étrangers ». Parmi eux des Somaliens-Américains et des Somaliens-Canadiens.

Ce recrutement « externe » n’est pas le plus probant dès lors que le conflit qui ensanglante le Nigeria est, pour une large part, imputable à des dérives identitaires. La spécificité de Boko Haram est de se développer dans un pays du tiers-monde certes, mais un pays riche : ce n’est pas l’Afghanistan, ni la Somalie, ni même le Mali. Et il n’est pas certain que l’image hyper-occidentalisée qu’aiment véhiculer les séries télé « Made in Nigeria » ne joue pas un rôle dans ce rejet de l’autre. C’est aussi ce qui explique la réticence de Boko Haram à s’exhiber à la façon d’AQMI. Sa « transnationalisation » reste faible par rapport à ce qu’elle est pour les autres groupuscules terroristes. Son incursion dans l’affaire du Mali, ponctuelle, a été plus idéologique que pragmatique. L’identité de Boko Haram est bien plus forte que ne l’est celle d’AQMI, d’Ansar Dine…

Il a un ancrage territorial et humain qui trouve son fondement dans le pays haoussa mais aussi dans le développement politique, économique et social du Nigeria. Il est selon moi peu probable, du même coup, que Boko Haram sorte de son pré carré : si son recrutement est large, c’est qu’il opère sur son terrain et non pas à « l’étranger ». Il y a du « maoïsme » dans ce mouvement qui se veut « comme un poisson dans l’eau » au sein de la population. C’est pourquoi d’ailleurs, si on assiste à l’internationalisation des situations qui prévalent en Somalie et au Mali, le Nigeria demeure en marge alors que les victimes de Boko Haram sont considérablement plus nombreuses que celles d’AQMI. Sans que l’on sache d’ailleurs combien elles sont : les chiffres, essentiellement estimés par la presse nigériane, vont de 1 à 15, du millier à la quinzaine de milliers.
Le caractère identitaire de la population nigériane est fort. Et la colonisation anglaise n’a fait que le renforcer.

Alors que Paris, là où la France colonisait, avait une volonté de « désintégration-intégration » pour poser son administration (à la française) sur un socle stable, Londres s’est préoccupée d’abord de conquérir des territoires pour ses fermiers et ses commerçants, laissant les populations locales s’organiser comme elles l’entendaient là où elles étaient contenues. Boko Haram est, du même coup, plus proche du Mau-Mau qui a ensanglanté le Kenya au lendemain de la Deuxième guerre mondiale (cf. LDD Kenya 006/Mardi 12 mars 2013) que d’AQMI. Les Américains, à en croire le magazine ADF, auraient une vision pas très éloignée. Ils rappellent « les méthodes de certains gouverneurs » dont « les comportements politiques ont dérapé », « la pauvreté, le chômage, l’injustice sociale et la corruption publique » qui affectent le Nigeria septentrional. D’où ce diagnostic : « Faire face à cette menace [celle de Boko Haram] nécessitera autant de volonté politique que de puissance militaire ».

Ainsi malgré l’ampleur du drame que provoque Boko Haram dans un des Etats les plus puissants, politiquement et économiquement, du continent africain, ni la communauté africaine, ni la « communauté internationale », ne semblent se pencher sur la question. C’est qu’Abuja n’est pas Mogadiscio ni même Bamako. Et que Londres n’est pas Paris. Le gouvernement nigérian est engagé, depuis plusieurs semaines, dans une offensive d’ampleur contre Boko Haram dans trois Etats du Nord : Borno, Yobe, Adamawa où l’état d’urgence a été décrété. Dans le même temps, Kabiru Tanimu Turaki, ministre des Affaires spéciales, fait état de négociations en vue d’un cessez-le-feu. Londres, où la communauté nigériane est forte, vient de mettre Boko Haram sur sa liste noire afin d’empêcher que ne se développent les financements d’origine britannique à destination des réseaux du groupuscule terroriste. Autant de signes qui traduisent une préoccupation mais pas encore la résolution de cette situation dramatique.

* Il est selon moi abusif de parler de guerres civiles en Afrique. Ce ne sont, généralement, que des guerres pour le pouvoir entre groupes politiques et/ou ethniques antagonistes dont les populations civiles font principalement les frais, mais ce ne sont jamais des affrontements entre le peuple armé et le pouvoir en place.

** Si le mode de production de Boko Haram est le massacre, on assiste, de temps à autres, à des prises d’otages mais toujours en marge. En ce qui concerne les Français, c’est l’affaire de la famille Moulin-Fournier, capturée en février 2013 dans le Nord-Cameroun, ou encore l’enlèvement, le 19 décembre 2013, dans l’Etat de Katsina, à la frontière avec le Niger, de l’ingénieur Francis Collomp. C’est aussi la remise de marins capturés dans le golfe de Guinée et débarqués au Nigeria par leurs ravisseurs.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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