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Commune rurale de Nébielianayou : « Deal » autour des fournitures scolaires

Publié le mercredi 29 mai 2013 à 21h48min

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Commune rurale de Nébielianayou : « Deal » autour des fournitures scolaires

Jusqu’au lundi 22 avril 2013, à moins de trois mois de la fin de l’année scolaire en cours, les élèves de la commune rurale de Nébielianayou, dans la province de la Sissili, n’avaient pas encore bénéficié de leur dotation de fournitures scolaires. Pourtant, l’Etat, à travers le Ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation (MENA), a transféré la somme de 3 403 400 FCFA à ladite commune, pour l’achat du minimum devant permettre aux enfants d’aller à l’école. Qu’a-t-on fait de cette somme ? Des garants de la bonne gestion des deniers publics ont-ils voulu s’enrichir sur le dos des parents d’élèves par le canal de la livraison des fournitures à Nébielianayou ?

Dans la mise en œuvre de la décentralisation, les communes du Burkina Faso ont hérité, dans le transfert des prérogatives, des allocations financières pour accompagner le processus. C’est le cas des dotations annuelles des élèves de fournitures scolaires. En effet, le Ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation (MENA) dote les communes, en début d’année scolaire, d’un budget pour l’achat des fournitures à mettre à la disposition des écoles de leur ressort communal. La commune de Nébielianayou, dans la province de la Sissili, à neuf kilomètres du village dénommé Godé, sur la nationale N°1, a obtenu sa dotation pour l’année scolaire en cours. Exactement, 3 403 400 F CFA ont été transférés à Nébielianayou, pour la dotation des 1414 élèves des 13 écoles (arrêté interministériel n°2012-086/MEF/MATS/MENA du 24 -02-2012). Et pourtant, après sept mois de cours, d’octobre 2012 à avril 2013, les élèves de la CEB n’avaient pas encore bénéficié des fournitures scolaires (cartable minimum) que l’Etat burkinabè offre, dans le but de soutenir les parents. Que se passe-t-il dans la commune rurale de Nébielianayou ? En tous les cas, les efforts de l’Etat pour soulager les parents semblent être mis à mal par le conseil municipal. C’est ce qui ressort d’une lettre anonyme d’un groupe d’enseignants de la commune rurale qui ont lancé un cri du cœur, car excédés par la situation qu’ils qualifient « d’arnaque ». La correspondance de ces enseignants, datée du 10 avril 2013, fait savoir qu’effectivement, l’argent a été transféré à la commune, « malheureusement et selon le bordereau de livraison émis par « Elégance Couture », (Ndlr : le titulaire du marché de livraison des fournitures), en date du 27 novembre 2012, la CEB de Nébielianayou a reçu des fournitures que l’on pourrait estimer à la somme de 400 000 FCFA ».

La faille des autorités municipales

Peut-on distribuer des fournitures scolaires de 400 000 FCFA à 43 classes, de façon satisfaisante ? Fallait-il donner à certaines écoles et laisser d’autres ? Une équation à multiples inconnus ! Les enseignants de la CEB de Nébielianayou ont trouvé leur solution : refuser de prendre les fournitures scolaires. Et, tous, comme un seul homme, ont suivi le mot d’ordre, au grand dam de l’inspecteur, Sylvain Bayé, qui les avait convoqués afin qu’ils viennent enlever leur dotation. Même s’il reconnaît, lui-même, que les fournitures n’étaient pas à la hauteur des attentes. Sur le terrain, le lundi 22 avril 2013, les fournitures étaient toujours stockées dans le bureau de M. Bayé. Il a avoué avoir échoué dans sa tentative de faire enlever les fournitures que les enseignants estiment insignifiantes. Des propos que le secrétaire général de la sous- section du Syndicat national des travailleurs de l’éducation de base (SYNATEB) de Nébielianayou, Batio Yaro, a confirmés : « Les fournitures sont insuffisantes. Dans le partage proposé, il y a des écoles qui devraient recevoir sept stylos. Comment partager sept stylos à une école de trois classes ? ». Dans le fond, le refus des enseignants constitue une réplique à un problème qui perdure, ainsi que le laisse percevoir leur message : « Cette situation dure depuis trois ans. Des promesses de compléments ont toujours été faites, mais elles sont restées sans suite. » Tirant leçon de leur expérience, les enseignants ont refusé de se compromettre parce que c’est finalement eux qui subissent le courroux des parents. « Quand nous prenons les fournitures en nombre insuffisant, les parents d’élèves pensent que ce sont les enseignants qui ont détourné le reste… », a confié Moussa Nébié, directeur de l’école de Nébielianayou. Devant un tel blocage, le MENA a envoyé, sur place, l’inspection des services pour mieux comprendre les raisons de ce dysfonctionnement. Il s’agissait, selon les autorités du ministère, de faire diligence, car pareil cas de figure est inacceptable et peut contrarier l’objectif de l’Etat qui veut réussir l’Education pour tous (EPT) d’ici à 2015. Ainsi, la ministre de l’Education nationale et de l’alphabétisation, Koumba Boly/Barry, a dépêché les inspecteurs, Ibrahim Maïga et Hamado Ouédraogo, à Nébielianayou.

Surfacturation à outrance !

Le rapport de l’inspecteur en chef du MENA, Hamado Ouédraogo, rencontré le vendredi 26 avril 2013 dans son bureau, révèle un cas préoccupant qui ressemble à la pratique systématique de surfacturation : « A travers les documents examinés et les propos de nos différents interlocuteurs, il s’avère, de toute évidence, que les autorités municipales de Nébiélanayou, pour une raison ou pour une autre, ont failli lourdement dans la gestion du processus d’acquisition des fournitures scolaires. L’insuffisance criante de la quantité des articles transmis à la CEB au bénéfice des différentes écoles trouve sa justification dans ce qui est manifestement, une surfacturation, à la lumière de la facture définitive ». Les inspecteurs illustrent leurs constats de la façon ci-après : « 100 stylos à bille bleue ont été livrés. Dans ce cas, seuls 100 élèves peuvent espérer bénéficier d’un stylo, abandonnant les 1314 autres à leur propre sort (les 13 écoles ont un effectif de 1414 élèves). Le rapport indique également que 320 cahiers de 96 pages pour le Cours élémentaire (CE) ont été livrés, alors que le CE compte 469 élèves. Des exemples de la sorte concernent les autres articles. En effet, que ce soit les stylos à bille, les cahiers de dessin, les gommes pour crayon de papier, les cahiers de 92 pages…, le nombre est insuffisant et tout a été surfacturé. Ainsi, en se fondant sur la facture définitive apportée par le maire, Sibiri Sogo, intitulée « Acquisition de fournitures scolaires au profit des écoles de la commune de Nébielianayou dans la Sissili », facture signée de Issaka Nacoulma, directeur de « Elégance Couture » qui exerce dans le commerce général, les fournitures livrées ont coûté 3 398 966 F CFA. Et si l’on se réfère aux estimations des fournitures reçues par les enseignants de la CEB de Nébielianayou, une somme d’environ 3 000 000 de F CFA a été utilisée à d’autres fins. Lesquelles ? L’un dans l’autre, les deux inspecteurs ont relevé qu’au regard de la quantité des fournitures observées à la CEB et vu l’effectif des élèves de la commune, il est aisé de croire à une négligence des attentes des écoles par les autorités communales. « Mieux, l’examen de la facture définitive N°077/2012 du 6/12/2012 des fournitures qui nous a été transmise par monsieur le maire, Sibiri Sogo, le 23 avril 2013 à l’Inspection technique des services, révèle des prix ahurissants pour les articles scolaires commandés », lit-on dans le rapport.

Incompétence des financiers ?

Pour espérer savoir ce qui s’est passé, le contrôleur financier de la mairie, Alban Sawadogo, a été joint au téléphone, le 7 mai 2013. Selon lui, ce sont les services de la mairie de Nébielianayou qui ont sélectionné le prestataire du marché, avant de lui faire parvenir le dossier. Mais, à l’entendre, il y a eu un problème d’interprétation de la facture. En clair, M. Sawadogo a avoué qu’il n’a pas pu bien interpréter la facture, en faisant une bonne analyse des désignations, quantités et prix unitaire, afin de savoir si tout était en règle. « Cela m’a échappé », a-t-il confessé. En tous les cas, il a reconnu que la quantité de fournitures scolaires pour la commune de Nébielianayou était insuffisante. Même son de cloche chez le comptable de la commune, Léonce Bakouan. Il a indiqué, au téléphone, le mercredi 8 mai 2013, que l’erreur est partie de la conception de la facture proforma que le fournisseur a proposée. « Cette erreur nous a tous échappé. La quantité n’était pas à la hauteur », a-t-il reconnu. Et M. Bakouan d’expliquer qu’un facteur a pu favoriser la mal donne, le jour de la livraison : « Le même jour, trois fournisseurs ont loué le même véhicule pour embarquer les fournitures scolaires pour trois communes : Tô, Silly et Nébielianayou. Nous avons livré pour les deux premières communes, sans problème. Nous sommes arrivés à Nébielianayou à minuit passée. Peut-être que cela a contribué à nous tromper. Sinon, sur toute la ligne, il y a eu un problème, car ni le contrôleur financier, ni moi-même, n’avons pas pu détecter l’erreur... ». En attendant, le mal est fait, car M. Bakouan a affirmé avoir payé la somme de 3 398 966 FCFA au fournisseur. Selon lui, ce fournisseur devra rembourser, les jours à venir, le manquant en fournitures scolaires (…)

Retard dans la livraison

Le bordereau de livraison du fournisseur atteste que la mairie de Nébielianayou a reçu les fournitures scolaires, le 27 novembre 2012. Cependant, c’est le 28 janvier 2013 que les fournitures ont été livrées à la CEB. Il s’est écoulé, au moins, deux mois avant que les fournitures scolaires ne soient reçues à la Circonscription de l’éducation de base. Dans tous les cas de figure, jusqu’au 22 avril 2013, les fournitures étaient toujours stockées à l’inspection, brûlant les mains de l’inspecteur, Sylvain Bayé, comme des patates chaudes. Après le passage de l’équipe d’inspection du MENA, des solutions ont été envisagées pour résoudre l’équation. Il a été décidé de compléter les fournitures scolaires déjà livrées et de procéder à leur distribution aux élèves, avant le 30 avril. A cet effet, le Directeur régional de l’enseignement de base du Centre-Ouest, de même que le Directeur provincial de la Sissili ont été contactés afin de fournir le complément de fournitures scolaires à partir du stock de sécurité. Le SG de la sous-section du SYNATEB, Batio Yaro, a confirmé, le 6 mai 2013 que les enseignants ont enfin, accepté d’enlever les fournitures scolaires pour les élèves, tout en précisant que la quantité était toujours insuffisante. Pour l’inspecteur Hamado Ouédraogo, son service a fait ce qu’il fallait. « Bien sûr que nous allons continuer à suivre la situation sur le terrain. Mais, le reste ne relève plus de nous. » Le reste incombe à qui alors ?
A cette question, Hamado Ouédraogo a sorti le bordereau d’envoi de la lettre N°2013-028/MENA/CAB/ITS transmettant le rapport de mission de contrôle de l’acquisition des fournitures scolaires du cartable minimum, exercice 2012, de la commune de Nébielianayou/Sissili, au contrôleur général d’Etat, Henri Bruno Bessin, en date du 25 avril 2013. En clair, le dossier a été transmis à l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat (ASCE), « pour la poursuite des investigations relatives à l’insuffisance des fournitures scolaires livrées par la mairie de Nébiélianayou, province de la Sissili, au coût exorbitant des articles scolaires ».

Ali TRAORE
traore_ali2005@yahoo.fr

Sidwaya

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Nébielianayou : une commune laisse-guidon ?

Qui dirige la commune de Nébielianayou ? Poser cette question n’est pas faire de la provocation, mais la situation est préoccupante, au regard de ce qui a été observé sur le terrain. Arrivé à la mairie, autour de 11h, le lundi 22 avril 2013, on a tout de suite eu l’impression qu’elle ne fonctionne pas. Et pourtant, elle fonctionne. Son premier responsable, le maire, Sibiri Sogo, vient même d’entamer son deuxième quinquennat. Mais, le lundi 22 avril 2013, la mairie était pilotée par un volontaire, en la personne de Bilibié Roger Eliou qui y a été envoyé par le Programme spécial de création d’emplois (PSCE), depuis août 2012. Où sont les autres ? Le maire, le Secrétaire général (SG), le premier adjoint. M. Eliou confie que depuis l’installation du maire, le 13 avril, il ne l’a plus revu. C’est vrai, le maire n’a pas obligation de résidence dans sa commune, de ce fait, il peut être excusé, mais (…) Concernant le SG, Thomas Hien, M. Eliou a laissé entendre qu’il s’est rendu à Ouagadougou, depuis le mardi 16 avril. Il serait parti avec la moto de service pour une révision. A-t-il une autorisation d’absence à cet effet ? A cette question, M. Eliou répond par un sourire, avant d’ajouter qu’il ne sait pas. Le Premier adjoint au maire est également absent. Il réside à 9 kilomètres de Nébielianayou, à Godé. Et la mairie se retrouve entre les mains d’un volontaire. Aucune autorité compétente n’est sur place…

A.T.

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Sibiri Sogo, maire de la commune de Nébielianayou :

« Je ne suis qu’un ordonnateur du budget »

Le maire de Nébielianayou, Sibiri Sogo, semble voyager beaucoup. Ainsi, pour l’avoir afin qu’il donne sa version de la gestion des fournitures scolaires dans sa commune, n’a pas été aisé. Un premier coup de fil, le jeudi 2 mai 2013, à 10h 02 minutes, a permis de savoir que M. Sogo est à Banfora, dans le cadre d’une mission du Centre d’éducation de base non formelle (CEBNF). Il a fait savoir qu’il venait à Ouagadougou, le lundi 6 mai. Voulant prendre un rendez-vous avec lui, il a promis de rappeler, dès son retour. Toutefois, il a affirmé, avant de raccrocher, que le problème relatif aux fournitures scolaires est déjà résolu… Et d’ajouter que les enseignants ont récupéré le reste des fournitures. Il a même fait savoir : « quand nous nous verrons, tu comprendras » .

Et le 6 mai 2013 arriva. Jusqu’à 15 heures, pas de coup de fil du maire de Nébielianayou. A 15 heures 42 minutes et à 15 heures 45 minutes, les tentatives de communication avec M. Sogo sont restées vaines. Son téléphone sonne, mais aucune réponse au bout du fil. Le lendemain, une première tentative, à 9 heures 45 minutes, est infructueuse, son téléphone était fermé. Un autre essai, à 10 heures 46 minutes, a été la bonne. Sibiri Sogo décroche, mais il fait comprendre qu’il est vraiment pris, parce que devant se rendre, le mercredi 8 mai 2013, dans sa commune, pour une rencontre ? Ce après quoi, il doit se rendre à Koudougou, pour une autre réunion, avant de mettre le cap sur Ouagadougou. Il propose donc d’attendre son retour. « Si ça ne vous gêne pas, nous organisons une mission pour Nébielianayou, le 8 mai 2013, afin qu’on y échange, en marge de vos travaux ? », avons-nous proposé. M. Sogo a jugé cela inopportun, car il y sera avec une délégation de la Banque mondiale. « Mais, au téléphone, avez-vous des explications à donner, puisque vous disiez que le problème est déjà réglé ? » A cette question, Sibiri Sogo reconnaît qu’effectivement, il y a eu de « petites anomalies », mais il soutient que tout est rentré dans l’ordre, car le MENA à fourni le complément des fournitures scolaires. Du reste, le maire de Nébielianayou a fait observer qu’il n’est qu’un ordonnateur du budget. Il ne fait donc que signer ce que les techniciens lui soumettent. Il précise que le marché de dotation des fournitures scolaires a fait l’objet d’un appel d’offres et a suivi le circuit normal, avec l’accompagnement du comptable et du contrôleur financier, tous basés à Léo. « Mais, n’avez-vous pas un droit de regard sur ce que font vos techniciens ? » M. Sogo considère ses techniciens comme des « omniscients » et des « omnipotents » , car, dit-il, « quand les techniciens font leur travail, je vois mal un maire le remettre en cause ».

A.T.

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Commentaire

Il y a lieu d’ouvrir le bon œil
« Ce cas est digne d’intérêt pour une évaluation plus approfondie et plus élargie autour de la gestion des fournitures scolaires sur un échantillon significatif des communes ». Cet extrait du rapport d’inspection sur le contrôle de l’acquisition des fournitures scolaires du cartable minimum, exercice 2012 de la commune de Nébielianayou est bien à propos. Car, au regard du cafouillage qui règne autour de l’acquisition et de la distribution des fournitures scolaires dans certaines communes du Burkina Faso, il y a lieu d’ouvrir le bon œil, pour ne pas voir les efforts de l’Etat "engraisser" des individus peu scrupuleux.

Par exemple, pour l’année 2012, le Burkina Faso a affecté 12 605 388 700 de FCFA aux communes, en accompagnement des compétences transférées dans le domaine de l’enseignement primaire. Faut-il croiser les bras et croire en la bonne foi des responsables des conseils municipaux dans la gestion de cette manne financière ? Si des enseignants n’avaient pas dénoncé la gestion des fournitures scolaires de Nébielianayou, l’impunité n’allait-elle pas se poursuivre et des individus n’auraient-ils pas continué de s’enrichir sur le dos de l’Etat et des parents d’élèves ? Au regard de la gestion faite des sommes transférées à la commune de Nébielianayou, des inquiétudes subsistent et l’Etat, mais aussi tous les acteurs du secteur de l’éducation, devront suivre, de près, l’utilisation de ces fonds. Sinon, abandonner le dossier aux mains des seuls maires, c’est courir le risque de voir les fournitures scolaires parvenir dans les établissements en juin et en quantités insuffisantes.

Au moment où des efforts sont en train d’être consentis par l’Etat burkinabè pour accompagner les communes, en les dotant de ressources pour leur fonctionnement, il y a lieu que les maires prennent conscience de leur rôle et responsabilité. Il apparait opportun que les ministères concernés mettent en place un cadre pour suivre le dossier, pour le plus grand bonheur des parents d’élèves, et surtout des enfants.

A.T.

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