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Dissolution du gouvernement ivoirien : « Coup de force » ou « coup de mou » d’Alassane D. Ouattara ? Ou juste une nécessaire reconfiguration de la classe dirigeante ?

Publié le mardi 20 novembre 2012 à 02h18min

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Dissolution du gouvernement ivoirien : « Coup de force » ou « coup de mou » d’Alassane D. Ouattara ? Ou juste une nécessaire reconfiguration de la classe dirigeante ?

Vu de l’extérieur, et connaissant la façon d’être, feutrée, d’Alassane D. Ouattara, l’affaire du mercredi 14 novembre 2012 apparaît comme un événement politique « violent ». Et les médias soulignent (à tort puisque le premier ministre et le gouvernement expédient les affaires courantes) le « vide » politique que connaîtrait actuellement la République de Côte d’Ivoire.

Le chef de l’Etat est, hors du pays, en visite à Rome et au Vatican et la nomination d’un nouveau premier ministre, décision préalable à la formation d’un nouveau gouvernement, est donc repoussée à son très prochain retour à Abidjan. Autant dire qu’il n’y a pas le feu dans la maison. Sauf que la Côte d’Ivoire est, depuis plus de vingt ans, habituée à jouer avec les allumettes. La question qui se pose est de savoir s’il y avait urgence à « dégager » l’ensemble du gouvernement à la veille d’un départ pour l’étranger ?

La réponse est nécessairement positive puisque ADO s’y est résolu avec une certaine « brutalité » politique et qu’il est d’ores et déjà prévu qu’il rencontrera Henri Konan Bédié dès son retour dans la capitale. Or, Bédié n’est pas le leader de l’opposition (enfin, pas encore) ; il est le partenaire d’ADO au sein du rassemblement des « houphouëtistes ». Et HKB est, par ailleurs, le « tuteur » politique de l’actuel ex-premier ministre. C’est donc au sein de la classe dirigeante et non pas de la classe politique ivoirienne que la braise est devenue chaude. Très chaude même.

Ce n’est pas une nouveauté. Quand ADO était premier ministre du « Vieux » et que HKB était président de l’Assemblée nationale, les tensions entre les deux leaders étaient maximales et largement relayées par les hommes liges de l’un et de l’autre (et par la presse d’opposition, alors particulièrement active et « politique »). Sauf qu’en ce temps-là, il y avait Félix Houphouët-Boigny qui, malgré l’âge, savait hausser le ton quand il le fallait et mettre de l’huile là où c’était nécessaire. « Vous écrivez l’Histoire [ce qui était beaucoup dire] et ils ne savent faire que des histoires », m’avait-il dit, un jour, à l’issue d’une réunion des ministres qui s’était tenue à sa résidence de Cocody, alors que j’attendais de m’entretenir avec lui.

Mais les années 2010 ne sont pas les années 1990. HKB n’a plus grand-chose à espérer (politiquement s’entend). Et le PDCI ne serait pas partie prenante du pouvoir si le RDR ne l’exerçait pleinement aujourd’hui. Car l’article 41 de la Constitution est clair et net : « Le Président de la République est détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Il nomme le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions. Le Premier Ministre anime et coordonne l’action gouvernementale. Sur proposition du Premier Ministre, le Président de la République nomme les autres membres du Gouvernement et détermine leurs attributions. Il met fin à leurs fonctions dans les mêmes conditions ». Le chef s’appelle Alassane D. Ouattara et c’est la Constitution qui le dit.

Il vient de le rappeler à tous. Et les alliances électorales ne changent rien à l’affaire si les « affaires » viennent pénaliser le travail du gouvernement. Ceux qui tablent sur une implosion des « houphouëtistes » se trompent. ADO vient de fixer la limite au-delà de laquelle leur ticket n’est plus valable (plus encore leur « ticket-restaurant »). Geste d’autorité (bienvenu d’ailleurs). Mais pas geste de rupture. La preuve ? Il faut aller la chercher à… Dakar.

La relation entre Macky Sall, président du Sénégal, et Abdoulaye Wade, son prédécesseur, n’est pas sans évoquer la relation ADO-HKB. Deux hommes sortis du même moule dont les entourages, avides de s’engouffrer dans « le corridor des tentations », ont précipité la rupture (avec, il faut le reconnaître, l’inanité du comportement des protagonistes de l’affaire). Sall est à Dakar, installé au Palais de la République ; Wade est à Versailles, installé dans la (jolie) propriété de famille de son épouse, Viviane. A Dakar, ceux qui avaient de l’appétit au temps de Wade ne sont pas encore gavés ; ils veulent que l’on remette le couvert et pour cela entendent demander des comptes aux « Wade ». Wade, qui sait ce que les hommes du PDS devenu ceux de Sall, lui ont coûté en « tickets-restaurants » quand il était au pouvoir, se lasse de ces récriminations de garçons de salle qui se prennent pour des maîtres d’hôtel. Il a appelé à la rescousse ADO.

Normal. Quand ADO était en difficulté face à Laurent Gbagbo, en 2002 et en 2010, Wade lui avait apporté son soutien (ils sont membres de l’Internationale libérale). Wade a donc souhaité qu’ADO initie « une médiation auprès de Macky Sall par rapport aux auditions » de son fils et des dignitaires du PDS visés par la Cour de répression de l’enrichissement illicite. L’ancien président sénégalais, pointilleux sur les affaires de famille, était prêt à revenir à Dakar pour semer la zizanie dans le camp présidentiel (il en a les moyens). ADO l’en a dissuadé (ce qui lui vaut d’être présenté, désormais, comme s’ingérant dans les affaires intérieures du Sénégal ; un reproche que Gbagbo avait formulé à l’encontre de Wade au lendemain du premier tour de la présidentielle 2010). C’est dire qu’ADO n’est pas partisan des affrontements intra-familiaux. Il n’aime pas le linge sale ; et pense que ceux qui en ont doivent « le laver en famille ».

C’est dire, aussi, qu’ADO n’ira pas au clash avec HKB. Et qu’HKB sait jusqu’où il peut aller (compte tenu qu’en la matière, il revient de loin, de très loin, d’un coin pourri qui s’appelle « l’ivoirité »). Mais s’il ne va pas au clash, ADO sait aussi qu’il est, désormais, urgent pour lui de reconfigurer la classe dirigeante ivoirienne. D’un avenir passablement décomposé, il lui faut faire émerger un présent recomposé. Trop de ministres, d’administrateurs, de chefs d’entreprise, de collaborateurs… ont pensé que les beaux jours étaient revenus et qu’ils allaient pouvoir se gaver tandis qu’ADO s’escrimait à relancer la croissance, à motiver les investisseurs et à redorer le blason de la République de Côte d’Ivoire. Pour avoir cette vision des choses, il ne fallait pas regarder au-delà du bout ses mocassins (« griffés » bien sûr). ADO bénéficie d’une image positive dans les milieux économiques et financiers. Sauf qu’il ne lui faut pas gérer l’opulence mais la pénurie.

Et dans la conjoncture mondiale actuelle (diplomatique en Afrique de l’Ouest et sécuritaire en Côte d’Ivoire), on se moque de savoir qui coud vos costumes, on veut des résultats économiques tangibles ; or ceux-ci nécessitent une situation politique et sociale apaisée (et moins d’armes en circulation). Et des interlocuteurs qui ne soient pas que des frimeurs. Parmi les décideurs politiques et les opérateurs économiques étrangers on se plaint, régulièrement, de l’attentisme des responsables ivoiriens. Manque de propositions, insuffisance de motivation, absence d’action… « Sympa les mecs » mais pour « aller au charbon », ce n’est pas sur eux qu’il faut compter. Or, aujourd’hui, la croissance « il faut aller la chercher avec les dents » comme le disait Nicolas Sarkozy au temps de son rayonnement intellectuel.

Ni « coup de force » ni « coup de mou », ADO, deux ans après la présidentielle, a dépassé le stade du « post-électoral » et des alliances politiques contraignantes. Dans son entourage (à l’instar d’Adama Bictogo et de quelques autres dont les noms ne vont manquer d’apparaître), parfois, le laxisme a rimé avec affairisme. On ne peut pas être partout. Surtout quand tout est à reconstruire et que le pays reste la cible de quelques comploteurs. La classe dirigeante ivoirienne est devenue, pour la population, un ghetto de « grottos » coupés des réalités du terrain. Il est temps qu’elle redescende de son petit nuage. Le coup de tonnerre du 14 novembre 2012 doit y contribuer. A condition qu’ADO revienne à une ligne de conduite ferme et qu’il trouve les hommes aptes à s’y tenir eux aussi. Ce ne sera pas le plus facile ; sauf à appeler au pouvoir politique ceux des Ivoiriens qui ont fait leurs preuves dans le secteur économique. Il y en a. Mais, là encore, c’est un tournant délicat à négocier. Le parcours d’ADO le prouve.

La Dépêche Diplomatique

Jean-Pierre Béjot, éditeur-conseil

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