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John Kerry, prochain patron du Département d’Etat US (1/2)

Publié le mercredi 19 décembre 2012 à 21h01min

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John Kerry, prochain patron du Département d’Etat US (1/2)

Ce n’est pas le moindre des jobs outre-Atlantique. Depuis Thomas Jefferson, le premier nommé (22 mars 1790) à la tête du Département d’Etat (qui avait été institué peu de temps auparavant, le 21 juillet 1789, sous le nom de Department of Foreign Affairs), ce poste prestigieux a eu 67 titulaires dont beaucoup de têtes d’affiche.

La diplomatie US, c’est 28.000 personnes (dont 8.000 employés au Harry S. Truman Building, à Washington), 260 ambassades, consulats et missions* et plus de 9 milliards d’euros de budget (quasiment deux fois plus que celui du Quai d’Orsay mais l’un et l’autre ne prennent pas en compte les mêmes types de dépenses). Et, surtout, une relative stabilité des titulaires** qui, généralement, assurent tout le mandat de leur président. Depuis le « 11-septembre », date phare dans l’histoire diplomatique des Etats-Unis, Washington n’a connu que trois secrétaires d’Etat : Colin Powell (qui avait pris ses fonctions le 20 janvier 2001) ; Condoleezza Rice (2005-2009) ; Hillary Clinton (depuis le 21 janvier 2009).

Hillary Clinton, candidate malheureuse à l’investiture démocrate en 2008 (face à Barack Obama), ne veut pas reprendre du service au Département d’Etat à l’issue de ce premier mandat. Elle est une des femmes les plus célèbres de la planète, épouse d’un ex-président des Etats-Unis, personnalité influente, s’est habituée au train de vie des « puissants » de ce monde (les jets privés, les vacances dans les Hamptons où les Clinton envisagent l’acquisition d’une propriété, ce qui représente une dépense de plusieurs millions de dollars), hésite entre « faire du fric » et en dépenser (beaucoup) pour devenir la première femme présidente des Etats-Unis en 2016 et, de toutes les façons, se refuse à laisser penser que « sa carrière est derrière elle » (Philippe Reines, porte-parole du Département d’Etat, dans un papier de Jodi Kantor, New York Times du 14 décembre 2012).

Le Département d’Etat est donc, depuis la réélection d’Obama, à conquérir. Susan Rice, ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, était la candidate du chef de l’Etat. Mais face à la bronca qu’a suscité, au Congrès, dans les rangs républicains, sa candidature, elle a jeté l’éponge. Dans le même temps, Hillary Clinton a été victime d’une commotion cérébrale ce week-end et va lever le pied jusqu’à la prise de fonction de son successeur. Au cours du premier mandat d’Obama, elle aura parcouru 1,5 million de km et visité 112 pays… ! Reste à savoir si cela à changé la donne diplomatique des Etats-Unis (et la donne diplomatique mondiale, on se souvient qu’Obama, son « patron », s’est vu décerner le prix Nobel de la paix).

Ce sera à son successeur de dresser le bilan et, le cas échéant, de redresser la barre. Ce sera John Kerry à en croire CNN. Il était déjà pressenti pour cette fonction au lendemain de la victoire d’Obama et faisait même figure de favori face à Rice et à Tom Donilon, conseiller d’Obama pour la sécurité nationale. A 69 ans, Kerry a « sa carrière derrière lui » : candidat démocrate, il a été battu à la présidentielle 2004 par George W. Bush. Sénateur du Massachusetts depuis 1984, président du comité des affaires étrangères du Sénat depuis 2009, Kerry sera un homme qui, dans la fonction de Secrétaire d’Etat, ne jettera pas d’ombre sur le bilan de Madame Clinton (ce qui n’aurait sans doute pas été le cas avec Madame Rice, forte personnalité et qui, à 47 ans, aime à le montrer, Paris en sait quelque chose en ce moment). Kerry, c’est l’Amérique sans surprises et, parfois aussi, sans nuances. Celle que l’on a vue ce week-end sur nos écrans, engluée dans ses contradictions, mal dans sa peau mais pas toujours prête à en changer.

Deux mandats se sont écoulés depuis que Kerry a été candidat à la présidentielle : le second de Bush et le premier d’Obama. Ce qui fait que les commentateurs ont, aujourd’hui, en tête, l’image d’un Barack Obama affrontant Mitt Romney bien plus que celle du face-à-face Bush-Kerry en 2004. Depuis huit ans, hors des Etats-Unis, Kerry n’a guère fait parler de lui. On l’avait un temps annoncé à Paris comme ambassadeur afin de remplacer, en 2009, Craig Stapleton, sur le départ. Et chacun de rappeler que sa mère est née à Paris, que sa famille possède une propriété à Saint-Briac-sur-Mer, en Bretagne, que Kerry est francophone (il a passé son enfance en France mais a appris le français – et l’italien – en Suisse) et francophile, que son cousin n’est autre que l’ancien ministre de l’Ecologie, Brice Lalonde, etc. En 2004, les Républicains avaient aussi collé cette étiquette de « francophone/francophile » au candidat démocrate. Façon de dire qu’il n’était pas vraiment américain, les Français étant considérés par les Républicains comme des « intellectuels un peu snob » tandis que les Démocrates ne seraient que « des élites déconnectées du reste du pays ».

Le conseil avait donc été donné aux Français – et tout particulièrement aux socialistes français : Pierre Moscovici, Dominique Strauss-Kahn, Arnaud Montebourg… qui avaient fait le déplacement jusqu’à Boston pour la convention démocrate de juillet 2004 – de rester dans l’ombre : la France ce n’est pas l’Amérique (des autocollants distribués aux Etats-Unis proclamaient : « John Kerry président… en France »). En 2004, le souvenir des tiraillements entre Paris et Washington au sujet de la guerre en Irak n’était pas encore effacé (je rappelle que Kerry avait voté pour la guerre en octobre 2002 ; « à contrecœur » dira-t-il mais c’est une constante chez lui de regretter ce qu’il a fait et lui a, cependant, permis d’accéder aux premiers rangs : il en a fait une formule choc mais absconse : « Les Etats-Unis ont raison quand ils se trompent et tort quand ils ne se trompent pas » tirée de son discours de fin d’année, à Yale, en 1966, avant de s’embarquer pour le Viêtnam)
Kerry, c’est l’Amérique qu’on aime en France : éduquée, friquée, décontractée.

Papa diplomate formé à Yale et Harvard, pilote de chasse pendant la Deuxième guerre mondiale ; scolarité à St Paul School à Concord (New Hampshire) ; messe le dimanche à l’église catholique ; université de Yale ; engagement dans l’US Navy et le Viêtnam dont il revient en héros décoré avant de virer « anti-guerre » à son retour ; proclamation, devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères, « d’avoir livré une mauvaise guerre » (c’était en 1971 ; elle était perdue) ; avocat puis procureur dans le Massachusetts ; sénateur (1985) expert en relations internationales ; époux d’une riche veuve (Teresa Heinz dont l’empire industriel et financier repose sur le… Ketchup Heinz) après avoir divorcé d’une épouse riche également (appartenant à une grande famille de Philadelphie) mais dépressive qui aurait été un handicap pour sa carrière politique. Pour la gauche française, Kerry c’était la nostalgie des années Kennedy, d’autant plus forte qu’il affrontait George W.Bush, archétype de l’Américain anti-européen.

Kerry, pourtant, dans ces années-là, n’était pas moins « impérialiste » que Bush. « L’Amérique est plus sûre et plus forte si nous sommes les leaders du monde et si nous dirigeons des alliances fortes », dira-t-il lors de son premier débat avec « W », organisé à l’université de Miami (Floride), le jeudi 30 septembre 2004, débat portant sur la politique étrangère. Kerry nous promettait alors qu’il ferait la même chose que « W » mais « en mieux ». Il avait un « meilleur plan » ; il ferait « un meilleur travail » ; il pourra « mieux organiser », « mieux préparer », etc. Kerry le disait : « Le plan du président [Bush] tient en trois mots : la même chose […] Mon plan est meilleur ».

* C’est en Afrique, au Maroc, à Tanger, que se trouverait le plus ancien bâtiment diplomatique US à l’étranger. Il s’agit de l’immeuble de la légation des Etats-Unis sur lequel flotte la bannière étoilée depuis… 1821.

** A titre de comparaison, depuis la Révolution française, il y a eu pas loin de 190 ministres français en charge des affaires étrangères. Depuis l’instauration de la Vème République, la multiplication (qui frise parfois l’inflation) des patrons du Quai d’Orsay est essentiellement imputable aux trois cohabitations (deux fois deux ans sous François Mitterrand, une fois cinq ans sous Jacques Chirac). Nicolas Sarkozy en aura usé trois mais aura été le premier chef d’Etat français à confier sa diplomatie à une femme (Michèle Alliot-Marie).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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