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Mme Alice Tiendrébéogo, ancien Ministre, ancien Député, présidente de l’AFED

Publié le mardi 23 décembre 2003 à 16h12min

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Après six invités, tous des hommes, "l’nvité de la rédaction" a eu l’honneur de recevoir une dame ; Mme Alice Tiendrébéogo, bien connue du public burkinabè . Enseignante de profession, Mme Alice Tiendrébéogo, s’est investie dans la politique avec un idéal : la plénitude de l’Homme.

Ministre durant 11 ans, puis député, elle consacre son temps aujourd’hui à l’éducation, sa première vocation, surtout à celle de la jeune fille.
C’est donc un symbole de femme à conviction que Sidwaya a reçu à sa rédaction le 13 novembre 2003 pour un entretien riche en enseignements. Lisez plutôt.

Sidwaya (S.) : Le combat pour la scolarisation des filles n’est-il pas discriminatoire et défavorable aux garçons ?

Alice Tiendrébéogo (A.T.) : Tout d’abord, les gens pensent effectivement que la scolarisation des filles comporte une discrimination à l’encontre des garçons. Cependant, il faut retourner à l’histoire où pendant la période coloniale, il y avait déjà une discrimination à l’encontre des filles qui continue d’ailleurs de nos jours.

Ensuite, il y a le problème de l’accès à l’école. Vous aviez dit que je m’investissais dans une ONG. Cette ONG a été créée en 1992 lorsque l’on a lancé l’appel pour l’éducation pour tous. A l’époque, nous étions cinq femmes ministres de l’Éducation en Afrique. Nous nous sommes dit que si nous laissons faire les hommes, cela ne marchera jamais. Il fallait que nous nous retrouvions pour penser des stratégies et sensibiliser nos collègues hommes.

Je vous rappelle que lorsque nous lancions l’appel à Nairobi, nous avons été voir le ministre kenyan de l’Education, un homme, qui nous a dit que dans son pays, le problème ne se posait pas puisque toutes les filles ont accès à l’éducation.

Or justement, il y a un problème. Si vous allez dans la région de l’Est du Burkina, les provinces de la Komondjari, la Tapoa, vous allez rencontrer des écoles où on ne dénombre que 12 élèves par classe alors qu’elles pouvaient accueillir 50 ou 60. Tout cela parce que les populations ne veulent pas de l’école. Et par-dessus le marché, cela s’aggrave pour les filles, eu égard à la conception traditionnelle qui veut que la fille n’ait pas besoin d’aller à l’école puisqu’elle doit se marier. Nous intervenons justement dans la Komondjari par exemple en disant qu’une des stratégies est de donner des fournitures scolaires aux filles et de libérer ainsi les parents des charges.

Après deux ans, nous avons constaté qu’il y a eu effectivement plus d’accès à l’école mais il se trouve que des filles ont été peu après retirées de l’école selon la fameuse tradition qui y existe, c’est-à-dire le rapt des filles.

Et même parmi celles qui ont eu la chance de continuer, il y en a qui abandonnent, pour la grande majorité avant la classe de CM2. Cela s’explique par le fait qu’elles ne sont pas poussées par leurs parents et ne sont plus non plus aidées par leurs enseignants.

Une enquête a été menée en 1990 sur le comportement des enseignants et des enseignantes vis-à-vis des filles. Cette enquête a révélé une discrimination qui n’était pas voulue. Par exemple lorsque l’enseignant envoie une élève au tableau pour donner la solution à un problème et qu’elle ne répond pas bien ou hésite, elle est renvoyée à sa place. Cependant lorsque c’est un garçon, on essaie de le pousser à mieux faire. C’est la même chose quand il s’agit de la répartition des rôles à l’école : le garçon surveille la classe et les filles vont chercher l’eau ou balayer la classe. La discrimination se trouve dans la tête même de l’enseignant et même de l’enseignante.

Quant à l’accès au collège, nous connaissons le problème au niveau de FAWE. Nous recevons des lettres dans lesquelles les énormes difficultés que des filles rencontrent par manque de correspondants ressortent. C’est le cas d’une fille de Poura, admise en 6e au collège d’enseignement technique et qui ne pouvant pas s’y rendre, a vu son nom rayé de la liste. Une fois prévenue, il nous a fallu entreprendre des démarches jusqu’à la direction régionale de l’enseignement secondaire pour exiger qu’elle soit rétablie dans ses droits et que par conséquent, sa place lui revienne. Cela grâce à des bourses que nous avons obtenues de l’Ambassade américaine, nous avons pu la prendre en charge.

S. : Peut-être que des garçons à Poura se trouvaient dans la même situation

A.T. : C’est très juste. Mais le garçon, lorsqu’il va en ville, il arrive toujours à trouver une solution. Ce qui n’est pas le cas de la jeune fille qui, même si elle trouve un logeur, est en butte au harcèlement sexuel du fils du logeur, voire du logeur. Des grossesses peuvent survenir, provoquant des abandons d’école.

En ce qui concerne les garçons : lorsque nous avons distribué des fournitures scolaires aux filles de Komondjari, les garçons ont pleuré. Ce qui nous a amené à en donner à certains garçons pour corriger le tir.

S. : Est-ce que les populations perçoivent la finalité de l’école ?

A.T. : D’abord il faut revenir à l’époque coloniale où il fallait former des agents subalternes pour le colonisateur. Lorsque les Africains ont repris les rênes, en réalité, ils n’ont pas changé la finalité de l’école. Il est bien vrai qu’on ne forme plus des agents subalternes mais des cadres. Résultat, il y a un entonoir que nous avons nous-mêmes voulu. Je n’ai plus les chiffres mais je crois qu’il y a quand même 60 à 80 mille enfants qui ont passé l’entrée en 6e et seuls 18 mille ont été reçus. Que deviennent les autres ?

Avec le même cursus actuel, l’enfant qui arrive au CM2, (j’espère qu’il sait lire, quand on connait que la baisse du niveau de l’enseignement), n’a rien appris à faire. Ce sont des gens mécontents en fait.

Les parents compte tenu de cela, se demandent alors pourquoi envoyer leur enfant à l’école pour qu’il retombe après sur leurs bras. Autant rester à la maison. C’est le raisonnement qu’ils font. Même nous, les enseignants nous sommes très traditionalistes.

En matière de réforme, on a eu plusieurs tentatives qui sont restées vaines. On en a parlé aux états généraux de l’éducation en disant qu’il faut que les cycles soient terminaux. On nous a critiqué en faisant savoir que des enfants ne pourront pas continuer leurs études. Mais cela veut dire que ceux qui ne pourront pas continuer ont acquis des compétences.

Le ministère de l’Enseignement de base est actuellement en train de mener des réformes dans le cadre du PDDEB avec la révision des curricula. Tant qu’on n’arrive pas à cela, les parents vont rester sur la brèche. Nous devons convaincre les parents que l’école est une chose dont a besoin l’enfant car on ne peut pas vivre sans éducation à partir du moment où nous continuons tous à apprendre.

Une anecdote plutôt personnelle : ma mère ne travaillait pas quand elle s’est mariée. Après deux ans de mariage, elle a perdu son mari en 1947. La coutume voulait qu’elle épouse le petit frère de son mari ; ce qu’elle a refusé. Elle avait heureusement fait l’école. L’affaire est passée au tribunal. A l’époque, il existait deux tribunaux, l’un pour les indigènes et l’autre pour les citoyens français. Le premier a dit que ma mère devait rejoindre son mari, le tribunal français (le second) a tranché en disant qu’elle était citoyenne française, donc la décision ne s’appliquait pas puisque mon père était député français. Les menaces venant de la famille de son mari ont commencé à peser sur elle. Ayant pris peur, elle a fui au Sénégal où elle s’est mariée en secondes noces. Elle perdra ce dernier après qu’elle eut quatre enfants. Elle s’est retrouvée donc avec cinq enfants, sans ressources. Elle m’avait mise à l’école à l’âge de 5 ans, elle m’avait suivie dans tout ce que je faisais, me battant même quand je n’étais pas la première.

Mon oncle qui voulait l’épouser n’avait en revanche scolarisé aucune de ses filles. Figurez-vous : une de mes cousines, il n’y a pas plus de cinq ans, m’a dit ceci : Alice, tu as eu trop de chance en allant à l’école.

S. : En mettant l’accent sur la scolarisation des filles, quels objectifs visez-vous ?

A.T. : Il y en a deux. Le premier est que l’éducation apporte un épanouissement personnel et pour la fille et pour le garçon. C’est même un des premiers droits de l’homme. Le second objectif est en relation avec le rôle de la femme dans la vie du pays. A la maison, c’est la femme qui soigne, alimente et éduque les enfants. En matière de production agricole et comme le disait à un moment donné, un slogan de la FAO, "ce sont les femmes qui nourrissent le monde".

Au Burkina, 70% de la production vivrière est assurée par la femme. Si l’on admet que ces mêmes femmes n’ont ni accès à la vulgarisation agricole (parce que les gens s’adressent plutôt aux chefs de famille) ni accès à la mécanisation, la part de production de la femme ne serait pas de 70% mais de 90%.

La place centrale qu’occupe la femme dans la famille, la vie communautaire commande qu’elle ne soit pas mise de côté surtout si l’on veut promouvoir le développement humain durable. Même quand il y a des problèmes de survie, des guerres et des crises, ce sont elles qui se battent. Les hommes ne sont pas des humanistes en soi. Quand ils se battent, il ont un objectif derrière.

J’ai assisté récemment à un séminaire sur "les compétences pour la vie". C’est très important en ce sens qu’il traite du rôle de la femme dans les soins des maladies diarrhéiques ou du paludisme etc., qui sont dues au manque d’hygiène. Ce sont des choses qu’elle pourrait gérer au début et éviter ainsi l’inflation que cause l’achat des médicaments.

S. : Actuellement l’on parle beaucoup du PDDEB. Y croyez-vous ? Avez-vous été associée en tant que personne ressource à ce débat qui suscite controverse entre intellectuels ?

A.T. : Quand j’étais ministre de l’Enseignement de base, on travaillait par projet avec la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD), l’Ambassade de France... Ce qui ne permettait pas un travail efficace. Par contre, ce qui vraiment est admirable dans la conception du PDDEB, est le fait qu’on soit passé de l’approche projet à l’approche programme qui s’étend sur dix ans. Tous ceux qui sont intéressés par ledit programme ont été priés de s’associer soit dans un panier commun, soit de prendre en charge tel ou tel aspect. Néanmoins, cela pose des problèmes si plusieurs personnes ayant des approches différentes doivent travailler ensemble dans un panier commun.

Il y a aussi les objectifs qui sont de 40% de taux d’alphabétisation et 70% de taux de scolarisation en 2010. D’autres objectifs et activités sont à l’intérieur de ce programme. Dire que j’ai été associée, c’est non ! C’est vers la fin que nous avons été représentée à des réunions dans le cadre de concertation en éducation de base dont nous sommes membre.

Le problème central demeure la place des enseignants dans ce système. La régionalisation est un problème que j’avais posé quand j’étais en poste. Alors pourquoi ? Parce qu’il y a des provinces dans lesquelles les enseignants ne veulent pas partir. La Gnagna par exemple. Quand l’enseignant y va, il veut revenir après deux ans, pire même ceux qui sont natifs de la province ne font pas mieux.

En son temps, le problème avait été posé et on ne nous a pas écouté ; aujourd’hui il est reposé. Cela veut dire que l’enseignant se présente au concours pour le compte d’une région déterminée. Cela a l’avantage d’éviter les disparités. Car aujourd’hui, l’on a plus d’enseignants à Ouagadougou dans les bureaux alors qu’il existe des écoles sans enseignant.

Concernant le paiement des enseignants sur ressources PPTE, c’est une mauvaise querelle qui est faite au ministre. En réalité, ils seront tous sur le même pied d’égalité par un système de péréquation qui fait donner par l’Etat à la région des moyens de payer équitablement l’enseignant qu’il soit à Kaya, à Dori etc. Des problèmes se sont posés parce que des enseignants n’ont pas été payés en dehors de ce qu’ils ont reçu sur le PPTE et qui n’est pas leur salaire. Je ne prends pas la défense du Ministre, mais je suis la question puisque j’en suis concernée. Des problèmes subsistent, cela est dû au fait qu’on travaille avec des partenaires différents. C’est pourquoi il y a des missions de suivi, notamment deux, en mars et en septembre.

S. : La mise en place du PDDEB n’est-elle pas une preuve de l’échec des projets éducation I et II que vous avez pilotés quand vous étiez ministre ?

A.T. : En fait, j’ai piloté la fin d’Education III et Education IV, qui, comme je vous l’ai dit, étaient des projets. On prévoyait la construction par exemple d’écoles, avec des forages, etc. On déterminait les localités susceptibles d’avoir des écoles parce que le taux de scolarisation est faible. Cependant, il y a eu des moments où, les larmes aux yeux, j’ai fermé des écoles par manque d’élèves.

La nouvelle approche va donner beaucoup de travail aux directeurs régionaux de l’enseignement de base (DREBA) et aux directeurs provinciaux de l’enseignement de base (DPEBA).

Dans cette approche, si on prévoit la construction de trois complexes scolaires par circonscription primaire, ce sont les DPEBA qui vont déterminer les chiffres en accord avec les populations. Donc, c’est une approche plus contraignante qui va donner de meilleurs résultats, j’en suis sûre.

S. : Ne croyez-vous pas que le PDDEB est victime d’une mauvaise communication gouvernementale ?

A.T. : Je crois que le gouvernement fait le maximum. Il y a beaucoup qui ne comprennent pas ce qu’il signifie. Beaucoup d’enseignants aussi, alors que ce sont eux qui sont à la base. Mais comme toujours, ce sont les opposants qui sont les premiers à communiquer. Et les ministères se retrouvent en train de vouloir démentir.

S. : La finalité de l’école doit coller à l’effort de développement. Alors quelle école pour le développement du Burkina Faso ?

A.T. : On essaie de trouver des réponses à ces questions. Vous savez, il y a eu la réforme initiée dans les années 1980 qui a été arrêtée, un autre projet sous le gouvernement révolutionnaire n’a pas pu voir le jour. Actuellement on évite même de parler de réforme.

Maintenant à l’intérieur du système existent des innovations qui méritent d’être saluées. Je pense par exemple à l’école bilingue qui s’attaque à deux choses. D’abord le problème de la langue. De plus en plus, vous pouvez rencontrer des gens qui ont le BEPC aujourd’hui et qui baragouinent le français. D’où l’apprentissage d’abord dans la langue nationale et le passage progressif en français.

Il y a aussi l’implication des parents d’élèves dans la vie de l’école mais pas comme les Associations de parents d’élèves dans leurs modes de fonctionnement actuel. Ils doivent davantage s’approprier l’école par un travail de suivi : s’assurer de la présence des enseignants en classe puisqu’il en existe qui disparaissent des semaines durant ; et aussi s’occuper des cursus par la réalisation d’activités pratiques en collaboration avec les écoles. Ce qui amène l’enfant à savoir faire quelque chose. Si vous avez suivi les débats sur les écoles bilingues, vous aurez constaté que même sur le plan des examens scolaires, les enfants réussissent mieux que leurs camarades qui ont fait les six ans révolus.

Beaucoup de parents d’élèves dans certaines localités réclament la création d’une école bilingue. C’est vous dire qu’elle constitue une réforme qui ne dit pas son nom mais qui l’est quand même.

Dans ce que nous sommes en train de faire (moi je m’occupe plutôt de l’alphabétisation), transparaît la révision des curricula. Cette révision doit prendre en compte tous les aspects positifs que l’on a pu rencontrer et amener l’enfant à acquérir des capacités.

S. : On vous sait militante du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) alors que votre conjoint est responsable d’un parti de l’opposition. Comment se mène le débat politique à la maison ?

A.T. : Le débat politique... Je crois qu’en fait, nous avons les mêmes idées. Mais nous les exprimons différemment (rires). Je pense qu’il y a toujours une logique, une constance dans ce que je fais. J’ai été ministre pendant onze (11) ans. Et tout ce qui s’est fait jusqu’à aujourd’hui, je suis comptable de cette gestion. Le problème est que le GDP était entré à l’opposition alors que moi je n’étais pas d’accord avec cette option. Donc, j’ai préféré militer au CDP.

S. : Est-ce que vous ne pensez pas que ceux qui ont quitté le pouvoir pour l’opposition ont fui leur responsabilité ?

A.T. : Cela dépend des personnes. Il y en a qui n’étaient pas peut-être très impliquées depuis les années 1980. Cela est un cas à part ; je veux bien sûr parler de mon mari. Je ne peux pas comprendre que des gens qui ont géré le pouvoir d’Etat pendant un certain temps, qui ont pu assumer de hautes responsabilités et deux ans après, se retrouvent dans l’opposition. Là, il y a quelque chose qui ne va pas. C’est pour critiquer quoi en fait ? Je ne veux pas polémiquer avec l’opposition. Mais objectivement, aujourd’hui, quel est le projet de société qu’ils proposent par rapport au projet de société du CDP ? Quelles sont leurs pratiques dans la réalité, c’est-à-dire leurs pratiques professionnelles, politiques ? Qu’est-ce qu’ils ont apporté de plus depuis qu’ils sont à l’Assemblée nationale ?

S. : Comment voyez-vous l’engagement des femmes en politique ?

A.T. : Je pense qu’à chaque fois, nous nous faisons avoir par les hommes. Pourquoi ? Ce sont les femmes qui popularisent les partis. Les militants vont aux réunions et repartent pendant que les femmes sont là avec leur kigba, leur djandjoba. Cela anime la vie politique. D’une manière générale, quand une femme s’engage, elle y croit. Les femmes s’engagent (pas toutes) généralement sans calcul.

Prenons l’exemple des élections. A 6 h du matin, lorsque vous arrivez devant les bureaux de votes, les différentes files d’attente sont constituées de femmes. Elles vont voter avant d’aller au marché ou aux champs, etc. Quant aux hommes, ils vont d’abord traîner le pas, boire leur dolo et à 17 h, ils se rappellent qu’il faut aller voter. Donc, les hommes sont votés en majorité par des femmes. Maintenant combien y a-t-il de femmes à l’Assemblée nationale ? au gouvernement ? dans les conseils municipaux ? Vous constatez qu’il y a un très grand fossé. En ce moment on tient des théories tout à fait bizarres. On va vous dire qu’il n’y a pas assez de femmes capables, on ne va pas faire une discrimination. Il y a même quelqu’un qui m’a déjà dit : "on ne va pas trouver assez de femmes capables". Moi je dis que ce sont des histoires. Il y a combien d’hommes incapables à l’Assemblée pour me dire qu’on ne va pas trouver assez de femmes capables ? Je crois que les femmes n’ont pas encore saisi l’ampleur du problème.

S. : N’est-ce pas parce qu’elles ne sont pas engagées dans le sens du combat politique pour être à la hauteur ?

A.T. : Elles sont engagées mais je pense qu’elles n’arrivent pas à se retrouver. C’est peut-être cela. Il y a des femmes au CDP, au RDA, à l’ULD, etc. Il y a des tentatives pour que ces femmes-là puissent se retrouver pour dire : nous allons nous imposer et il faut que dans les partis il y ait un quota de femmes, qu’elles soient bien placées. Il y a même un collectif, une association qui s’est réunie autour de l’AFEB (Association des femmes élues du Burkina) de Mme Fatimata Legma. Cette association a fait du plaidoyer.

S. : Que pensez-vous de la proposition de quota de 33% de femmes sur les listes électorales ?

A.T. : En réalité, les hommes sont restés les mêmes. Le grand combat de la femme, c’est d’arriver à changer les mentalités. Pour la majorité des hommes, la femme est encore un être inférieur qu’on utilise pour arriver à ses fins. On n’a pas du tout changé de mentalité par rapport aux femmes. Cela devrait être le grand combat que le ministère de la Promotion de la femme va mener. Et le changement de mentalité doit commencer d’abord par les dirigeants. Nous avons la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes. En principe... nous avons une législation qui est d’ailleurs avancée et qui respecte un certain nombre de règles. Malheureusement elle n’est pas appliquée. Combien de ministres, combien de députés (je lance un défi) connaissent la CEDF. Même citer un seul article leur créerait des problèmes.

La discrimination positive est contenue dans la CEDF. On peut prendre des mesures pour que les femmes aient accès à tel ou tel service. Notre second problème, c’est que les femmes mêmes n’ont pas compris. Elles se battent individuellement. Cela est un problème. Quand on se trouve dans une situation où il n’y a pas assez de postes, chacune va se battre pour ce poste. Mais personne ne va se battre pour dire qu’au lieu de dix (10) il faut vingt (20). Il n’y a pas de sursaut collectif et la bataille politique des femmes est plus une bataille individuelle qu’une bataille collective.

S. : Sur les trente-trois membres du CDP, il n’y a que trois femmes, votre commentaire ?

A.T. : Le commentaire est que le quota n’a pas été respecté. Mais qui se plaint ?

S. : Qu’est-ce que les femmes doivent faire alors ?

A.T. : Il faut que les femmes acceptent de se battre collectivement, c’est le fond du problème. Si on ne le fait pas, cela va continuer. Mais beaucoup ne vont pas oser. Qui a osé affronter tel ou tel baron du parti, pour dire que vous n’avez pas respecté le quota ?

S. : Est-ce que vous êtes d’accord avec l’idée selon laquelle les quotas donnent 33% aux femmes ?

A.T. : Moi, je pense qu’il est difficile pour une femme de pouvoir percer en politique, tant sur le plan social que sur le plan même des moyens. Si on ne les aide pas, si on ne prend pas de mesures pour aider les femmes, cela est grave. Je pense aux comportements de nos fameux intellectuels lorsque Juliette Bonkoungou a voulu se présenter à la mairie de Koudougou. Certains ont avancé de ces idées : "Si elle meurt, où est-ce qu’on va l’enterrer ?". Et ce sont les mêmes qui vont s’asseoir pour parler de la promotion de la femme. Lorsque l’on me parle de la promotion de la femme, je n’y crois plus. Je pense que le combat est terminé de ce côté-là. C’est pourquoi je me mets du côté de la jeune fille pour les préparer.

S. : C’est un constat, que ce soit en Europe ou en Afrique, les postes attribués aux femmes dans les gouvernements sont la plupart du temps, la santé, l’action sociale, l’éducation. Est-ce qu’il n’y a pas une sorte de jugement préétabli sur les capacités de la femme ?

A.T. : C’est toujours les mêmes postes pour les femmes : santé, éducation, action sociale, promotion de la femme. Ici nous avons eu une femme, ministre des Finances, une autre ministre du Budget. Il y a eu des avancées, mais je pense que ça ne suffit pas. Cela me fait remonter en 1998 ou en 1999 lorsque s’est tenue la rencontre sur les quarante (40) ans de la CEA (Commission économique pour l’Afrique) à Addis-Abeba. On avait parlé des quotas. Le Premier ministre éthiopien était très mécontent.

Kofi Annan lui a répondu très calmement : "Je pense qu’il y aura vraiment promotion de la femme, le jour où l’on nommera une femme incapable à un poste comme on le fait pour les hommes".

S. : Quelles leçons avez-vous tirées de votre passage à l’Assemblée nationale ?

A.T. : Je n’ai vraiment pas tiré de leçons, parce que je n’y suis pas restée très longtemps. Je ne peux pas dire que mon passage à l’Assemblée ait été une expérience mais il m’a apporté quelque chose. Mais j’ai regretté que les femmes n’aient pas pu former un lobbying. C’est quand même une des choses qu’elles peuvent faire à l’Assemblée. Je reviens sur le fait que lorsqu’une femme arrive à ce niveau de responsabilité que ce soit à l’Assemblée ou au gouvernement, c’est que c’est une femme capable.

S. : Avant de militer au CDP, vous avez milité dans les années 1970 au MLN, l’UPV. Quelle appréciation faites-vous aujourd’hui de ce parcours politique ?

A.T. : A tel moment, on a quitté le MLN puis l’UPV, le FPV... Vous voyez qu’il y a eu beaucoup de mutations qui ont continué après. C’est un peu la pratique, qui existait dans le parti et qui, à la réflexion, existe partout dans tous les partis, qui m’a fait quitter.

Il y a toujours le groupe qui commande et celui qui obéit. Je crois qu’il faut qu’on arrive à des pratiques démocratiques au sein des partis. Si vous n’avez pas une pratique démocratique au sein de votre parti tout en voulant gérer le pouvoir d’Etat, je ne sais pas quelle pratique vous allez avoir au sein du pouvoir d’Etat. Je dois dire que le MLN a eu le courage en 1958 de dire non au référendum. C’était un acte extrêmement courageux. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est quoi ? Nous vivons les conséquences des indépendances octroyées. Ce ne sont pas des choses pour lesquelles nous avons vraiment lutté.

Il est vrai que la Guinée a eu des problèmes, mais elle les a eus parce qu’elle était seule. Peut-être que s’il y avait l’ensemble des anciennes colonies, il n’y aurait pas eu la même situation. Ensuite, on n’a pas abordé les problèmes de développement comme l’ont abordé les gens qui ont vraiment combattu. Je prends le cas du Japon, où suite à l’obligation d’offrir dans les années 1870, des parts au commerce américain, il y eut un sursaut que l’on a appelé l’ère de Meiji. Voyez comment les Japonais essayaient de conserver leur tradition. Qu’est-ce que c’est que l’Afrique ? Elle est une passoire. Tout ce qui arrive, on l’assimile. On n’a même pas le sens du travail. Tout le monde reconnaît que le Burkinabè est un homme qui travaille. Ce sont des qualités qui sont en train de se perdre. On ne peut pas construire un pays sans travailler. C’est une réalité.

Au niveau des pays de l’Asie du Sud-Est, qu’est-ce qui se passe lorsque les gens vont en grève ? Ils mettent un bandeau jaune autour du front et vont au travail. Parce que l’absence de travail a des conséquences sur la productivité de leurs usines et même si les gens réfléchissent, les conséquences peuvent se ressentir sur leur salaire. Ici, nous avons pris l’esprit des Français ; quand on n’est pas content, on va en grève, on annonce des revendications qui sont complètement irréalistes. J’ai lu une revendication d’enseignants qui disait d’arrêter le PDDEB. On ne peut pas arrêter le PDDEB. Il faut proposer des choses à l’intérieur du PDDEB. Nous sommes en train de nous abuser, nous sommes responsables de ce qui va arriver à nos enfants.

S. : Des observateurs disent que vous avez été ministre de carrière (1987-1998). Que pensez-vous de cette affirmation ?

A.T. : Ministre de carrière ? Je ne sais pas. Si on compare mon cursus à celui d’autres personnes, on se rend compte qu’il y en a qui n’ont comme toute carrière professionnelle que le ministère.

Moi j’ai quand même une carrière professionnelle. J’ai enseigné pendant dix ans dans l’enseignement secondaire. Même quand j’étais ministre, j’ai continué à donner des cours à l’Université.

A mon avis, si on est ministre sans avoir servi, on ne peut pas être un bon meneur d’hommes. Il faut avoir été un petit fonctionnaire et gravir les échelons régulièrement. A ce moment, on apprend quelque chose. Mais si vous êtes resté ministre pendant quinze ou vingt ans, que ferez-vous après ? Vous ne pourrez plus rien apporter à un pays.

Ce qui est important, c’est de savoir d’abord ce qu’est un ministre. Etymologiquement le ministre, c’est le serviteur du peuple. En principe, on choisit des gens qui ont des compétences et l’humilité nécessaires. Ce n’est pas parce que vous êtes ministre que vous êtes plus que les autres. Vous avez actuellement des ministres qui sont arrogants mais qui ne connaissent rien. En général, moins vous connaissez, plus vous êtes arrogant parce qu’il n’y a rien derrière.

Je n’ai pas du tout été un ministre professionnel. J’ai fait l’essentiel de mon ministère au ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation. Et une des chances que j’ai eue, c’est d’avoir bénéficié de la confiance du Président du Faso. Cela est très important dans un ministère difficile. Et j’ai eu le temps de réfléchir, de mener des études et de lancer des programmes.

Malheureusement, je suis partie justement au moment où on les lançait et au moment où il fallait les approfondir. C’est moi qui ai élaboré le plan d’éducation des filles, les écoles satellites, les centres d’éducation de base non-formelle, le programme d’alphabétisation avec les trois phases de l’alphabétisation qui persistent jusqu’aujourd’hui.

J’avoue que j’ai perçu mon titre de ministre de l’Education comme un sacerdoce et j’y croyais. Ilyadesgensqui n’aiment pas le sport mais si on leur proposait aujourd’hui de devenir ministre des Sports, ils accepteront sans hésiter. Rien que pour être ministre. Ils ne vont rien apporter de nouveau. Je crois qu’il faut en revenir à la conception du ministre qui est le serviteur du peuple. Et si vous savez que vous êtes le serviteur du peuple, lorsque vous quitterezle ministère, vous restez le même, vous pouvez aller partout. Mais lorsque vous vous croyez sur un piédestal, les choses deviennent plus compliquées pour vous après. Prenez le cas du Président du Faso. Est-ce qu’il y a quelqu’un de plus simple que le Président du Faso ? Pourtant, il est au-dessus de tout le monde. C’est parce qu’il a conscience de sa charge. Quand on est ministre, on ne dort pas. Moi quand j’étais ministre, je rencontrais toutes sortes de problèmes. Une fois des enseignants sont venus me voir parce qu’ils n’avaient pas été payés. Tout le temps, vous avez des problèmes à résoudre. Quand vous êtes ministre, vous ne pouvez pas être joyeux, en principe.

S. : Les réformes que vous avez introduites ont-elles porté fruit ?

A.T. : Je pense que oui. Il y a par exemple le cas de l’éducation des filles. Il y a un mouvement qui est même imprimé avec la direction de la promotion de l’éducation des filles. Il y a quand même des actions qui sont menées. Au niveau de l’alphabétisation, c’est toujours le même curriculum qui est adopté et qui va être révisé dans le cadre du PDDEB. Et je crois que c’est tout à fait normal. Parce que le monde évolue à un rythme rapide. Quand vous initiez quelque chose, il faut constamment ajuster pour voir comment ça se passe sur le terrain et vous devrez pouvoir changer. On va changer par exemple la politique d’alphabétisation. Les écoles satellites sont là, mais elles sont pilotées par l’UNICEF. Le problème ce sont les centres d’éducation de base non-formelle (CEBNF). Nous avons des problèmes à ce niveau, mais nous allons revoir la politique de mise en œuvre de ces CEBNF.

S. : Pensez-vous que les écoles satellites constituent une réussite ?

A.T. : C’est difficile de le dire parce qu’elles ne sont pas assez nombreuses. Mais si vous voyez leur philosophie, elle est la même pour les écoles bilingues sauf qu’on ne va pas jusqu’au bout. Puisqu’au CE2, on demande aux enfants de rejoindre l’école mère. On les dit satellite, parce qu’elles sont satellites d’une autre école. Maintenant les problèmes résultent du fait que lorsque l’on ramène des enfants de l’école satellite à l’école mère, il y a des problèmes de rejet, il y a des parents qui préfèrent que leurs enfants restent à l’école satellite. C’est ce genre de problèmes que nous avons à gérer sinon, du point de vue résultat, nous en avons de bons.

S. : Nous avons beaucoup parlé de l’Enseignement de base, mais il y a aussi l’Enseignement supérieur. L’Université de Ouagadougou a connu une refondation. En tant qu’enseignante du supérieur, quelle appréciation faites-vous de la réforme en cours à l’Université ?

A.T. : Je crois que c’est trop tôt aujourd’hui pour dire que la refondation de l’Université a réussi ou a échoué. La refondation constitue une application des états généraux de l’éducation. Il avait été dit à cette rencontre, qu’il faut s’arranger pour que chaque cycle soit un cycle terminal et qu’à l’université, il y ait des filières professionnalisantes. C’est exactement ce qui a été mis en œuvre avec les Unités de formation et de recherche (UFR). Cela ne fait que trois (3) ans, que la réforme de l’Université de Ouagadougou a été entamée. Il est difficile aujourd’hui d’apprécier.

S. : D’aucuns estiment qu’il serait judicieux de créer un seul grand ministère de l’éducation au lieu de la division actuelle. Quel est votre avis sur la question ?

A.T. : Effectivement, l’éducation est un tout. Par conséquent, il faut savoir où l’on va du CP1 à l’Université. Maintenant, si on a créé deux ministères, c’est parce que jusqu’à présent, les mécanismes ne fonctionnent pas assez. Quand on crée ces ministères, il faut un meilleur suivi. Ce qu’il faudra pouvoir faire, c’est la coordination. C’est-à-dire pouvoir tenir des rencontres périodiques. Il y a le Conseil supérieur de l’éducation qui ne s’est pas réuni depuis 1994. C’est ce genre de conseil qui devait permettre aux différents ministres en charge de l’éducation de se rencontrer et de voir comment s’harmonisent les programmes.

En fait, l’existence d’un seul ministère n’échappe pas aux autorités. Le problème de Burkina n’a pas jusqu’à présent de tradition administrative. Chaque fois qu’un nouveau ministre arrive, il considère que son prédécesseur est un "imbécile" et il arrête les programmes alors que c’est du travail qui a été abattu. Il n’y a pas de mémoire d’un ministère. En France, par exemple, il y a un secrétaire général qui est là quel que soit le ministre. C’est lui qui est la mémoire du ministère. Mais ici, dès qu’un ministre arrive, il chasse tout le monde. C’est un perpétuel recommencement. L’administration est au service du peuple, et le ministre est au service d’une politique. Le ministre oriente la politique du département en fonction de ses lettres de mission. Mais l’administration doit être permanente.

S. : Pendant plus d’une décennie, vous avez été à la tête du ministère de l’Enseignement de base. Avez-vous connu des déceptions ?

A.T. : Ce n’était pas une déception. J’ai plutôt fait sept (7) ans au ministère de l’Enseignement de base. Forcément il y avait beaucoup de choses que j’ai souhaitées réaliser et que je n’ai pas pu faire, notamment la réforme des curricula du primaire que je n’ai pas pu faire. Il y a la formation des enseignants. Quand je suis arrivée, j’ai trouvé que les enseignants étaient formés en un an à l’ENEP. Mais, j’ai dû batailler ferme pour faire passer cette formation à deux ans. Pour moi, l’échec, c’est de n’avoir pas pu mettre en œuvre la réforme des curricula. La réussite, c’est d’avoir pu créer au sein du ministère, un climat de confiance. Si vous n’avez pas ce climat de confiance, vous ne pouvez pas réussir.

S. : Aujourd’hui avec le PDDEB on construit plein d’écoles primaires. Mais au niveau du secondaire, on ne voit pas surgir des CEG et des lycées. Comment va-t-on accueillir tous ces élèves qui viennent du primaire ?

A.T. : La réflexion est en train d’être faite. Je crois savoir que le premier cycle du secondaire sera confié à l’Enseignement de base. Justement pour permettre cette évolution. Le ministre de l’Enseignement de base a une vision là-dessus. Et on peut le faire d’une manière progressive. On peut construire progressivement une classe cette année pour la sixième pour des élèves de CM2, et ainsi de suite.

S. : Vous dites que vous vous êtes battue pour que la formation des maîtres soit de deux ans. Actuellement la formation est encore ramenée à une année. Qu’en pensez-vous ?

A.T. : Je pense que c’est pour avoir le maximum de maîtres dans le cadre du PDDEB. C’est un problème d’option, on met soit l’accent sur une formation lente, (c’est ça que je voulais faire), soit on met l’accent sur l’encadrement des enseignants qui sont sur le terrain. Je crois que c’est cette option que l’on a adoptée actuellement.

S. : Comment appréciez-vous le niveau actuel de l’enseignement ?

A.T. : C’est une vieille chanson. Chaque fois, on dit que le niveau de l’enseignement a baissé. Mais baisser par rapport à quoi ? Je ne sais pas. Je me suis exprimée sur le niveau en français des enfants qui est très bas objectivement. Cela est lié à un certain nombre de conditions de travail. Prenons le cas de certains de nos anciens : feu Kargougou Moussa ou Tall Sékou. Ils avaient une maîtrise extraordinaire de la langue française. Ce que nous n’avons pas. Cela devait être lié à leur nombre quand ils étaient sur les bancs. Mais aujourd’hui vous avez des classes d’une centaine d’élèves. Dans ces conditions, que peut faire objectivement un enseignant ? Je pense qu’il y a un travail de fond à effectuer au niveau de l’enseignement. Et cela passe également par la revalorisation de la fonction de l’enseignant. Lui reconnaître le rôle qu’il joue vraiment dans la vie de ce pays.

S.:Votre passage du socialisme à la social démocratie a-t-il modifié votre discours ? Peut-on dire que vous vous êtes bonifiée avec l’âge ?

A.T. : Je ne me suis pas bonifiée avec l’âge. Je suis toujours socialiste. D’ailleurs au fur et à mesure que j’observe l’évolution du monde, je suis davantage persuadée que la seule alternative reste le socialisme. Le monde libéral, c’est quoi finalement ? Regardez par exemple comment on se moque de nous à l’OMC. On nous dit que nous n’avons pas le droit de subventionner nos agriculteurs, mais eux (les Occidentaux), le font. Ils disent que le commerce est libéralisé, alors qu’il est cadenassé. De toutes les façons, dans un pays, il y a un minimum qu’il faut, quel que soit le gouvernement. Et le minimum, à mon avis, c’est l’éducation et la santé pour tous. L’éducation pour tous ouvre des perpectives pour le plus grand nombre. Aujourd’hui, un grand nombre d’enfants burkinabè ne vont pas à l’école. Et pourtant, ils pouvaient bien réussir, s’il avaient eu la chance de se former. Nous devons par l’éducation faire en sorte que tous les enfants puissent être scolarisés et réussir. C’est la même chose pour la santé.

S. : Avec vos multiples occupations, avez-vous encore le temps de vous occuper de vos petits enfants ?

A.T. : J’adore mes petites enfants, mais le problème, c’est qu’on ne me les amène pas souvent. Actuellement, j’en ai deux ici. Mais, on me reproche subtilement de trop les "gâter". Mais pourtant, c’est le rôle des grands-parents de choyer leurs petits enfants.

S. : Avez-vous un projet d’écrire ?

A.T. : J’ai souhaité écrire sur mon père (Philippe Zinda Kaboré). Mais, sur le plan historique, c’est difficile d’écrire sur son père. Il n’y aura pas l’objectivité voulue.

Il n’y a pas longtemps, j’ai assisté à la rencontre des parlementaires et anciens parlementaires, j’avoue que j’ai été très triste. Car, comment-a-ton pu accomplir l’exploit de ne parler ni de Ouezzin Coulibaly, ni de Philippe Zinda Kaboré ? Et pourtant, ces deux-là ont représenté la Haute-Côte d’Ivoire à l’Assemblée nationale française. Ce sont eux aussi qui ont œuvré pour le rétablissement de la Haute-Volta. Mon père avant de mourir avait rencontré le président de la République française de l’époque à Niamey pour discuter de la question du rétablissement de notre pays. Et il avait déposé un projet de loi sur le sujet. Cela est connu puisque l’historien Georges Madiega l’a écrit. Lors de cette rencontre des parlementaires de la Haute-Volta au Burkina, j’ai voulu intervenir sur la question, mais je me suis avisée finalement parce que j’étais mal placée. Je me suis résignée en me disant qu’on a tué mon père une deuxième fois.

Mais en dehors de ce que je viens d’évoquer, je suis en train de mener la réflexion pour écrire sur mon expérience en tant que femme dans la politique. J’ai même déjà le titre : "Etre femme et ministre au Burkina Faso".

S. : Quels rapports entre votre engagement politique et celui de votre défunt père Philippe Zinda Kaboré ? Peut-on parler de tel père, telle fille ?

A.T. : On m’a souvent posé la question. Mais je ne sais pas si l’engagement politique de mon père a joué sur moi.

D’après ce que j’ai appris, mon père était un homme très convaincu, qui se battait pour ses idées et pouvait même à l’occasion être un homme violent.

Dans le livre de Sékou Tall, il raconte comment mon père s’en est pris violemment aux Français qui interdisaient l’accès à un bar ou au cinéma à des Noirs. A cette époque, il n’était pas encore député et il avait fait le coup de poing avec ces Français.

Effectivement, il n’était pas aimé des Français pour la façon dont il menait la lutte. Et les Français ont fait contre lui toute une attaque en le présentant comme un communiste qu’il fallait mettre au pas. Pour eux, il fallait qu’il disparaisse de la scène politique.

Je pense que ce que j’ai pu hériter de mon père, ce sont ses convictions sans l’avoir connu. Je sais qu’il a été militant des cellules communistes à William Ponty. Je ne suis pas communiste, mais j’ai quand même des idées socialistes, je ne sais pas s’il faut y voir un lien.

Mais je sais que j’ai un lourd héritage. Je porte un grand nom. Celui de Philippe Zinda Kaboré. Cet héritage joue un rôle dans mon comportement de tous les jours. C’est pour cela que je ne rentre pas dans les compromissions. Vous ne me verrez jamais faire la cour à quelqu’un pour obtenir un poste. Je ne sais même pas où logent la plupart des grands patrons du CDP, sauf le président Roch Kaboré. J’ai toujours combattu aussi la corruption et on m’en veut pour cela.

S. : Avez-vous entrepris des actions du côté de la France et du Burkina pour réhabiliter la mémoire de votre père ?

A.T. : Du côté de la France, c’est un peu difficile. Parce que quand il est mort on a dû pousser un ouf de soulagement. Du côté de la Haute-Volta, Maurice Yaméogo a tenu à réhabiliter son nom. C’est lui qui a baptisé le lycée et qui a reconnu son action à plusieurs reprises. Il avait même l’intention d’écrire ses mémoires, mais je ne sais pas ce que c’est devenu. Il a hérité des documents de mon père parce qu’ils ont travaillé ensemble pendant un certain temps.

S. : Ne travaillerez-vous pas à récupérer ces documents comme l’a fait Mazarine pour son père François Mitterrand ?

A.T. : Il y a par exemple des documents qu’il possédait le jour de sa mort à Abidjan. Je suis à leur recherche.

J’ai des documents mais pas tout. On fêtera bientôt les cinquante ans du lycée Zinda et dans ce cadre nous travaillons à rassembler tous les documents sur mon père. Le député Gilbert Ouédraogo a promis de me ramener des documents de l’Assemblée nationale française.

S. : Sidwaya est prêt à mener le combat avec vous en organisant un colloque sur votre père. Etes-vous prête pour la promotion d’une telle initiative ?

A.T. : Je serais très enchantée. Malheureusement, la plupart des amis de mon père sont décédés. Mais il y a quand même des gens qui pourront apporter leur témoignage : Georges Madiéga, Salfo Albert Balima et l’écrivain ivoirien Bernard Dadié.

S. : On vous dit très amie et même très proche parente de la Première dame. Vous confirmez ?

A.T. : Je vous explique. Ma mère n’a pas eu la chance dans sa vie. Elle s’est mariée trois fois. Quand elle a quitté le Burkina pour le Sénégal, elle s’y est remariée et a eu quatre (4) enfants et son mari est décédé. Ensuite, elle s’est mariée une troixième fois à monsieur Paul Vincens qui est le grand-frère de la mère de Chantal Compaoré. Et comme les deux familles étaient très unies, forcement les enfants se connaissaient bien. Voilà le lien entre la présidente et moi.

S. : Que pensez-vous de la presse ?

A.T. : Si je prends le cas de Sidwaya, on a une vue d’ensemble sur ce qui se passe sur le plan national et international et on y trouve ausi des dossiers. C’est un journal complet. Mais ce que je reproche de façon générale à la presse, c’est de faire de grands titres sans informations à l’intérieur. Il y a aussi le manque d’analyse profonde.

Indépendamment de cela, la presse a un travail d’éducation. Et c’est sur ce plan qu’il faut mettre l’accent.

On reproche peut-être à Sidwaya, d’être pro-gouvernemental. Pourtant je trouve le journal très subtil, en dehors de quelques éditoriaux, il cherche à rester neutre.

Sidwaya

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