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Victorine Ouandaogo, Directrice Générale des établissements NOOMDE : « Ce n’est pas en faisant de l’import-export que l’Afrique va se développer »

Publié le jeudi 7 mars 2013 à 21h13min

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Victorine Ouandaogo, Directrice Générale des établissements NOOMDE : « Ce n’est pas en faisant de l’import-export que l’Afrique va se développer »

Elle aurait pu faire carrière dans la fonction publique, mais a décidé d’emprunter un autre chemin, celui de l’entreprenariat. Victorine Ouandaogo fait partie des pionnières dans la transformation des fruits et légumes au Burkina. Elle dirige depuis 1986 sa propre société, les établissements NOOMDE, qui emploie aujourd’hui une vingtaine d’employés. A la veille de la célébration de la journée internationale de la femme, cette panafricaniste nous a accordé une interview.

Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs du Faso.net ?

Victorine Ouandaogo : Je suis Victorine Ouandaogo, présentement directrice des établissements NOOMDE. Je suis juriste de formation, j’ai travaillé à l’ancien office de promotion des entreprises de Haute-Volta (PEV) du Burkina. C’est après que je me suis lancée dans l’entreprenariat. Je suis mariée et mère de sept enfants.

Pourquoi aviez- vous décidé de quitter la fonction publique à l’époque ?

Victorine Ouandaogo : En fait, je n’ai jamais été fonctionnaire en tant que telle de toute ma vie parce que j’avais une mauvaise perception de la fonction publique. Si bien que quand je suis rentrée après la licence ancienne formule, j’ai trouvé du travail directement à l’office. Donc, je n’ai pas voulu aller ailleurs, je n’ai pas voulu me fonctionnariser. Tout le monde m’a dit de m’inscrire à la fonction publique parce qu’il y a plus de sécurité, mais ce que je faisais me plaisait. Je n’avais pas envie de changer. C’est comme ça que je suis restée.

Je suis entrée en tant que conseiller juridique, ensuite, je suis allée au service fonds de participation. Nous avons eu le premier fonds qui faisait de l’assistance aux entreprises à l’époque, en partenariat avec l’Allemagne qui avait des experts techniques avec nous. A l’époque, en l’espace de deux semaines, l’entrepreneur pouvait avoir 5 millions à 10 millions pour injecter dans ses affaires.

C’est l’Office de promotion des entreprises de Haute-Volta (OPEV) qui est devenu par la suite la maison de l’entreprise du Burkina ?

Victorine Ouandaogo : Non, pas du tout. Quand on a supprimé l’OPEV, on a mis du temps avant de recommencer. On a supprimé et puis, après on s’est rendu compte qu’on a tapé à côté. Et, petit à petit, les gens ont essayé de créer des structures pour essayer de jouer le rôle que jouait l’OPEV. C’est ainsi qu’on a eu la maison de l’entreprise et plein d’autres structures que ce soit au niveau de l’appui conseil, que ce soit au niveau du financement et puis, aujourd’hui ça commence à aller mieux. C’est aujourd’hui par exemple, du moins il y a un ou deux ans, qu’on a mis les chambres des métiers en place alors que c’est un projet qui existait déjà le temps de l’OPEV. 20 ans pour réaliser ça !

Vous êtes aussi membre du CES…

Victorine Ouandaogo : C’est quand j’ai commencé l’entreprenariat que je suis devenue membre du conseil national du patronat. C’est à ce titre que je suis au Conseil économique et social.

Après l’OPEV, vous avez décidé de créer votre entreprise, pourquoi ?

Victorine Ouandaogo : Les conditions dans lesquelles on a supprimé l’OPEV m’ont donné à réfléchir. Parce que j’avais en face de moi un gouvernement qui se disais révolutionnaire, donc normalement regardant sur le côté social. Et puis du jour au lendemain, et surtout la date choisie, le 1er mai, on décide de mettre des travailleurs dans la rue. J’ai réfléchi et je me suis dit que je ne voulais plus me retrouver dans pareille situation. Donc, j’ai pensé à créer mon entreprise.

Cette décision a-t-elle été comprise, encouragée par votre entourage à l’époque ?

Victorine Ouandaogo : Pas au départ, parce que mon cursus ne me prédisposait pas du tout à ça. Et puis, l’entreprenariat féminin était assez mal perçu. D’abord parce que c’est des risques que tu prends et ensuite, vous connaissez les hommes. Ils n’aiment pas ne pas connaître le programme de leur conjoint, on ne sait pas où elle est, avec qui elle est ? Du coup, au début, ce n’était pas du tout accepté. Mon époux a fait intervenir ses frères pour que je prenne un boulot salarié. J’ai tenu bon jusqu’à ce qu’il me comprenne et qu’il commence à me soutenir.

En quelle année avez-vous créé votre ?

Victorine Ouandaogo : J’ai commencé en 1986.

Vous avez donc mis en place l’entreprise NOOMDE, quel type d’activités y mène-t-on ?

Victorine Ouandaogo : J’ai commencé juste avec le sirop de tamarin que je mettais dans mon véhicule et que je vendais de service en service. Et puis, comme c’était la période révolutionnaire où on mettait l’accent sur le "consommer burkinabè", ça nous a vraiment porté. Les européens ont adopté le produit et comme toujours quand on vend ça chez l’européen, nous aussi on commence à essayer. C’est comme ça que la consommation est partie. Petit à petit, on a augmenté la gamme de sirop, on a introduit la confiture, le jus, le vin qu’on a abandonné par la suite. Maintenant, on a les boissons alcoolisées qui ont été formulées à base du bissap.

Comment se portent les établissements NOOMDE aujourd’hui ?

Victorine Ouandaogo : Je dis toujours que ça va. On a vu des gens partir, mais nous on est toujours là. Bon an, mal an, on arrive à payer nos employés, à honorer nos impôts et nos engagements sociaux avec la CNSS. Donc, je pense que ça va.

Combien d’employés compte NOOMDE aujourd’hui ?

Victorine Ouandaogo : Présentement, on a à peu près une vingtaine.

Vous évoluez toujours dans la transformation ?

Victorine Ouandaogo : Oui, on est toujours dans la transformation. Nous transformons des fruits. On est entré un tout petit peu dans les légumes sinon, c’est principalement les fruits frais comme secs, le rhizome aussi parce que le gingimbre n’est pas un fruit.

Vous étiez la seule ou l’une des rares femmes à avoir adopté ce concept de transformation au départ, aujourd’hui, le marché est inondé, quelle appréciation de cette évolution ?

Victorine Ouandaogo : J’apprécie positivement parce qu’il faut toujours des gens pour défricher et que d’autres suivent parce que comme je le dis toujours, ce n’est pas en faisant de l’import-export que l’Afrique va se développer. Vraiment, je suis désolée de lé répéter. C’est vrai que c’est l’activité qui nous rapporte rapidement de l’argent. Si, au lieu de faire de la transformation, j’étais allée dans l’import-export, aujourd’hui je serais sans doute l’une des femmes les plus riches du Burkina. Mais, ce n’est pas ça qui va développer nos pays parce qu’en ce moment-là, tout notre argent va dehors, c’est juste un peu qui reste. Les gens resquillent avec les impôts et la douane. C’est ce qui donne l’impression que ça rapporte. Si on arrive à transformer même un 1/3 seulement de nos matières premières, vous allez voir la différence. On a fait la preuve avec le coton, on a fait la preuve avec le beurre de karité.

Comment appréciez- vous la qualité des produits qui sont sur le marché ?

Victorine Ouandaogo : Disons que la qualité a évolué parce qu’au niveau du suivi notamment du centre national de recherche à travers son département de technologies alimentaires ou avec le laboratoire national, il y a eu des formations qui ont été offertes aux uns et aux autres. Donc, ça fait que les gens essayent d’améliorer la qualité. Surtout quand vous êtes nombreux, il faut essayer de se maintenir sur le marché. C’est ce qui fait que les gens font des efforts pour améliorer.

N’avez-vous pas peur de la concurrence ?

Victorine Ouandaogo : Non pas du tout. On ne représente pas grand-chose dans la totalité du marché. Il y a de la place. Regardez par exemple au niveau des jus. Je dis toujours aux gens : les milliards de la BRAKINA, c’est de l’argent du Burkina non ? Pourquoi est-ce que nous on ne pourrait pas en prendre notre part. Il n’y a pas de raison.

Cette année, la célébration du 08 mars porte sur l’autonomisation économique des femmes, que pensez-vous d’un tel thème ?

Victorine Ouandaogo : C’est un très bon thème. C’est ce que nous avons toujours demandé, que toutes les conditions soient mises en place pour permettre l’autonomisation des femmes parce que quand on parle de parité ou de quota en matière de politique, c’est parce que économiquement la femme n’est pas solide. Le jour où elle va être économiquement indépendante, vous allez voir la différence parce que mondialement tout le monde reconnait que dès que la femme a une augmentation de ses revenus, ça se ressent tout de suite sur toute la famille.

Je prends l’exemple chez moi. Mes cousines sont toutes chefs de ménage parce que les hommes ne sont pas là, ils sont tous en Côte d’Ivoire. Donc, c’est elles qui assurent l’éducation des enfants, leur santé, elles font tout. Donc, plus ces femmes-là vont être économiquement indépendantes, mieux la famille va se porter.

Que pensez-vous de la manière de célébrer cette journée-là ?

Victorine Ouandaogo : Je ne vais pas rentrer dans la polémique parce que nous, on a lutté pour l’émancipation des femmes. C’est vrai que de plus en plus, on a l’impression que le côté festif prime sur la réflexion. Mais peut-être que quelque part les femmes ont besoin de ça. Je ne jette pas la pierre, je pense que c’est une évolution. Peut-être qu’on peut, tout au long de l’année, préparer le 08 mars parce que c’est un processus continu. L’émancipation, ce n’est pas en une journée. Je pense que ce sont des choses qu’on peut améliorer.

Que pensez-vous des initiatives qui sont prises pour aider les femmes à être financièrement autonomes ?

Victorine Ouandaogo : Ça dépend de là où ça se situe. Si c’est au niveau de l’Etat central, le ministère de la promotion de la femme est jusqu’à présent le ministère le plus pauvre. Il n’a pas assez de moyens pour bien fonctionner, à plus forte raison aider à l’autonomisation des femmes. Par contre, il y a tout ce qui se fait au niveau des églises, au niveau des ONG et au niveau même de certaines initiatives privées et de la coopération bilatérale et multilatérale. Enormement de choses sont faites pour aider à la promotion des femmes et c’est tant mieux.

Vous avez tout à l’heure parlé du quota, quelle appréciation faites-vous de la loi sur le quota genre adoptée en 2012 ?

Victorine Ouandaogo : Je ne suis pas pour les quotas. Je trouve que voter une loi comme ça, ça ne vous garantit pas de résultats sur le terrain. La preuve, on a vu aux élections couplées. Personnellement, je suis pour qu’on fasse un travail sur le terrain. D’abord, on est en train de lutter pour l’éducation des filles. On a obtenu la discrimination positive sur l’éducation des filles. Si on gagne également qu’au niveau de l’autonomisation économique les femmes puissent être indépendantes, on n’aura même pas besoin de loi. Vous verrez qu’on va les aligner sur les listes. Malheureusement, on ne se comprend pas. Il y en a qui croient qu’il suffit de voter la loi, non, ce n’est pas vrai. Il faut créer des conditions pour qu’il y ait des personnalités. S’il y a des personnalités féminines, elles vont déposer leurs candidatures.

On vous a aussi connu militante panafricaniste, qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ?

Victorine Ouandaogo : Pas grand-chose. Le mouvement n’a pas abouti à mon sens. C’est vrai qu’on a maintenant quand même l’Union africaine, on a les organisations sous-régionales qui essayent de tenir le flambeau. Au niveau des femmes, on a essayé de créer des réseaux pour que les femmes puissent travailler ensemble. Mais, je peux dire qu’on est toujours dans les tâtonnements. Ce n’est pas encore ce qu’on aimerait qui arrive.

En tout cas, jusqu’à présent, mon rêve, c’est que l’Afrique prenne conscience d’elle-même, et ça, ce n’est pas encore arrivé. Le jour où l’Afrique prendra conscience qu’elle constitue une force, en ce moment-là, elle pourra réellement agir. Pas seulement pour son propre destin, mais pour le destin du reste du monde aussi. Malheureusement, on n’en a pas pris conscience.

Il y a un chercheur sénégalais pour qui on a demandé à ce qu’il puisse être entendu par les chefs d’Etat. Il a fait beaucoup de calculs et il dit que l’Afrique est le centre du monde. A vol d’oiseau, nous sommes le centre du monde avec les autres continents. Et quand on nous dit de ne pas nous multiplier, c’est un faux problème puisque c’est la matière grise là qui va nous développer. C’est là où se trouve notre succès. Et, il a fait des exercices où il montre qu’on peut loger l’Inde, la Chine, la France dans l’Afrique et il y aura encore de l’espace. Mais, on n’a pas encore pris conscience de ça. On est même en train de vendre nos terres aux brésiliens et aux chinois. Demain, nos générations vont faire comment ? On s’est lancé dans la culture du Jatropha, de ceci ou de cela, on ne mange pas le jatropha, je regrette.

Ce chercheur sénégalais dit par exemple que si l’Afrique s’organise, elle peut approvisionner le reste du monde en riz parce qu’ailleurs on est en train de diminuer les surfaces cultivables. Il n’y a que chez nous où on a encore des surfaces qui ne sont pas investies. Bon, c’est un débat.

Pourquoi vous ne vous engagez pas en politique pour porter un tel message ?

Victorine Ouandaogo : J’ai pensé à ça. En 1978, j’avais même déjà conçu quelque chose avec la devise, les couleurs et tout. Mais, j’ai trouvé que si tu veux mener un combat sincère, c’est difficile dans nos pays à cause du fort taux d’analphabétisme. Comme les gens ne comprennent pas, c’est ce qui a fait que finalement le projet a avorté.

Mais, il existe des partis dans lesquels vous pouvez militer et porter le message…

Victorine Ouandaogo : Non, je pense beaucoup plus à la société civile. On connait le jeu sur le terrain politique, il n’est pas franc. C’est dommage, mais c’est comme ça.

Un message aux femmes à l’occasion de la fête du 08 mars ?

Victorine Ouandaogo : C’est de leur souhaiter une bonne et heureuse fête du 08 mars parce que la vie est belle et elle mérite d’être vécue. La femme, quoi qu’on dise, est l’âme du foyer. Elle a un rôle important à jouer, il faut qu’elle prenne conscience de ce rôle, qu’elle prenne conscience de son importance, qu’elle intègre cette importance, qu’elle comprenne qu’elle est un maillon important, que ce soit dans un noyau familial, que ce soit dans un service, que ce soit au niveau de l’Etat. Plus, on va intégrer ces valeurs là, plus on va pouvoir les exprimer et améliorer notre quotidien pour participer au développement de notre pays.

Interview réalisée par Moussa Diallo

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