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MARIAME KONATÉ/COULIBALY, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE LA PROMOTION DES DROITS HUMAINS : « La beauté de la justice ne se résume pas à la célérité du traitement des dossiers »

Publié le mardi 2 avril 2013 à 17h01min

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MARIAME KONATÉ/COULIBALY, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE LA PROMOTION DES DROITS HUMAINS :  « La beauté de la justice ne se résume pas à la célérité du traitement des dossiers »

Les Burkinabè ont commémoré le 30 mars 2013, la dixième édition de la Journée nationale du souvenir. Dans cet entretien accordé à Sidwaya, la directrice générale de la promotion des droits humains, Mariame Konaté/Coulibaly, fait le point de la situation des droits humains au Burkina Faso et le rôle de la Justice dans le respect desdits droits.

Sidwaya (S.) : Quel est l’état des lieux en matière de respect des droits humains au Burkina Faso, depuis la commémoration de la première Journée nationale de pardon en 2001 ?

Mariame Konaté (M.K.) : C’est en 2002 que le ministère a été créé. Avant, c’était un secrétariat d’Etat chargé des droits de l’Homme rattaché au Ministère de la justice. Mais, la question des droits humains au Burkina Faso est antérieure à l’existence d’un ministère et à la IVe République, si l’on se réfère à la Déclaration universelle des droits de l’Homme. De façon générale, on peut retenir qu’il y a eu des acquis en matière de droits humains au Burkina, même si nous déplorons des insuffisances. Au plan institutionnel, on peut se féliciter, surtout à partir de 2002, quand l’arsenal juridique a été suffisamment renforcé. Mais, au-delà de tout ceci, il y a des insuffisances concernant l’effectivité des droits économiques, sociaux et culturels, notamment le droit à la santé, le droit à l’éducation ou à un travail décent. Mais cela peut s’expliquer par la limitation des moyens de l’Etat. Le Burkina Faso est un pays en voie de développement, or l’effectivité de ces différents droits nécessite des moyens financiers importants. On voudrait bien que tous les enfants aillent à l’école et s’y maintiennent, mais le problème de moyens se pose encore. Le cas de l’université est assez illustratif. Toutefois, il n’y a pas lieu de baisser les bras.

S. : La violence, avec souvent mort d’hommes, est fréquente encore au Burkina. Qu’est-ce qui peut justifier cette situation ?

M.K. : Il faut lier cela au contexte international et à l’évolution même de l’humanité. C’est vrai qu’au Burkina, on constate des violences avec mort d’hommes, mais surtout le non respect des textes législatifs. Nous avons lu récemment dans la presse le décès de deux Burkinabè brûlés vifs, alors que notre constitution proclame, dès ses premiers articles, la présomption d’innocence. Même si des délinquants présumés sont pris la main dans le sac, il revient à la juridiction compétente de les déclarer coupables et de les condamner ou de les innocenter. Ce qui est arrivé est vraiment déplorable. Au Burkina, nous assistons à un regain d’incivisme, surtout au niveau de la population jeune. Avec l’avènement des Technologies de l’information et de la communication (TIC), nous avons de nouvelles façons de faire, de nouvelles façons de revendiquer qui ne sont pas souvent en conformité avec les droits humains. C’est ce que nous disons, à travers nos différentes activités d’information et de sensibilisation. Il y a des voies et des moyens plus légaux et plus civilisés pour revendiquer. Aux acteurs de ces violences, il faut rappeler que nous sommes tous Burkinabè et c’est à nous de trouver les moyens pour vivre ensemble car, comme le disait Martin Luther King : « Si nous n’apprenons pas à vivre ensemble comme des frères, nous allons périr ensemble comme des imbéciles ». Nous sommes donc condamnés à connaître pourquoi les gens agissent de façon violente et en face, instaurer le dialogue pour trouver le juste milieu.

S. : Que fait le Ministère des droits humains, en collaboration avec celui de la justice pour assurer le respect des droits humains ?

M.K. : Le Ministère des droits humains n’est pas tout à fait différent de celui en charge de la justice. Au-delà de la solidarité gouvernementale, c’est comme les deux mamelles d’une même femme. Ce sont des ministères qui travaillent en collaboration car on ne peut pas parler de droits humains sans justice. On ne peut pas parler de droits humains sans le droit à la présomption d’innocence, le droit d’être entendu par une juridiction compétente et le droit à la défense. Ce sont là de principaux droits qui sont consacrés par la constitution et le Ministère des droits humains interpelle régulièrement celui de la justice sur certaines de ces questions.

S. : Que répondez-vous à une certaine opinion qui exige le traitement des dossiers pendants au niveau de la justice, avant de parler de Journée de pardon ou de souvenir ?

M.K. : La question de la justice est assez délicate. Quand il s’agit des questions de crime, la procédure est assez longue. Elle demande beaucoup de moyens et surtout de temps. En matière de justice, ce qui est plus difficile à gérer dans une société, c’est le fait de condamner des innocents. Ceci est plus difficile à gérer que de prendre tout le temps pour condamner les vrais coupables. C’est la recherche de cet idéal qui amène la justice à prendre les précautions nécessaires pour être sûre que la personne qu’on est en train de condamner est le vrai coupable. La beauté de la justice ne se résume pas à la célérité du traitement des dossiers, mais à trouver les vrais coupables et à les condamner au lieu de faire le contraire qui peut coûter plus cher à la société.

S. : On est passé de Journée nationale de pardon à Journée nationale de souvenir. Pourquoi cela ?

M.K. : Le Collège de sages mis en place à la suite des événements de 1998-1999 pour aider à ramener la stabilité, avait fait des recommandations. Pour la mise en œuvre de ces recommandations, il y a eu l’organisation d’une Journée de pardon et c’est le 30 mars 2001 que cette journée a été célébrée pour la première fois. Lors de cette journée, le président du Faso Blaise Compaoré a pris sept engagements dont l’institutionnalisation de cette journée. Spécifiquement, il disait à peu près que c’était solennel pour lui en tant que chef d’Etat, chargé de la continuité de l’Etat, de demander pardon en son nom personnel et au nom de tous les devanciers, de 1960 à nos jours, pour tous les crimes, pour toutes les tortures qui ont été commis par des Burkinabè au nom ou sous le couvert de l’Etat. Il s’agissait pour l’Etat de faire remémorer aux gens qu’un événement a eu lieu, nous avons demandé pardon, pensons à cette journée en guise de souvenir. C’est dans cela que réside le sens du souvenir. Il ne s’agit pas d’aller demander pardon chaque année, mais de penser que nous avons pris des engagements de façon unanime par rapport à ce qui s’est passé car en son temps, il y avait des représentants de plus d’une quarantaine de provinces au stade du 4-Août. C’est ensemble que les engagements ont été pris et on demande aux populations de se souvenir de ce qui s’est passé pour que comme on le dit « plus jamais ça » au Burkina. Voilà le sens de Journée de pardon à Journée de souvenir et on pense que si on se pardonne mutuellement, cela va enrichir la démocratie et les droits humains.

S. : Un monument aux droits humains a été érigé à Ouagadougou. Quel message véhicule-t-il ?

M.K. : Lorsque vous observez bien le monument, il comporte quatre « pieds » qui représentent quatre Burkinabè venus des quatre horizons du pays dont deux hommes et deux femmes. Quand vous regardez les femmes, il y a des carreaux qui symbolisent le ‘’luili pendé’’ (ndlr : tissu traditionnel moaga). C’est ce qui les différencie des deux hommes. Ils se donnent la main pour dire que pour le pardon, il faut qu’on soit ensemble. La position debout symbolise l’humilité. Il y a une flamme au-dessus pour dire que la paix est une quête permanente et qu’il faut s’y engager tous les jours avec détermination. C’est à peu près le sens de ce monument de la place baptisée Place des droits humains.

Interview réalisée par
Voro KORAHIRE

Sidwaya

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