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Patrick Poivre d’Arvor : « Il faut que l’Afrique saisisse sa chance »

Publié le jeudi 28 février 2013 à 10h25min

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Patrick Poivre d’Arvor : « Il faut que l’Afrique saisisse sa chance »

Entretien avec Patrick Poivre d’Arvor : journaliste, écrivain et cinéaste français, présent à Ouagadougou lors des premiers jours de cette 23e édition du FESPACO.

Pendant trente ans, Patrick Poivre d’Arvor a été le principal célébrant de ce qu’on appelle en France « la grand-messe du 20h ». D’abord sur France 2 – Antenne 2 à l’époque – puis sur TF1, « PPDA » a traversé les décennies dans les tubes cathodiques, s’adressant tous les soirs à des millions de téléspectateurs. Aujourd’hui âgé de 65 ans, cet « aventurier » - c’est ainsi qu’il aime se définir - a déjà noirci les pages d’une soixantaine d’ouvrages et profite désormais de son temps libre pour s’adonner à ses véritables passions : la littérature, le cinéma et le théâtre.

Récemment, il a réalisé Mon frère, Yves, un film adapté d’un roman de Pierre Loti avec Thierry Fremont dans le rôle principal et, lorsque nous sommes arrivés dans les salons VIP de l’aéroport de Ouagadougou, il était en train de corriger les épreuves de son prochain livre : Seules les traces font rêver. Visiblement ravi par son séjour au Burkina, Patrick Poivre d’Arvor a accepté de nous parler du FESPACO, de l’Afrique ainsi que de son rapport au cinéma et au journalisme avant de s’inquiéter du retard de son vol pour Paris.

Monsieur Poivre d’Arvor, qu’est-ce qui vous amène au Burkina ?

Ça fait très longtemps que je voulais assister au FESPACO car mon frère - qui s’y est rendu par trois fois - m’en avait dit le plus grand bien. Par ailleurs, je suis un grand passionné de cinéma et je m’intéresse de près aux cinématographies africaines. J’avais aussi gardé un très bon souvenir de mon passage, il y a très longtemps au Burkina Faso. Je trouve qu’il y a beaucoup d’empathie ici.

Vous avez une relation particulière à l’Afrique ?

J’aime beaucoup l’Afrique. A chaque fois que j’y vais, je m’y sens bien. Il y a une bienveillance naturelle de la part des populations, singulièrement ici, au Burkina Faso : un pays travailleur et attachant. Il manque juste la mer mais ça c’est un point de vue de marin breton.

En parlant de « marin breton », vous venez de réaliser un film appelé « Mon frère, Yves », adapté d’une œuvre de Pierre Loti…

Oui, ça fait très longtemps que j’en avais envie mais c’était impossible à faire tant que je présentais le journal télévisé. Quand on m’a indiqué la porte de sortie, j’en ai profité pour aller vers toutes mes passions refoulées ou, en tout cas, contrariées. J’ai donc fait ce film avec Thierry Frémont dans le rôle principal. Par ailleurs, je travaille aussi sur une autre adaptation qui verra bientôt le jour à la télévision et, peut-être, au cinéma. J’ai également mis en scène l’opéra Carmen et je vais réitérer avec Don Giovanni dans quelques mois en Belgique, puis en France l’année suivante. Il n’est pas impossible que j’aille jusqu’au bout d’une adaptation théâtrale aussi. Je suis très excité par tout ça même si ça m’a un peu éloigné de mon terreau d’origine : le journalisme.

Ça ne m’a pas franchement étonné que vous ayez choisi une oeuvre de Pierre Loti dans le sens où l’aventure semble faire partie de vos marottes. Adolescent, j’étais tombé sur l’un de vos livres, « La traversée du miroir », qui m’avait rappelé un film d’Antonioni, « Profession Reporter ». Le personnage principal de votre roman et celui joué par Nicholson me semblent assez proches ; il y a chez eux un véritable attrait pour l’exil et la dissolution du « moi »…

C’est drôle que vous citiez Profession Reporter car c’est un film que j’aime énormément, surtout pour ce sublime plan séquence à la fin. En ce qui concerne l’aventure, je constate aujourd’hui que les gens se passionnent pour les « aventures » de telles ou telles chanteuses et d’autres futilités de ce genre. Le monde est ainsi fait, mais chacun a sa passion ; souvent bien refoulée d’ailleurs. Il faut pourtant la vivre jusqu’au bout. Personnellement, je suis très content d’avoir fait ce film, adapté d’un livre aujourd’hui assez méconnu alors que Pierre Loti était adulé de son vivant.

Pour revenir au FESPACO, quels sont les films qui vous ont marqué cette année ?

Il y a un film en particulier que j’avais déjà eu l’occasion de voir à Paris ; ça s’appelle « Les chevaux de Dieu ». C’est un très beau long métrage marocain qui raconte extrêmement bien l’itinéraire de jeunes gens qui vont devenir terroristes et finir par commettre un attentat à Marrakech. « La Pirogue » aussi est un très bon film. Je n’ai pas eu l’occasion de voir les films sud-africains sélectionnés mais j’attends avec impatience qu’ils puissent être diffusés en France.

Quel avenir pour le cinéma africain, selon vous ?

J’ai beaucoup d’amis cinéastes africains qui, avec des moyens techniques très limités, réussissent à faire des chefs-d’œuvre projetés à Cannes, à Venise ou ailleurs. C’est très intéressant d’essayer de comprendre un pays à travers sa cinématographie. Ces films, malgré leurs petits moyens, vont souvent au cœur des choses et permettent de mieux saisir ce qui se passe sur ce beau continent. Donc, oui, il y a de l’avenir pour ce genre de cinéma.

Peu d’occidentaux se risquent aujourd’hui à venir en Afrique de l’Ouest, c’est quelque chose que vous déplorez ?

Oui, c’est assez malheureux. J’ai pas mal communiqué sur Twitter pendant ces quelques jours pour dire que j’étais là et promouvoir un peu le FESPACO. Suite à cela, un confrère journaliste a fait cette boutade : « Il vont nous l’enlever ! ». C’est navrant car, au lieu de parler de choses essentielles, on préfère privilégier ce genre de réactions qui témoignent, il faut bien le dire, d’une méconnaissance totale du pays. La bêtise vient bien souvent de l’ignorance et du manque de curiosité. Et puis, vous savez, le jour où les gens n’oseront plus bouger, le monde sera bien racorni ! C’est ce dont je parle dans ce livre que vous m’avez vu corriger tout à l’heure. Le titre est un vers de René Char : « Seules les traces font rêver ». J’y raconte mes rencontres, j’y dresse les portraits de gens qui m’ont passionné. Durant ma vie, j’ai côtoyé un grand nombre de chefs d’Etats africains, de dictateurs en tous genres. Beaucoup d’entre eux ont désormais disparu après avoir été pendus ou exécutés. Tout ça pour dire que je ne regrette pas d’être sorti de chez moi sinon je serais sans doute resté ce petit enfant sauvage et timide. J’aurais pu rester à Reims et faire le même métier que mon père, par exemple.

C’est cette volonté de connaître le monde qui vous a amené au journalisme ?

Oui, précisément. Je pense être assez généreux dans le regard que je porte sur les gens et je sais que le monde m’a rendu meilleur. Dès que j’ai commencé à voyager, j’ai fait un tour de la Méditerranée en stop puis un autre en 2CV. Comme je n’avais pas d’argent pour dormir à l’hôtel, j’allais chez les gens et j’ai eu la chance de voir comment ils vivaient. C’était formidable.

Le métier de journaliste ne vous manque pas ?

De temps en temps, quand il y a des évènements un peu excitants. Si c’est pour être dans la répétition ou l’instantané comme ça se fait de plus en plus, j’avoue que ça ne me m’intéresse pas. Cela dit, je reste animateur sur La Chaîne Parlementaire et je prépare toute une série d’émissions qui vont être diffusées sur France 5. Pour tout vous dire, la lumière très crue sous laquelle je me suis retrouvé pendant 30 ans ne me manque pas.

Que diriez-vous à un jeune journaliste qui débute ?

C’est simple : aller jusqu’au bout de ses rêves. Il y a aussi cette phrase de Lawrence D’Arabie qui dit que ce sont les hommes qui rêvent éveillés qui sont les plus dangereux. Il faut aussi rester enthousiaste et rigoureux, bien recouper les informations et ne pas se contenter de rumeurs comme ça se fait beaucoup, notamment sur le net. Aimer les gens avec qui on parle et, je dirais presque, aimer les gens de qui on parle. En tout cas, c’est important de s’intéresser vraiment à eux.

J’aurais même tendance à dire : commencer par aller parler aux gens...

Ah ça, c’est évident. Moi-même j’étais très sauvage quand j’étais enfant et j’ai fait des efforts surhumains pour aller parler aux gens. Pourtant, j’ai fini par parler à des dizaines de millions de téléspectateurs !

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle en Afrique de l’Ouest ?

D’abord, il est nécessaire d’avoir une multiplicité de regards. Je me rappelle très bien le livre de René Dumont qui date d’un demi-siècle maintenant et qui s’appelait « L’Afrique noire est mal partie » . Aujourd’hui, les faits semblent tout de même le contredire. Par exemple, on voit dans certains pays une croissance à près de deux chiffres, un espace francophone qui, si tout va bien, va encore s’élargir… Cela fait beaucoup de signes positifs. Par ailleurs, je n’occulte pas les dangers du sida, du manque de démocratie dans telle ou telle zone mais je pense que l’Afrique a sa chance ; il faut qu’elle la saisisse, grâce à la culture notamment.

Que pensez-vous du traitement des évènements en Afrique par les médias occidentaux ?

Ça dépend de quels médias vous parlez. Il y a heureusement beaucoup de gens ouverts et passionnés. Malheureusement, on voit bien, pour l’instant, que les tropismes occidentaux sont très prégnants et que les gens s’intéressent beaucoup plus à leurs « petites » histoires – peut-être pas si « petites » pour certaines - qu’à ce qui se passe hors de leurs frontières.

Pour finir avec le cinéma, quels sont vos coups de cœur cinématographique, de manière générale ?

Oh, il y en a beaucoup. Vous citiez Antonioni tout à l’heure. J’aime aussi beaucoup Fellini, Bergman, Jean Renoir… Je vais beaucoup au cinéma, les films continuent de peupler mon monde.

Interview réalisée par Pierre Mareczko
Photos : Juvénal Somé

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