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Taipei s’efforce de réguler les soubresauts géopolitiques qui secouent la mer de Chine (1/2)

Publié le vendredi 19 avril 2013 à 22h16min

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Taipei s’efforce de réguler les soubresauts géopolitiques  qui secouent la mer de Chine (1/2)

Dans un contexte géopolitique délicat (élucubrations nucléaires de la Corée du Nord, tensions en mer de Chine, nouvelles équipes à Pékin et à Tokyo…) qui, depuis plusieurs mois, a transformé en zone des tempêtes, entre 40° parallèle et Tropique du cancer, la mer du Japon, la mer Jaune et la mer de Chine orientale, le président de la République de Chine-Taïwan, Ma Ying-jeou, a entrepris d’expliquer que le dialogue valait mieux que l’affrontement (plus encore quand celui-ci est disproportionné).

C’est à l’occasion d’une vidéoconférence chino-américaine organisée ce matin (mercredi 17 avril 2013), à Taipei, que le chef de l’Etat a précisé sa position vis-à-vis de la Chine continentale et des relations taiwano-américaines. C’est une pratique habituelle de la part de Ying-jeou : ces vidéoconférences ont déjà été organisées en 2009 avec le CSIS (Center for Strategic & International Studies) de Washington ; en 2010 avec Harvard University ; et en 2011, à nouveau, avec le CSIS.

Cette fois c’est Stanford University qui a été le promoteur de cette opération, via son Center on Democracy, Development and the Rule of Law (CDDRL) dirigé par le professeur de sciences politiques et de sociologie, Larry Diamond (notamment fondateur et co-éditeur du Journal of Democracy). Du côté US, à Stanford, il y avait aussi (aux côtés de Diamond) du beau monde : Condoleezza Rice, ex-secrétaire d’Etat de l’administration Bush ; le professeur Francis Fukuyama (auteur de « La fin de l’histoire », il y a maintenant plus de vingt ans) ; l’amiral Gary Roughead, ex-Chief of Naval Operations de l’US Navy (2007-2011), après avoir commandé l’US Pacific Fleet (2005-2007).

Vu de Paris, cet intérêt géopolitique pour la minuscule île de la mer de Chine (36.000 km² : plus petite que la région Centre en France mais dix fois plus peuplée : 23 millions d’habitants) peut apparaître démesuré. Taïwan est, tout au plus, pour les Français, une destination touristique, rares étant ceux qui, ici, se posent la question : « Qu’est-ce qu’être Taïwanais ? ». Plus que centenaire (cf. LDD Taïwan 001/Jeudi 6 octobre 2011), la République de Chine est souveraine sur l’île de Taïwan depuis plus de soixante ans mais a perdu sa reconnaissance internationale (via les Nations unies) depuis une quarantaine d’année (25 octobre 1971) au profit de la République populaire de Chine.

Pas facile d’être Taïwanais quand certains voudraient être Chinois. Pas facile d’être Chinois quand on est depuis plusieurs générations Taïwanais. « Je me considère comme un Taïwanais qui parle chinois, et non comme un Chinois, un peu comme les Américains qui parlent anglais, mais ne sont pas Anglais. Ou les Québécois qui parlent français mais ne sont pas des Français », expliquait à Taipei un « Taïwanais taïwanais » à Brice Pedroletti et Florence de Changy (Le Monde daté du 4 août 2012) alors que les JO se déroulaient à Londres (manifestation internationale à laquelle la République de Chine participe avec un drapeau « adapté » !).

Washington n’est pas Paris. Ayant gagné la « guerre du Pacifique », les Américains ont gardé un œil (et même les deux*) sur ces mers « jaunes » qui, en ce moment, provoquent des nuits blanches dans quelques capitales occidentales et asiatiques. D’où la leçon de choses du président Ying-jeou qui a initié un rapprochement sans précédent de son pays avec la Chine continentale. Ce qui ne manque pas, dans la conjoncture actuelle, de préoccuper la Maison Blanche et quelques autres palais présidentiels.

Il y a, dans ce contexte, en matière de relations internationales, un phénomène de balancier concernant Taïwan. Pour les uns, le rapprochement entre Taipei et Pékin marginaliserait Washington (allié historique de Taipei) dans la zone Asie-Pacifique. Pour les autres, cette alliance historique entre Taipei et Washington, alors que la Chine continentale entend affirmer sa souveraineté dans la zone, pourrait entraîner les Etats-Unis dans la guerre à leur corps défendant.

Réponse de Ying-jeou : « Les deux arguments impliquent que les Etats-Unis devraient réduire leur soutien à Taïwan, mais aucun de ces points de vue n’est acquis. La politique de rapprochement avec le continent chinois développée par mon gouvernement a clairement permis de préserver et de renforcer la paix dans le détroit de Taïwan ». « L’amélioration des relations avec le continent chinois est certainement dans l’intérêt des Etats-Unis » a souligné le chef de l’Etat taïwanais qui entend se positionner comme un « facilitateur de paix » dans le détroit de Taïwan alors que les tensions s’exacerbent plus au Nord, au-delà du 30ème parallèle, dans la péninsule coréenne. Si Taipei peut ainsi se positionner en « facilitateur » c’est, selon Ying-jeou, que Taïwan et les Etats-Unis « partagent les mêmes valeurs et le même intérêt dans la préservation de la paix et de la stabilité régionale ».

Le chef de l’Etat en a pris pour preuve la signature, quelques jours auparavant, d’un accord sur les droits de pêche dans les zones faisant l’objet d’un conflit de souveraineté, en mer de Chine orientale. Un accord signé le mercredi 10 avril 2013 avec le… Japon après dix-sept années de négociations (elles ont débuté en 1996 et avaient été interrompues en 2009). Accord qualifié « d’historique ». Il concerne la pêche autour des îles Diaoyutai (plus communément présentées en France comme les îles Senkaku), au Sud du 27ème parallèle, contrôlées par le Japon et revendiquées par la Chine et Taïwan depuis 1971. Elles ont été, ces derniers mois, la cause « d’affrontements » navals entre le Japon et la Chine. « Nous avons décidé de mettre de côté les disputes de souveraineté et d’explorer de manière conjointe les ressources », a souligné le ministre taïwanais des Affaires étrangères, David Lin.

De son côté, le chef de l’Etat a mis l’accent sur le caractère exemplaire de cet accord : « La souveraineté nationale ne peut être divisée mais les ressources naturelles peuvent être partagées ». Un accord qui a fâché Pékin qui revendique sa souveraineté sur ces îles et îlots adjacents. « Nous exigeons que la partie japonaise gère de façon correcte les questions relatives à Taïwan en accord avec les principes et l’esprit de la déclaration commune sino-japonaise » a déclaré le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Hong Lei. C’est dire que toute avancée diplomatique est, également, une situation à risques dès lors que les acteurs régionaux sont légion et que la possession de ces « cailloux » en mer de Chine est un enjeu non seulement géopolitique mais économique.

La « souveraineté » est devenue un mot clé dans cette immense zone qui s’étend du 60° parallèle jusqu’à l’Equateur, de la Russie à l’Indonésie en passant par le Japon, les deux Corées, la Chine, les Philippines, le Viêtnam, la Malaisie. C’est, désormais, la première façade maritime mondiale et 16 des vingt principaux ports dans le monde** se trouvent là (4 des cinq premiers et 9 des dix premiers) : ils sont chinois bien sûr (avec Shanghai en numéro un) mais aussi singapourien, coréen, japonais et taïwanais (il s’agit de Kaohsiung, en vingtième position, relié à la capitale par un TGV). On notera que cette préoccupation souverainiste remonte aux années 1970 (au lendemain du premier choc pétrolier) et a été motivée, d’abord, par les perspectives d’exploitation du pétrole offshore qui est devenue, depuis, un mode de production majeur.

* Hormis la présence de la VIIème flotte, les Etats-Unis sont militairement présents au Japon (40.000 hommes), en Corée du Sud (28.000 hommes), aux Philippines (100 hommes) sans compter les bases d’Okinawa et de Guam (Mariannes du Nord). Les Etats-Unis étaient ainsi la première puissance militaire en Asie-Pacifique, leadership remis en question par la montée en puissance de la marine chinoise. Washington, qui a programmé le redéploiement de 60 % de ses forces navales, d’ici 2020, dans la région Asie-Pacifique, considère que c’est là que « sera écrite une grande partie de l’histoire du XXIème siècle ».

**Selon Amadeus, numéro un mondial des systèmes de réservation, 7 des dix lignes aériennes les plus fréquentées dans le monde se situent en Asie. Si la liaison Séoul-Jeju (une île touristique au large de la Corée du Sud) vient en numéro un, on notera que la liaison Hong Kong-Taipei arrive en huitième position avec 5,5 millions de voyageurs en 2012.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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