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La Turquie est-elle plus apte, que d’autres « émergents », à proposer un partenariat équilibré aux pays africains ?

Publié le mardi 8 janvier 2013 à 16h53min

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Ce n’est pas une des têtes d’affiche des pays « émergents » (Brésil, Inde, Chine). Mais la Turquie est incontestablement un pays avec lequel l’Afrique devra compter à l’avenir.

75 millions d’habitants, une population plus jeune qu’en Europe occidentale, majoritairement des urbains, ayant une histoire qui lui a donné un rôle primordial dans celle de l’humanité, au contact de l’Europe, du Caucase (aux ressources pétrolières et gazières considérables), du Moyen-Orient (elle a des frontières avec trois pays majeurs de la zone : Syrie, Irak, Iran), la Turquie vient en dix-septième position dans le monde pour son PIB global, derrière l’Indonésie et devant les Pays-Bas, ce qui en fait la première puissance économique du Proche et du Moyen-Orient (devant l’Arabie saoudite qui n’a fait son entrée dans le Top 20 qu’en 2012). Ajoutons à cela que la Turquie est un pays musulman mais un Etat laïc, membre de l’OTAN et du G20. C’est aussi un pays méditerranéen (le plus peuplé du bassin méditerranéen avec l’Egypte), à équidistance de Paris, d’Alger, de Khartoum.

La Turquie était, il y a encore un siècle, un empire qui régnait sur les Balkans (ce n’est qu’à l’issue des « guerres balkaniques », le 30 mai 1913, que l’empire Ottoman a perdu la quasi-totalité de son territoire européen), une partie de la rive Sud de la mer Méditerranée, les rives de la mer Noire, la rive orientale de la mer Rouge, et étendait sa puissance jusqu’au golfe Persique (son territoire a atteint jusqu’à 5,2 millions de km² !). Il y a tout juste un siècle, le 23 janvier 1913, les Jeunes Turcs prenaient le pouvoir et allaient choisir le camp de l’Allemagne à la veille de la Première guerre mondiale. Mauvais choix. En dix ans, l’empire Ottoman va être vaincu sur tous les fronts (y compris diplomatiques) et être dépecé par la France et l’Angleterre. La Turquie va naître le 24 juillet 1923 des ruines de l’empire.

Quatre-vingt dix ans plus tard, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, vient de quitter Istanbul pour une nouvelle tournée africaine : Gabon (6-7 janvier), Niger (8-9 janvier), Sénégal (10-11 janvier). Voilà dix ans, depuis son accession au pouvoir, qu’Erdogan entend donner à la Turquie une ambition africaine. 2005 sera désignée par la Turquie « Année de l’Afrique » ; à cette occasion Erdogan se rendra en Ethiopie et en Afrique du Sud. En 2008 (18-21 août), Erdogan organisera le Premier sommet sur la coopération Afrique-Turquie alors que l’Union africaine avait, quelques mois auparavant (janvier 2008), conféré à la Turquie le statut de « partenaire stratégique de l’Afrique ».

La Déclaration d’Istanbul sur le partenariat Afrique-Turquie : « Solidarité et partenariat pour un avenir commun » a été adoptée à cette occasion. Depuis, Erdogan a multiplié les déplacements en Afrique (le chef de l’Etat, Abdullah Gül l’a suivi dans cette démarche africaine) et 19 ambassades ont été ouvertes sur le continent portant à 31 le nombre de ses représentations diplomatiques en Afrique (34 dans les tous prochains mois). Erdogan est accompagné d’une forte délégation d’hommes d’affaires et de chefs d’entreprises turcs (son objectif est de multiplier par dix en dix ans les échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique afin qu’ils atteignent 50 milliards de dollars en 2015 ; ils étaient de 11 milliards en 2011), mais il entend également aborder avec les chefs d’Etats rencontrés (ainsi que leurs premiers ministres) les questions « régionales et internationales ».

La Turquie est consciente que l’irruption récente des « émergents » sur les marchés africains est parfois perçue comme une agression culturelle et sociale. C’est pourquoi Ankara entend se démarquer. « Nous ne venons pas en Afrique en quête de matières premières ou comme dans un supermarché. La Turquie se propose de faciliter l’entrée des produits africains sur les principaux marchés mondiaux » avait souligné Rifat Hisarciklioglu, président de la Chambre de commerce et d’industrie turco-africaine en 2008*. Et ce n’est pas tout à fait par hasard que le premier ministre turc se rend dans des pays où la présence chinoise a été remarquée et souvent caractérisée comme prédatrice (c’est le cas notamment de deux des pays visités actuellement : le Gabon et le Niger). Ankara, dans sa relation avec l’Afrique, évoque la « solidarité » et le « partenariat » mais aussi un « avenir commun ». Et inscrit (diplomatiquement) son action dans le cadre de l’Union africaine, se présentant comme « la voix de l’Afrique » au sein de la « communauté internationale ». Dans cette perspective « multilatérale », Ankara s’appuie sur une relation « bilatérale » privilégiée avec l’Afrique du Sud qui ne peut que se renforcer dès lors que c’est une ressortissante de ce pays qui préside désormais la Commission de l’UA.

Sur le papier, la relation entre la Turquie et l’Afrique apparaît équilibrée : les deux pays ont un poids démographique qui, sans être totalement comparable, est loin d’être aussi en porte-à-faux qu’avec la Chine ou l’Inde ; ce sont deux puissances régionales dont l’économie est largement diversifiée, disposant d’infrastructures significatives et, l’un et l’autre, pôles touristiques majeurs. Jacob Zuma s’est rendu en Turquie dès octobre 2003. Erdogan a visité l’Afrique du Sud en mars 2005. Quant au président Gûl, il a animé personnellement le sommet Turquie-Afrique du Sud qui s’est tenu à Istanbul du 18 au 20 août 2008. Si la motivation économique est forte (les deux pays ont adopté un système général de préférences qui leur permet de s’octroyer, réciproquement, une faveur commerciale spéciale), les positionnements diplomatiques ne sont pas éloignés, notamment en ce qui concerne la réforme des Nations unies.

Dans cette même perspective, Ankara a trouvé un interlocuteur privilégié avec Thomas Yayi Boni, président du Bénin et de l’Union africaine. Au cours de l’été 2012, Yayi Boni a participé au Forum de commerce et d’investissement organisé à Istanbul ; son enthousiasme était tel qu’il a n’a pas manqué de rappeler que « la Turquie est l’héritière de l’empire Ottoman et, selon moi, elle a retrouvé sa place dans le monde ». Cerise sur le gâteau, le chef de l’Etat béninois vient de nommer comme ambassadeur en Turquie un des fils de l’ancien président Mathieu Kérékou (qui va fêter ses 80 ans le 2 septembre 2013 !) : Moïse Tchando Kérékou. Homme d’affaires, formé à l’université américaine de Beyrouth, il a entretenu des relations privilégiées avec le monde arabe. Il s’est lancé dans l’action politique à la suite de la création, le 5 juin 2010, du Mouvement pour la relève (MPR), sans pour autant cesser de soutenir Yayi Boni qui le nommera à la tête de l’Autorité transitoire de régulation des P & T.

L’intérêt que porte la Turquie à l’Afrique n’est pas neutre, non plus, politiquement, pour ce pays qui est devenu une porte d’entrée des migrants africains (Sénégal, Mali, Nigeria, Ethiopie …) dans l’Union européenne depuis que le renforcement des contrôles au large de l’Espagne et de l’Italie ont reporté vers l’Est les flux de réfugiés qui tentent désormais de gagner, via la Turquie et la Grèce, l’UE. C’est que, compte tenu de sa participation à l’OTAN et de sa volonté de rejoindre l’UE (même si Ankara se lasse des tergiversations européennes), la Turquie se veut exemplaire en matière de relations internationales. Dans le contexte qui est celui de l’Afrique du Nord aujourd’hui, au lendemain des « révolutions arabes », le modèle turc est devenu « une source de méditation » pour bon nombre de pays de la région (pour reprendre une formulation du quotidien algérien El Watan). Et sa position vis-à-vis de l’actuel régime syrien renforce sa position sur la scène internationale « occidentale ». Autant d’éléments sur lesquels Ankara entend surfer pour s’imposer en Afrique comme une troisième force, entre l’Orient (Chine et Inde) et l’Occident (Union européenne + Etats-Unis).

* Cité par Jean-Michel Meyer dans Jeune Afrique du 24 août 2008.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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