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Commune de Léo : Là où l’essence frelatée dicte sa loi

Publié le mercredi 26 décembre 2012 à 23h34min

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Commune de Léo : Là où l’essence frelatée dicte sa loi

A l’instar des autres pays de la sous-région, le Burkina Faso s’est doté de textes régissant le ravitaillement et la vente de produits pétroliers. La Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY) et quelques compagnies formellement identifiées sont les seules habilitées à ravitailler les différentes stations d’essence du pays. Mais des structures parallèles, par mépris ou par ignorance des textes en la matière, se sont peu à peu constituées pour « dealer » de l’essence à l’origine douteuse. Une déferlante à laquelle, assistent impuissantes, certaines localités de notre pays. C’est le cas de la commune de Léo où le commerce de l’essence frelatée en provenance du Ghana prend de jour en jour des proportions inquiétantes. Reportage.

La commune urbaine de Léo, autrefois reputée pour son commerce de céréales et de tubercules (ignames ou patates), est sur le point de s’illustrer dans un tout autre domaine : la vente d’essence frelatée. Plus qu’un phénomène légitimé par l’impuissance des autorités communales à lutter contre, la fièvre de la vente de l’essence frelatée a étendu ses tentacules dans les moindres recoins du paisible chef-lieu de la province de la Sissili. Le constat est frappant ! Dans cette commune de plus de 52 mille habitants située à 13 kilomètres de la frontière ghanéenne, les artères sont littéralement envahies par une « forêt » de bouteilles et de bidons remplis d’essence frelatée.

La ruée vers l’or noir frelaté est telle que la distance qui sépare un hangar d’un autre atteint à peine 50 mètres. Signe que l’essence frelatée dicte sa loi dans les rues de Léo. « J’ai abandonné le commerce de tubercules pour vendre de l’essence frelatée parce qu’elle est rentable. Jusqu’à ce jour, je ne me plains pas », nous confie fièrement Harouna Nébié, un vendeur de carburant frelaté qui dit pratiquer ce commerce depuis deux ans. Les « Harouna Nébié », Léo en regorge beaucoup. Une « réussite » qui n’a pas laissé indifférents les responsables communaux déterminés eux aussi à faire profiter la commune des retombées de la manne de l’essence frelatée, quitte à fouler aux pieds les dispositions légales en vigueur.

En effet, selon l’article 7 du décret 2002-146/PRES/PM/MCPEA portant réglementation de la distribution des produits pétroliers au Burkina Faso, les revendeurs d’essence ne doivent s’approvisionner qu’auprès des structures nationales agréées par l’Etat. Mais les textes n’ont parfois rien à voir avec la réalité. En dépit d’une condamnation de principe, la mairie de Léo est bien obligée, malgré elle, de percevoir des impôts chez ces commerçants d’essence frauduleuse. Il convient toutefois, selon le 1er adjoint au maire de Léo, Antoine Louis Dabiré, de ne pas se méprendre sur cette décision communale. « Ces commerçants paient seulement des taxes à la commune pour l’occupation du domaine public », relativise-t-il.

600 F CFA / litre !

Hamidou Derra, auparavant reconnu pour la qualité de son essence, a fini par succomber aux chants des sirènes de l’essence frelatée. « Je vendais uniquement l’essence venue de la capitale Ouagadougou. Mais présentement, il y a une forte demande de l’essence frelatée bien qu’elle ne soit pas de bonne qualité. Donc, je suis obligé de vendre les deux », se justifie-t-il. Pourquoi les consommateurs ont-ils une préférence pour le carburant frauduleux en provenance du Ghana au détriment de celui homologué par l’Etat ? Hamidou Derra répond que ce choix est lié au coût. « Nous vendons l’essence de Ouagadougou à 800 F CFA le litre pendant que celle du Ghana est vendue à 600 F CFA et le gasoil coûte encore moins », révèle-t-il. Cette concurrence déloyale, comme il fallait s’y attendre, a fini par avoir raison de toutes les stations-service de la ville. Elles ont toutes mis la clé sous le paillasson.

Ironie du sort, lesdites stations ont été assimilées aux pratiques peu recommandables de leurs concurrents directs. « Les gens se demandaient entre-temps si ces gérants de station ne mélangeaient pas l’essence légale à celle venue du Ghana pour la revendre aux consommateurs », déclare Gilbert Zongo, un commerçant au marché de Léo. Une incertitude qui a poussé le haut-commissaire de la province de la Sissili, Anthime Sawadogo, à fuir l’essence de Léo comme la peste. « Je n’utilise jamais cette essence. J’ai toujours mes deux bidons de 20 litres avec lesquels je me ravitaille chaque fois que je suis de passage à Ouagadougou », dit-il. Le ravitaillement de l’essence frelatée sur le territoire burkinabè conduit fraudeurs et douaniers à jouer au chat et à la souris.

A ce jeu, les premiers s’en sortent relativement bien. Selon certains témoignages, ces fraudeurs, à partir de la ville de Tumu au Ghana, frontalière à la commune de Léo, empruntent des pistes à moto ou à vélo chargés de bidons contenant de l’essence frelatée et rentrent dans le territoire burkinabè tard dans la nuit pour ravitailler les revendeurs. Une autre source affirme, qu’il arrive souvent que des transporteurs de gros camions en provenance du pays voisin trompent la vigilance des agents du poste de douane de Léo, en dissimulant le carburant contenu dans des bidons de 20 litres sous les tubercules qu’ils transportent. D’autres sources révèlent également que des fonctionnaires brandissent la cherté de la vie aux douaniers pour aller se procurer le carburant en grande quantité de l’autre côté de la frontière. Là-bas, l’essence coûterait 400 F CFA le litre ! Malheureusement, ces informations n’ont été ni confirmées ni infirmées par le service de douane de Léo. N’ayant pas reçu l’accord de son supérieur hiérarchique, le chef de poste des douanes que nous avons trouvé sur les lieux n’a livré aucune information sur la question malgré notre insistance. « Est-ce que vous disposez d’une autorisation délivrée par la direction générale des douanes ? », nous a-t-il demandé. Motus et bouche cousue.

« Des maladies du tube digestif »

Au-delà de cette fraude transfrontalière qui fait perdre de nombreuses devises à l’Etat, c’est le risque d’endommagement auquel sont exposés les engins à deux roues et autres véhicules du fait de l’utilisation de ce carburant qui est posé. En effet, la nature douteuse de ce liquide ne souffre d’aucun débat en ce sens, sa couleur varie sensiblement d’un vendeur à un autre. Il n’est pas rare de constater également à l’intérieur de certaines bouteilles contenant de l’essence frelatée un dépôt de résidus. Une anomalie que certains vendeurs tentent de corriger en se servant de tamis fabriqués à cet effet pour empêcher ces résidus de passer lorsqu’ils servent un client. Mais, cela n’apporte pas grand-chose. Carine Bationo, institutrice de son état, en a fait les frais.

« J’ai mis de l’essence frelatée dans ma moto que je venais d’acheter nouvellement. Le moteur a subi des dégâts énormes si bien que j’ai été obligée de remplacer beaucoup de pièces », nous relate-t-elle encore amère. Une anecdote qui vient corroborer l’assertion de Mamadou Diallo, directeur technique du Centre de contrôle des véhicules automobiles (CCVA) selon laquelle : « le risque immédiat est la baisse de rendement du moteur et son usure prématurée pour la simple raison que cette essence dite frelatée ne réunit plus les conditions idéales pour une combustion complète dans le moteur. Les conséquences pour les véhicules à allumage classique sont l’inefficacité puis l’usure prématurée des bougies d’allumage, l’échauffement du moteur et la pollution excessive ».

En plus, Il ne fait aucun doute que la pratique de cette activité entraîne de nombreux cas d’incendies et d’accidents involontaires à cause de l’imprudence des vendeurs. La ville de Léo ne disposant pas de brigade de sapeurs-pompiers, un incendie de grande ampleur constituera une catastrophe en ce sens que la brigade la plus proche de la commune se trouve à 154 km (Koudougou). « Nous avons enregistré malheureusement des incendies. Dieu merci, il n’y a pas eu de perte en vies humaines. Par contre, beaucoup de dégâts. Tout cela, parce que l’essence est vendue un peu partout donc, il y a un danger permanent », se désole Antoine Louis Dabiré. En sus de ces menaces d’incendies, il y a les risques de maladies auxquelles sont exposés constamment les acteurs de cette activité illégale.

Au nombre de ceux-ci, il y a l’inhalation du gaz d’échappement de l’essence et la manipulation du liquide. Même s’il affirme n’avoir pas encore reçu de cas de maladies relatifs au carburant, le médecin-chef du district sanitaire de Léo, Dr Yves Belemsobgo est catégorique quant aux effets que crée ce produit pétrolier.

« Le malade peut avoir des problèmes digestifs de la bouche jusqu’à l’anus. Il peut avoir également des problèmes respiratoires sans oublier qu’à la longue, il aura des complications de type de cancer au niveau des reins et de l’œsophage », explique-t-il. Une chose est sûre, tous (autorités, revendeurs d’essence, consommateurs…) sont unanimes à reconnaître que la vente de l’essence frelatée dans la commune de Léo est anormale au regard des conséquences que ce produit nocif pourrait occasionner aux engins, à l’homme mais aussi à l’environnement. Pour François Kiema, président de l’association des commerçants de Léo, il est temps que les autorités prennent à bras-le-corps la question de la vente d’essence frelatée, avant que l’irréparable ne se produise.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO


« C’est la faiblesse des autorités... », dixit Zakaria Nacro

Lorsqu’on aborde le sujet du commerce d’essence frelatée avec Zakaria Nacro, premier gérant à implanter une station d’essence à Léo (1983), il a le cœur gros au point qu’il ne veuille aborder le sujet. Ce septuagénaire qui s’était investi à fond dans cette activité en faisant venir l’essence toutes les deux semaines de Ouagadougou a vite fait de « fermer boutique », après 4 années de gestion non sans difficultés. Zakaria Nacro a dû faire face au commerce déloyal d’essence frauduleuse qui gagnait chaque jour du terrain. « J’ai interpellé le préfet qui avait réuni en son temps, deux représentants de chacun des services de la province pour trouver une solution. Ces derniers m’ont dit de continuer mon activité et qu’ils prendront des mesures. Mais l’entrée de essence frelatée à Léo était telle que je n’en pouvais plus », dit-il avec amertume.

Par la suite, une autre compagnie nationale d’approvisionnement en hydrocarbures s’était engagée à desservir la ville de Léo par l’intermédiaire de deux opérateurs économiques de la localité. Mais cette stratégie n’a pas fait long feu. Le premier opérateur n’a tenu que 3 mois et le second a dû arrêter l’activité à sa deuxième année d’exercice. De ce constat, le premier gérant de station de Léo pointe un doigt accusateur sur les gouvernants en place. « C’est la faiblesse de autorités qui a engendré cette situation. Elles prennent des décisions qu’elles n’appliquent pas de peur que la population ne se soulève. Pourtant, on ne peut faire des omelettes sans casser les œufs », martèle-t –il.

P.O.O

L’Express du Faso

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