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Taipei s’efforce de réguler les soubresauts géopolitiques qui secouent la mer de Chine (2/2)

Publié le dimanche 21 avril 2013 à 22h35min

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Taipei s’efforce de réguler les soubresauts géopolitiques  qui secouent la mer de Chine (2/2)

Quand le nouveau maître de Pékin, le président Xi Jinping, appelle à « soutenir la cause du socialisme aux caractéristiques chinoises, afin de réaliser le rêve chinois d’une grande renaissance de la nation chinoise », du côté de Taïwan (36.000 km² ; 23 millions d’habitants), on doit se poser bien des questions sur la nature du « rêve chinois ».

Quand il exhorte à renforcer la capacité militaire du pays pour donner à l’armée une capacité à « remporter des combats », on doit se demander si le « rêve » ne tournera pas au cauchemar. Quand Pékin se pose en leader mondial des « émergents », on doit s’agacer du côté de Taipei où l’on n’a pas attendu que ce concept… émerge pour s’inscrire dans l’économie mondiale et s’affirmer comme une (mini) puissance industrielle et technologique avec laquelle les pays « occidentaux » doivent désormais compter.

La République de Chine-Taïwan existe ; mais il n’est pas facile de la rencontrer dès lors qu’elle est absente des grandes institutions internationales (bien qu’ayant été un des cinq membres fondateurs de l’ONU jusqu’au moment où la reconnaissance de la République populaire de Chine l’a exclue de la communauté internationale alors qu’il y a deux Corées et qu’il y avait autrefois deux Allemagnes) et que l’île n’entretient des relations diplomatiques qu’avec une vingtaine de… pays dont très peu sont significatifs sur la scène internationale.

Il y a entre Pékin et Taipei ce que le président Ma Ying-jeou a appelé, après son élection en 2008, une « non-dénégation mutuelle ». Ce qui n’empêche pas les tensions. Parmi les plus inattendues, celles qui ont fait suite à la visite à Rome, à l’occasion de la messe inaugurale du pape François, du président Ma Yin-jeou et de son épouse. Fureur de Pékin qui refusera d’envoyer un représentant à cette cérémonie et élèvera une protestation auprès du gouvernement italien pour avoir accordé un visa au couple taïwanais. Réaction du Vatican : c’est une « cérémonie publique » à laquelle le Vatican « ne peut pas empêcher le président taïwanais d’être présent ».

Autre commentaire, peu diplomatique, du père Bernardo Cervellera, directeur d’Asia-News, l’agence d’information catholique en charge des questions asiatiques : « La réaction chinoise [celle de Pékin bien sûr] est comme un disque rayé ; elle cache le fait qu’en réalité ils ne savent pas quoi faire ». C’est l’illustration que Taïwan sert de variable d’ajustement dans le bras de fer qui oppose Pékin et le Vatican.

Qui a reconnu Taïwan en 1951, entrainant la rupture des relations diplomatiques avec Pékin. Aujourd’hui, le Vatican est prêt à changer son fusil d’épaule (enfin, plus exactement, à retourner sa soutane) si Pékin cessait d’exiger un clergé catholique aux ordres et d’ordonner « ses » évêques. C’est dire que les relations internationales de Taïwan (expressions de l’affirmation de sa souveraineté) sont, systématiquement, un vecteur de tensions : normal, pour Pékin ce n’est que la 23ème province chinoise… !

La souveraineté de Taïwan s’exprime aussi par une politique de défense indépendante. Et là encore, Ma Ying-jeou, tout en prônant la recherche de la paix dans la région, n’hésite pas à endosser un gilet pare-balles et à coiffer un casque de sécurité. Hier, mercredi 17 avril 2013, à l’aube, sur les îles de Penghu (archipel appelé autrefois « Pescadores », quasiment posé sur le Tropique du cancer), dans le détroit de Taïwan, face à la Chine continentale, il a ainsi assisté à des manœuvres militaires de grande ampleur.

Ce sont là les plus grandes manœuvres militaires à tir réel organisées depuis 2008 par Taïwan. Intitulées Han Kuang 29, elles mobilisent 7.700 soldats des trois armes, des chasseurs F-16 A/B et F-5 E, des chasseurs Indigenous Defence Fighers (IDG), des hélicoptères d’attaque Super Cobra AH-1W et des hélicoptères de reconnaissance OH-58 D, des chars M60-A3, des frégates Chingchiang et Chengkung et des navires d’attaque rapide et même le lanceur de roquettes Thunderbolt-2000, un « produit » local mis en œuvre pour la première fois. « De vrais soldats et de vraies munitions » pour simuler, pendant cinq jours consécutifs (15-19 avril 2013), 24 heures/24, la riposte à un débarquement… chinois.

Un scénario qui n’exclut pas la poursuite des négociations avec Pékin. Taipei se vante de mettre en œuvre une « diplomatie pragmatique » et c’est bien vrai. Quelques jours avant les manœuvres visant à s’opposer à une invasion de Taïwan par la République populaire de Chine, et à l’avant-veille de la signature de l’accord avec Tokyo sur la pêche à Senkaku (cf. LDD Taïwan 002/Mercredi 17 avril 2013) le lundi 8 avril 2013,l’ancien vice-président taïwanais, Vincent Siew, a rencontré le président chinois Xi Jinping afin que « les deux rives du détroit de Taïwan renforcent leur coopération pour faire face, ensemble, aux nouveaux défis de l’économie mondiale ».

*Restructuration de l’économie mondiale et intégration économique régionale ont été à l’ordre du jour de l’entretien entre le « vieil ami » de Pékin, Siew, et le « secrétaire général Xi » (le titre de Xi Jinping avant son accession à la présidence de la République populaire de Chine) qui a noté que « les développements positifs de ces dernières années étaient inimaginables dans le passé ». Siew a plaidé pour un élargissement du rôle économique de Taïwan dans la région dans une perspective d’intégration régionale tandis que Pékin (via le bureau des affaires taïwanaises) a souhaité que « les deux rives travaillent ensemble à trouver des moyens appropriés pour faciliter les efforts de Taïwan en vue de jouer un rôle dans la coopération économique régionale ». Le chef de l’Etat taïwanais Ma Ying-jeou s’est, de son côté, déclaré « satisfait de la rencontre entre Vincent Siew et Xi Jinping ».

Vu d’ailleurs, tout cela semble quelque peu surréaliste. Reste que de part et d’autre du détroit, on ne donne pas nécessairement le même sens aux mots que l’on emploie. Et que l’on fait l’impasse sur ceux qui dérangent. Quand Fan Liqing, la très déterminée et omniprésente porte-parole du bureau des affaires taïwanaises, annonce que « la partie continentale de la Chine fera des efforts en temps opportun pour offrir un traitement égal aux entreprises taïwanaises », il est bien évidemment que sa vision des choses n’est pas exactement celle de Taipei et encore moins celle des « Taïwanais taïwanais ».

C’est dire que l’action diplomatique de Taïwan est une composante majeure de sa politique intérieure : « l’ambivalence » de ses relations avec Pékin et, dans une moindre mesure, Tokyo, est une source d’interrogation non seulement pour les commentateurs mais également pour les décideurs politiques mondiaux d’où l’opération de communication montée avec Stanford University. Tout cela ressemble à cet exercice délicat qui nous subjuguait dans les cirques de notre enfance : un « asiatique » faisait tourner des assiettes sur des bambous et devait courir d’un bout à l’autre de la piste pour « entretenir » le mouvement et empêcher que les assiettes, de plus en plus nombreuses, ne se fracassent.

C’est à l’image, me semble-t-il, de ce que doit faire la diplomatie taïwanaise : entretenir un mouvement permanent pour que l’équilibre ne soit pas rompu. Il n’est pas certain, d’ailleurs, que les tensions qui se développent actuellement dans la région ne soient pas une opportunité pour Taipei. Qui peut ainsi s’imposer comme un acteur diplomatique significatif du fait de ses positionnements géographique, historique, diplomatique. Ce pays qui, en marge de la communauté internationale, ne ressemble à aucun autre, peut ainsi espérer perdurer encore dans sa spécificité.

Malgré le risque de guerre dans la péninsule coréenne (où vivent vingt-cinq mille Taïwanais dont 8.000 à Séoul), malgré les questions de souveraineté sur les îles et îlots des Kouriles (revendiqués par la Russie et le Japon) au Nord et les Diaoyutai (Senkaku) au Sud (disputés par Taïwan, la Chine et le Japon) en passant par les Takeshima (au sujet desquels la Corée et le Japon se disputent)…

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

Lire aussi : Taipei s’efforce de réguler les soubresauts géopolitiques qui secouent la mer de Chine (1/2)

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