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Voyage dans l’univers d’une lutte : La traque d’une mouche porteuse de la mort

Publié le vendredi 28 décembre 2012 à 00h20min

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Voyage dans l’univers d’une lutte : La traque d’une mouche porteuse de la mort

Des scientifiques de plusieurs institutions basées à Bobo-Dioulasso mènent une lutte sans merci contre la mouche tsé-tsé ou glossine, agent vecteur de la maladie du sommeil chez l’homme et de la trypanosomose animale africaine. Voyage avec des entomologistes, biologistes et trypanologues dans l’univers de ces insectes hématophages (avide de sang).

Aujourd’hui, plus que par le passé, la mouche tsé-tsé est traquée jusque dans ses derniers retranchements par tous les moyens. Le jeudi 6 décembre 2012, Lassané Percoma et son collaborateur, Soumaila Pagabeleguem, tous deux entomologistes, se rendent à Satiri, une commune rurale située à 70 km de Bobo-Dioulasso, la 2e ville du Burkina. Satiri qui est traversé par un cours d’eau, le « Leyessa », abrite une forêt classée et des réserves de biosphère de la mare aux hippopotames de Sokoroni, un village de la commune.

Cette biosphère est dans une zone marécageuse où se trouvent deux espèces de mouche tsé-tsé (glossine), riveraine (Glossina palpalis gambiensis et G. tachinoides). Dans cet endroit, plus de 3000 écrans ont été posés par la PATTEC/Burkina (Pan-African Tse-tse and Trypanosomiasis Eradication Campaign). C’est précisément à l’intérieur de la forêt constituée essentiellement de Mytragina inermis (nom scientifique des arbres dominants) et d’un tapis herbacé composé de graminées. Les écrans sont de simples panneaux de tissus imprégnés d’insecticide, montés dans des arbres. Ils mesurent 1m2 et sont constitués de trois bandes de deux couleurs différentes : le bleu au milieu (0,50 m) et le noir (0,25m) de part et d’autre.

Une ou deux fentes de 50 cm sont faites au milieu de chaque bande non seulement pour déprécier la valeur du tissu (éviter autre usage) mais aussi pour réduire l’effet du vent sur lui. Accrochés aux branches d’arbres et dissimulés dans la galerie forestière tout au long du cours d’eau, M. Percoma sur sa moto DT, les identifie même sans un GPS (système de positionnement global). Il connaît la zone comme la paume de sa main. Selon les deux guides du jour, les études ont montré que la mouche tsé-tsé a de la préférence pour les couleurs bleue, blanche et noire. Ces couleurs l’attirent. Ainsi, ce diptère est spécialement séduit par la longueur d’onde du rayonnement réfléchi du bleu. Et il apprécie la haute réflectivité du blanc et du noir dans le domaine des ultra-violets et le contraste des tons. Il évite cependant les couleurs verte, jaune et rouge. En se posant sur l’écran constitué de deux de ses couleurs préférées (noire et bleue), la mouche tsé-tsé absorbe une dose d’insecticide. Un contact de 2 secondes suffit pour obtenir un effet probant.

Elle est étourdie et meurt quelque temps après. « Avant, les écrans étaient imprégnés par nous-mêmes avec une efficacité de six mois. On les enlevait pendant la saison pluvieuse pour les replacer après. Maintenant, on utilise des écrans imprégnés commandés de Vestergaarde (ville allemande) avec une durée d’efficacité de deux ans même exposés sous la pluie », précise Percoma. La pose des écrans par la PATEC a commencé au Burkina en 2009 et a concerné une zone de 40 000 km2, comprenant des régions de la Boucle du Mouhoun, une partie du Centre-Ouest et des Hauts-Bassins. Auparavant, une étude de base entomologique avait été menée. Elle consistait à les capturer dans des gites potentiels afin de les identifier, mesurer leur densité et comprendre leur cycle de reproduction.

Les instruments de capture appelés pièges biconiques, sont constitués à partir des trois couleurs préférées de la mouche tsé-tsé. Il en existe plusieurs types et de formes géométriques différentes. Ils ont tous en commun une surface attractive qui est l’enceinte elle-même, associée à un dispositif anti-retour (pyramide ou fente entre deux plans en V) et une cage de capture en haut du piège. L’efficacité des pièges est renforcée par des odeurs connues qui les attirent comme les substances chimiques de type phéromone qui se confondent à l’odeur du bétail. « Les glossines en Côte d’Ivoire et au Burkina peuvent être différemment sensibles aux mêmes pièges », a affirmé le trypanologue Issa Sidibé, coordonnateur du PATTEC. Les mouches capturées sont étudiées au laboratoire. Pour lui, cette stratégie a permis d’évaluer la densité des mouches tsé-tsé dans la nature avant la pose des écrans. Après l’installation des écrans, des pièges sont encore installés tous les deux mois afin de suivre l’évolution de la densité. Avant le début de la lutte en 2009, les chercheurs pouvaient capturer par piège et par jour 100 à 300 mouches, ont montré des enquêtes de référence.

Le combat par le lâcher de mâles stériles

Lassané Percoma explique qu’après le contrôle entomologique périodique de novembre 2012, dans la zone du Centre-Ouest et du Mouhoun, ils ont capturé une seule glossine. « La population des mouches dans la zone d’intervention est réduite de 95-99% à certains endroits. Nous réalisons des enquêtes tous les deux mois pour voir la densité des mouches, mais il y a des endroits où on n’attrape plus de mouche », se réjouit le trypanologue, Issa Sidibé. Gabriel Milogo, pêcheur, habitant de Sokoroni est lui aussi satisfait de la lutte. « Les mouches tsé-tsé nous causaient beaucoup de nuisances. Leurs piqûres sont douloureuses et souvent accompagnées de saignement. Maintenant, on peut pêcher torse nu dans la mare, ce qui n’était pas possible avant », a declaré M. Milogo. Heureusement, disent les entomologistes, le vecteur existe au Burkina mais le parasite responsable de la maladie chez l’homme n’y existe plus. A tout moment qu’elle sucera le sang d’un sujet malade, la mouche reste infestée toute sa vie et sera capable de transmettre le parasite à l’homme. Mais elle existe toujours chez l’animal « au pays des Hommes intègres ».
Les autres zones frontalières à la Côte d’Ivoire, au Ghana et au Bénin restent toujours infestées.

Aussi, les résidus de glossine après la pose des écrans traduisent-ils les limites de ce procédé. Comment éliminer les 1 à 5% de glossines ? A en croire les scientifiques, il se peut qu’entre 1 et 5% ne sont peut-être pas attirés par les écrans. Ainsi entre en ligne de compte la technique du mâle stérile. Cette technique est envisagée dans la zone d’intervention du PATTEC/Burkina. La stérilisation se fait au laboratoire par irradiation des glossines mâles ou les pupes (enveloppe larvaire) mâles au rayon gama en 24 mn 30 secondes. Pour le biologiste- trypanologue Issa Sidibé, cette technique de mâles irradiés vise à exploiter le mode d’accouplement du fait que la femelle ne s’accouple qu’une fois dans sa vie. La durée de cet acte est au minimum de 30 mn pour que l’insémination ait lieu, mais elle peut aussi durer de 1 à 3 heures.

Conséquence, les femelles qui s’accouplent avec les mâles stériles remplissent leur spermathèque (organe de stockage et de conservation de la semence mâle) de sperme infécond et ne peuvent avoir de descendance. Elles restent stériles toute leur vie entre 3 et 6 mois. En attendant l’utilisation de la technique à grande échelle, des tests ont été faits à Satiri au Burkina et aussi au zoo Hanan de Dakar. Au Burkina, les expérimentations ont eu lieu en août dernier sur une dizaine de km aux abords du cours d’eau de Leyssa à Satiri. 3000 mâles irradiés de Glossina palpalis gambiensis provenant de l’insectarium du Centre international de recherche-développement sur l’élevage en zone subhumide (CIRDES) ont été lâchés. « Cet essai ponctuel est satisfaisant », a affirmé Lassané Percoma.

Résultat concluant au Sénégal

Et la technique sera mise en branle avec l’insectarium de la PATTEC, le plus grand en construction de l’Afrique de l’Ouest qui pourra produire en masse des mouches tsé-tsé mâles stériles. En attendant, les glossines élevées par le CIRDES donnent satisfaction. Elles ont aussi donné de bons résultats au Sénégal qui les a expérimentées dans le Parc-Hann de Dakar. Une étude de faisabilité est ainsi menée par le service de Bio-écologie et de Pathologie parasitaire de l’Institut sénégalais de la Recherche agricole (ISRA).

Cet institut dispose d’un insectarium pour la réception et les émergences des pupes en provenance du CIRDES de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). Le Sénégal ne disposant pas d’équipements nécessaires, a développé des partenariats avec des insectariums de référence comme celui du CIRDES et de la Slovaquie. « Chaque semaine, nous recevons du Centre international de recherche-développement sur l’élevage en zone subhumide (CIRDES) basé à Bobo-Dioulasso au Burkina, six à sept mille pupes irradiées », a indiqué le coordonnateur du Programme santé animale de l’ISRA, Momar Talla Seck, rencontré en janvier dernier dans le zoo de Hann à Dakar. Ces pupes sont transportées de Ouagadougou à Dakar par voie aérienne dans des conditions de 7 à 10 degrés pour empêcher leur éclosion au cours du voyage.

A destination, à l’insectarium de Dakar, elles sont suivies pour leur émergence (éclosion). Pour cela elles sont enfouies dans du sable mélangé à de la poudre fluorescente, une reconstitution du milieu naturel des pupes. Après éclosion, ces glossines portent des marques grâce à la poudre fluorescente qui les distingue des autres glossines dites sauvages. Elles sont nourries au sang des animaux traités au trypanocide (médicament contre la trypanosomiase animale) qui permet de les protéger contre d’éventuelle infection. Quatre à cinq jours après, les glossines devenues adultes sont lâchées dans la zone forestière et zoologique de Hann de Dakar.

Dans son « étude de compétitivité des mâles stériles pour l’éradication des mouches tsé-tsé dans la zone des Niayes au Sénégal », le jeune chercheur, Soumaila Pagabeleguem, a confirmé que les mouches tsé-tsé provenant du Burkina ont donné des résultats satisfaisants. En effet, l’étude a révélé qu’un ratio de 2 à 3 mâles stériles pour un mâle sauvage fertile permet de réduire de 50% la fertilité des femelles sauvages. Dans les campagnes antérieures d’éradication, comme à l’île de Zanzibar, un ratio de dix mâles stériles contre un mâle sauvage fertile a été nécessaire pour le même résultat.

L’étude conclut qu’il est possible d’utiliser des mouches originaires du Burkina pour éradiquer celles du Sénégal. La mouche tsé-tsé est présente dans 38 pays africains. Pour éradiquer cet insecte responsable de la maladie du sommeil chez l’homme et de la trypanosomose animale africaine, il faut combiner des stratégies de lutte, chimique et biologique. Même avec tout cela, il faudrait que tous les pays où la mouche tsé-tsé se signale, fassent front commun pour l’éradiquer car dans sa zone de prédilection, elle n’a pas de pays ni de frontière. La lutte s’annonce vaine pour le Burkina, voire pour les pays limitrophes si « ce voyageur hématophage » continue de prendre son sang (son repas unique) en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Mali, au Bénin, au Niger et vice versa.

Boureima SANGA (bsanga2003@yahoo.fr)


Portrait d’une mouche à mauvaise réputation

La mouche tsé-tsé ou glossine est un insecte du genre Glossina selon les scientifiques. Elle se rencontre exclusivement sur le continent africain. Le surnom « tsé-tsé » lui a été donné par des ethnies Matébélé et Zoulou (Afrique du sud) en référence au bruit qu’elle fait en vol. Elle n’a été retrouvée ponctuellement que dans l’oasis de Gisan en Arabie Saoudite et dans l’île de Zanzibar. Les mouches tsé-tsé se diffèrent des 85 000 autres espèces de mouches par une paire d’ailes repliées en ciseaux sur le dos en position de repos et du fait qu’elle soit vivipare. Celle-ci se nourrit uniquement de sang des animaux ou de l’homme.

Elle a la capacité de transmettre, à la faune sauvage, aux animaux domestiques et à l’homme, un protozoaire parasite, appelé trypanosome. Ce parasite provoque la maladie du sommeil (trypanosomose humaine africaine) et Nagana (trypanosomose animale africaine). A condition qu’elle soit infestée. La femelle des tsé-tsé s’accouple généralement une seule fois dans sa vie. La femelle remplit son spermathèque de spermatozoïdes une et une seule fois. Et le jeune mâle dispose en début de vie d’un stock de spermatozoïdes non renouvelable. Tous les dix jours en moyenne et jusqu’à sa mort, la femelle donne naissance à une nouvelle larve. La mouche tsé-tsé prend son repas de sang tous les trois jours en moyenne. Il y a trois groupes de glossines : le groupe palpalis (qui est riverain), le groupe morsitans (qui vit dans la savane) et le groupe fusca (qui se trouve dans les forêts denses). Les glossines aiment le milieu où la température varie entre 25 et 26°c et une humidité comprise entre 65 et 85°. Ses prédateurs sont les fourmis et les criquets.

B.S.

Source :« La mouche tsé-tsé pédagogique », Collections les savoirs partagés.


L’île de Zanzibar : la technique réussie de mâles stériles

La lutte contre la mouche tsé-tsé par la technique des mâles stériles, la plus réussie à l’état actuel des connaissances, a eu lieu sur l’île de Zanzibar. L’Institut de recherche sur les trypanosomoses de Tanga en Tanzanie, qui dispose d’une unité d’élevage de près d’un million de mouches tsé-tsé femelles, a été capable de produire 70 000 adultes mâles stériles en moyenne par semaine pour le Zanzibar.

Entre 1994 et 1996, après une réduction des populations de glossines à l’aide d’une campagne de lutte chimique (des pièges imprégnés d’insecticides), plus de 8 millions de mâles stériles ont été lâchés. Nettement plus nombreux que les males sauvages, les mâles stériles se sont accouplés avec les femelles de la seule espèce présente « Glossina austeni ». Le sperme inactif les a empêchés d’avoir une descendance. L’île étant éloignée d’une cinquantaine de km du continent africain, cette victoire sera durable à condition d’éviter toute introduction irresponsable de glossines infectées. Depuis cette opération, la production de lait aurait triplé, celle de viande de bœuf doublé et cinq fois plus de fumier animal disponible pour amender les sols.

B.S.

Source : « La mouche tsé-tsé pédagogique », Collections les savoirs partagés


Trois questions au coordonnateur de la PATEC/Burkina, biologiste- trypanologue, Issa Sidibé

Quels sont les objectifs poursuivis par la PATEC ?

La PATTEC (Pan-African Tsé-tsé and Trypanosomiasis Eradication Campaign) est un programme panafricain initié par l’Union africaine. Elle vise à éliminer la mouche tsé-tsé, vecteur responsable de la maladie du sommeil chez l’homme et de la trypanosomose chez l’animal afin d’assainir des terres pour l’agriculture et l’élevage. Suite à la décision des chefs d’Etat, six pays ont été retenus pour un projet initial. Il y a trois pays en Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda et Ethiopie), et les trois autres en Afrique de l’Ouest (le Mali, le Ghana et le Burkina Faso), sur un financement de la Banque africaine de développement (BAD).

Quel est l’état des lieux de la mouche tsé-tsé et les maladies qu’elle transmet ?

Il y a 38 pays africains situés dans la zone endémique. Ces pays sont infestés mais à des degrés variables. L’Ouganda, l’Angola, la RDC et le Soudan présentent des risques les plus élevés. Les pays qui présentent les risques très élevés sont entre autres le Burundi, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée Equatoriale et la Tanzanie. Le Burkina, le Togo, le Mali, le Sénégal, etc., font partie des pays à risque moins élevé. Au Burkina, les quatre régions du grand ouest (la Boucle du Mouhoun, les Hauts-Bassins, les Cascades, le Sud-Ouest, une partie du Centre-Ouest) et une partie de l’Est sont infestées. Avec le projet qui a commencé ses activités depuis 2006, il y a une forte diminution dans la zone d’intervention. Sur 40 000 km2, nous avons une réduction de 95 à 99% de la mouche tsé-tsé. Les autres régions restent infestées.
Quant à la maladie, il y a deux types. Un chez l’homme (la trypanosomose humaine ou maladie du sommeil) et un autre chez l’animal (trypanosomose annimale ou Nagana). Le parasite qui donne la maladie à l’homme est moins ou pas pathogène chez l’animal et vice versa mais le vecteur reste le même, la mouche tsé-tsé. Au niveau du Burkina, le parasite qui donne la maladie chez l’homme est rare. Nous n’avons pas enregistré de cas autochtones depuis une dizaine d’années. Les rares cas enregistrés sont des compatriotes venus des plantations ivoiriennes. Ainsi, la lutte doit être de mise parce que le vecteur existe et pourra toujours s’infester en piquant une personne malade et infecter d’autres. Au niveau du bétail, elle est toujours présente. Le parasite appelé trypanosome est pris par la mouche tsé-tsé dans le corps d’un animal ou une personne malade. Et quand elle va piquer de nouveau une autre personne ou animal sain, pour prendre son repas, elle lui transmet le parasite. De façon globale, on estime selon l’OMS, que 21 millions de personnes vivent dans des zones de risque modérés à très hauts risques avec 1 cas de malade sur 10 000 habitants.

Où en êtes-vous avec la construction de l’insectarium ?

L’insectarium est l’une des composantes importantes de la PATEC Burkina. Il sera l’un des plus grands de la sous region. Il est destiné à produire en masse des mouches mâles stériles afin de les lâcher dans la nature pour terminer les résidus des mouches tsé-tsé. Cette infrastructure est en cours de finition, certains équipements sont déjà acquis et le conseil des ministres du 3 octobre dernier a accordé le marché pour plus de 2 milliards de FCFA pour l’équipement restant.

B. S.

Fasozine

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