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La Somalie, entre guerre et paix, devient-elle une province du... Kenya ? (1/2)

Publié le jeudi 8 novembre 2012 à 19h37min

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La Somalie, entre guerre et paix, devient-elle une province du... Kenya ? (1/2)

Les commentateurs internationaux étant obnubilés, actuellement, par la situation qui prévaut en Syrie et, surtout, l’élection présidentielle aux Etats-Unis, les événements récents qui se sont déroulés en Somalie, autrement dit nulle part, n’ont pas été leur sujet de prédilection. Un nouveau président, un nouveau premier ministre, un nouveau gouvernement, un nouveau représentant spécial de l’Union africaine et une conquête par les troupes kenyanes (dans le cadre de l’Amisom) du port de Kismaayo et de la ville de Wanla Weyn. Voilà quand même des raisons de penser qu’entre guerre et paix la Somalie change de physionomie.

Commençons par le début. Le 10 septembre 2012, Hassan Cheikh Mohamoud est élu à la présidence. « Néophyte en politique, peu connu sur la scène internationale ». Ceux qui ont suivi son mode de désignation par « l’assemblée des députés » (cf. LDD Somalie 002/Jeudi 23 août 2012) soulignent même qu’ils ne l’avaient pas « remarqué » parmi les 25 candidats en lice. Mais Mohamoud ne saurait être un inconnu en Somalie. 56 ans, né à Jalalaqsi (province du Hiiraan, entre Jowhar, au Nord de Mogadiscio, et Beled Weyne, à la frontière avec l’Ethiopie), il appartient au clan des Hawiye, un des plus puissants du pays et, surtout, majoritaire dans la capitale : Mogadiscio.

Formé à l’université de Bophal, en Inde (éducation technique) après avoir étudié à l’université nationale somalienne, il était revenu chez lui à l’issue de ses études ; nous sommes alors à la fin de la décennie 1980. Il travaillera dans le secteur social pour des organisations nationales ou internationales (notamment l’Unicef), fondera l’institut somalien de management et de développement administratif, le Simad (devenu établissement universitaire), rédigera pour le PNUD, en 2009, un rapport sur le rôle de la diaspora dans la reconstruction du pays et se lancera en politique en 2011. Il fonde le Parti pour la paix et le développement qui prône « une société libérée des démons du clanisme, de la peur et des conflits internes ». Politiquement, on le dit proche des Frères musulmans (via le parti al-Islah) ; on dit aussi qu’il a su « tisser des liens » avec les Shebab.

A noter qu’il a été élu avec une majorité confortable qui s’expliquerait, en partie, par la volonté des « députés » de faire chuter les favoris du scrutin présidentiel et notamment le « sortant » : Sharif Cheikh Ahmed (au pouvoir depuis 2009, on dit qu’il est notoirement corrompu depuis plus longtemps encore), présent au deuxième tour après avoir été en tête à l’issue du premier. Quoi qu’il en soit la présidence reste entre les mains des Hawiye, la « désignation » de Mohamoud résultant, finalement, d’intenses tractations entre clans et partis « politiques ». Quant aux Shebab, opposés au mode de désignation du président mais n’ayant rien à reprocher au nouveau venu, ils n’ont pas manqué de lui rappeler que la présidence de la Somalie était une activité à durée limitée : Mohamoud a échappé à un attentat suicide (cinq morts dont les deux kamikazes) dans les heures qui ont suivi sa désignation.

Deux mois se sont écoulés depuis. Et Mohamoud a nommé un premier ministre. Abdi Farah Shirdon Said, tout aussi inconnu que lui. C’est un homme d’affaires du clan Darod (l’autre grand clan somalien), originaire de la province du Gedo (frontalière avec l’Ethiopie et le Kenya). Formé à l’université de Mogadiscio, le nouveau premier ministre se serait illustré dans l’import-export au Kenya au cours des dernières décennies.

Le nouveau premier ministre à composé un cabinet de dix membres. Un gouvernement « resserré » ; pas de quoi satisfaire l’appétit de tous les clans somaliens. Les affaires étrangères ont été confiées à une femme, Fowsiyo Yusuf Haji Adan (selon certaines agences : Fausia Yusuf Aden), également vice-premier ministre ; une première historique dans ce pays. Originaire du Somaliland (qui a autoproclamé son indépendance voici plus de vingt ans), elle appartient à la diaspora somalienne en Grande-Bretagne. Sans que, jusqu’à aujourd’hui, on en sache plus.
C’est dans ce contexte politique que les Kenyans sont enfin parvenus à conquérir le port de Kismaayo, une agglomération de 170.000 habitants dans le Sud de la Somalie. Nairobi avait entrepris cette conquête près d’un an auparavant.

L’opération « Linda Nchi » avait été déclenchée le 19 octobre 2011. En juin 2012, constatant l’inanité de leur action sur le terrain, les Kenyans avaient accepté que leurs forces armées soient intégrées dans l’Amisom. Il faudra un déploiement de combattants et d’armes considérable, terre-air-mer, pour que Kismaayo soit conquise et libérée en deux jours (27-28 septembre 2012). Les Shebab y étaient implantés depuis août 2008 sous la direction de Chekih Mohamed Abu-Fatuma. Ils en avaient fait un pôle permettant tous les trafics à partir du port et de l’aéroport. Mais la victoire des Kenyans et de l’Amisom n’a pas été totale : les Shebab avaient évacué, dans les semaines précédant l’assaut, leur armement lourd et leurs effectifs.

L’Amisom c’est, aujourd’hui, théoriquement (effectif autorisé par les Nations unies), 17.731 soldats dont 5.000 Burundais, 7.000 Ougandais, 4.000 Kenyans + des Djiboutiens et des Sierra-Léonais. Pour parvenir à leurs fins, les Kenyans ont engagé leur marine (notamment le patrouilleur KNS Nyayo et 4 bâtiments de débarquement amphibie chargés de centaines d’hommes et de dizaines de véhicules), des hélicoptères Z9WE (il y en a quatre en service dans l’armée kenyane) et MD 500 Defender équipés de roquettes, des blindés et mêmes ces étonnants buggies en service dans les forces spéciales kenyanes. Comme toujours dans ce type de conflit « ethnique », les troupes de l’Amisom ont bénéficié du ralliement d’anciens groupements de Shebab dont celui dit de « Ras Kamboni », mené par Ahmed Madobe. La guerre a un coût ; la victoire a un prix qu’il faut accepter de payer.

L’offensive kenyane a été soutenue par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France en matière de logistique et de renseignement*. Ce soutien a été assuré depuis le Kenya bien sûr, mais aussi Djibouti, les Seychelles, l’Ethiopie. Ce déploiement de forces laisse imaginer ce qu’il devra être lorsque la Cédéao va entreprendre la reconquête du Nord-Mali (or Kismaayo n’est qu’à cent kilomètres de la frontière kenyane !). Dans la foulée, les troupes de « libération » ont pris le contrôle de la ville de Wanla Weyn (entre le 5 et le 8 octobre 2012), du terrain d’aviation Balli Doogle. L’objectif est désormais les villes de Jowhar et de Baraawe.

Mais, auparavant, il faudra stabiliser la situation militaire autour de Kismaayo, les Shebab s’étant évaporés dans une nature qui favorise les actions d’une guérilla propice à instaurer l’insécurité. Et puis, au-delà des problèmes militaires, il y a les problèmes politiques. Et diplomatiques. L’Amisom est commandée, depuis le 2 mai 2012, par le lieutenant-général Andrew Gutti, de nationalité ougandaise, l’Ouganda fournissant le plus gros contingent. Or Kampala s’agace des critiques formulées à son égard par la communauté internationale concernant son implication dans le soutien aux rebelles congolais du M23 en République démocratique du Congo. Wilson Mukasa, ministre ougandais de la Sécurité, envisage d’informer l’ONU que son pays retirerait ses forces des missions de paix africaines, y compris en Somalie, si ces allégations étaient maintenues.

* Il y a manifestement un embargo sur les informations concernant ce soutien occidental (cf. à ce sujet : « Somalie. La bataille de Kismaayo » de Pascal Le Pautremat, dans RAIDS de novembre 2012). Mais l’opération « Atalante », TF 151 de l’OTAN, la Coalition Military Force (CMF)… permettent le déploiement de plusieurs dizaines de navires de guerre dans la zone, dont des « bâtiments collecteurs de renseignements ». Par ailleurs, dans le cadre de la mission EUCAP Nestor, décidée par le Conseil de l’Europe le 16 juillet 2012 (22,8 millions d’euros de budget) et dont le QG est à Djibouti, 175 personnes sont déployées au Kenya, aux Seychelles et en Somalie.

Chacun sait par ailleurs que les SMP, les sociétés militaires privées (Saracen pour l’Afrique du Sud, Sterling Corp. Services pour les Emirats arabes unis, et d’autres ougandaises, éthiopiennes…), ont été très actives dans la région au titre de la Puntland Maritime Police Force (PMPF) mais pointées du doigt par l’ONU (qui dénonce leur caractère d’armée privée) et se reconvertissent plus au Sud de la Somalie.

Jean-Pierre Bejot
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 9 novembre 2012 à 11:16, par Pascal LE PAUTREMAT En réponse à : La Somalie, entre guerre et paix, devient-elle une province du... Kenya ? (1/2)

    A l’attention de Monsieur Jean-Pierre Bejot, de la part de Pascal LE PAUTREMAT cité dans l’article.

    Monsieur,

    Vous estimez, de manière bien hâtive et erronée, qu’il y a un "embargo sur les informations concernant ce soutien occidental" en citant pour appuyer votre affirmation un article bien sommaire, que j’ai rédigé pour la magazine Raids, sur la bataille de Kismayoo. Sauf que si vous vous plongez dans les numéros du même Raids, des années passées (et otamment tout au long des années 2000 et jusqu’en 2012 donc), vous découvrirez, dans la rubrique "Points chauds", les dizaines de petits articles et de brèves que j’ai publiés à propos de la situation de la Somalie et notamment du soutien occidental (qui est par ailleurs réel et bien résumé dans votre propre article). Pour l’affaire de Kisamyoo, je m’en suis tenu, faute de disposer d’un nombre de signes suffisants, à une approche factuelle en insistant sur le rôle des forces africaines.
    Donc, vous l’aurez compris, nous sommes sur la même longueur d’onde. Assurez-vous juste, s’il vous plaît, de ne pas jeter l’opprobre sur d’autres experts, dont je suis, qui font preuve d’honnêteté intellectuelle. Par mes conférences et mes cours inhérents notamment aux crises et conflits contemporains, outre mes écrits, je n’ai pas pour habitude de m’en tenir à des approches partielles ou partisanes.

    Bien cordialement, et sans rancune de toute manière.

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