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Qatar est-il le nouveau nom de « l’impérialisme », de « la mondialisation », de « l’Internationale islamique »… ? (2/4)

Publié le lundi 29 octobre 2012 à 13h56min

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Qatar est-il le nouveau nom de « l’impérialisme », de « la mondialisation », de « l’Internationale islamique »… ? (2/4)

Le Qatar pouvait bien racheter les palaces et les hôtels de luxe français (Royal Monceau, Carlton, Martinez, Concorde Lafayette, Hôtel du Louvre, etc.), devenir le propriétaire des adresses les plus prestigieuses de Paris (l’hôtel Lambert, l’hôtel Kinski, l’hôtel Landolfo-Carcano, l’immeuble Virgin, etc.), prendre des participations dans les groupes industriels les plus renommés (Lagardère, Suez Environnement, Cegelec, Vinci, Veolia, Le Tanneur, LVMH, Total, Vivendi, France Télécom, etc.), l’émir du Qatar, Cheikh Hamad Bin Khalifa al-Thani, pouvait bien avoir acquis18 hectares sur la commune de Mouans-Sartoux, entre Grasse et Mougins, pour y construire sept maisons pour ses trois femmes, ses vingt-quatre enfants, ses ministres et ses invités, Doha ne parlait pas beaucoup aux Français.

La donne va changer quand le PSG va tomber dans l’escarcelle de l’émirat du golfe Persique et que « Les Guignols de l’info », sur Canal +, vont faire de l’émir et des managers du club parisien (si tant est que l’on puisse encore le qualifier ainsi) des « têtes de turc » qui n’ont que mépris pour les petits spectateurs franchouillards. C’est aussi que dans le même temps, Nicolas Sarkozy apparaissait de plus en plus poussé vers la sortie par un inattendu François Hollande dont personne ne doutait qu’il serait le moins « bling-bling » des présidents français. « Sarkozy et les Qataris, c’est un beau roman, c’est une belle histoire… » titrait Le Point (14 juin 2012) alors que le « socialiste » venait de prendre à l’Elysée la place de Mister Rolex.

Changement de président, changement de tonalité ? « L’élection de François Hollande sonne le glas des relations particulières nouées avec l’émirat par Nicolas Sarkozy » annoncera Le Monde dans son édition datée du 3-4 juin 2012, Benjamin Barthe rappelant qu’en 2007, c’était l’émir du Qatar qui avait été le premier chef d’Etat reçu à l’Elysée mais que ce privilège a été réservé, cette fois, au roi Mohammed VI. Il prédisait entre Paris et Doha une relation moins « affairiste », un rapport différent « avec l’argent des al-Thani », « une relation plus saine, moins exclusive […] en fonction de nos intérêts et des attentes du Qatar. Mais de façon transparente et claire ». Le départ de Mohamed Jaham al-Kuwari, l’incontournable ambassadeur du Qatar à Paris depuis 2003, était même annoncé pour le courant de l’été 2012. Sauf que l’année 2011 aura été celle des « révolutions arabes » et que 2012 est celle de la montée en puissance des « salafistes » non seulement au Moyen-Orient mais également en Afrique du Nord et dans la zone sahélienne.

Aux considérations géopolitiques de plus en plus complexes s’ajoutent également des considérations économiques et financières : la France est en panne sèche et ce n’est pas le moment de refuser un bidon d’essence sous prétexte que sa couleur ne vous convient pas. Le 22 août 2012, l’émir du Qatar était reçu par Hollande à l’Elysée. « Continuité dans les relations entre les deux pays » dit-on à Paris tandis que Doha affirme : « Nous avons choisi la France comme partenaire stratégique quel que soit son président ».

Mais les interrogations commencent à fuser sur la nature de ce « partenariat ». D’autant plus que le Qatar envisage « d’investir » dans les banlieues françaises en un temps où ces mêmes banlieues apparaissent comme les pépinières des « islamistes radicaux » à la façon d’un Mohamed Merah, flingueur de militaires français et d’enfants juifs.

Le député Lionnel Luca va réclamer la constitution d’une commission d’enquête sur l’action du Qatar en France. « Il s’avère que cet Etat pratique un islam intégriste, qu’il encourage également partout dans le monde, ce qui n’est pas sans poser une certaine inquiétude sur la nature réelle de ses investissements dans notre pays ». Prof d’histoire-géo, député UMP et vice-président du conseil général des Alpes-Maritimes (département le plus « sarkozyste »), formaté au sein du Rassemblement pour la France (RPF) fondé par Charles Pasqua et dont il a été le secrétaire national en 2002, Luca est une tête d’affiche de la « droite populaire », l’ultra-droite de l’UMP. Il s’est illustré dans sa campagne contre les JO de Pékin, « un régime stalinien » (c’est un défenseur des Tibétains), les « anti-français » qui veulent la vérité sur le comportement des autorités civiles et militaires françaises pendant la guerre d’Algérie. Il revendique « un anticommunisme primaire, viscéral, hérité de [son] père, immigré roumain » et le rétablissement de la peine de mort ; il dénonce l’abattage rituel qui concerne « deux tiers de la viande qu’on consomme » et « un islamisme intégriste conquérant [qui] veut nous imposer sa façon de vivre » (entretien avec Alain Auffray et Laure Equy - Libération du 14-15 août 2012). Alors que le Qatar s’était forgé une image de pays arabe moderne et ouvert, voilà donc que Luca, un député « sarkozyste », le ramène au rang « d’un Etat religieux prosélyte »*.

« Qui a peur du Qatar ? » interrogera Sylvie Kauffmann dans Le Monde (dont elle est la directrice de la rédaction) daté du 9 octobre 2012. « Le Qatar n’est ni un modèle de transparence ni un modèle social », écrit-elle alors, ajoutant : « Les deux pays désormais sont liés au-delà de la relation personnelle qu’entretenait l’émir et l’ex-président Nicolas Sarkozy. Doha a beaucoup coopéré sur la Libye, la guerre fait rage en Syrie. La France est devenue le premier fournisseur de l’armée du Qatar. Total occupe une position de premier plan dans l’émirat ». Le débat est alors ciblé sur la nature du régime qatari et Mohamed Jaham al-Kuwari, l’ambassadeur à Paris, va devoir dénoncer « des calculs partisans », « la politique d’investissement du Qatar en France [faisant] l’objet de beaucoup de questions, parfois insidieuses » (Le Monde daté du 11 octobre 2012). En fait, plus que sa « politique d’investissement », c’est sa géopolitique qui fait problème.

Pour Yves Bonnet, patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST) de 1982 à 1985, dans La Dépêche du Midi (lundi 8 octobre 2012) : « On n’ose pas parler de l’Arabie saoudite et du Qatar, mais il faudrait peut-être aussi que ces braves gens cessent d’alimenter de leurs fonds un certain nombre d’actions préoccupantes. Il va falloir un jour ouvrir le dossier du Qatar car là, il y a un vrai problème. Et je me fiche des résultats du Paris-Saint-Germain ». Il convient de noter que Bonnet a, qui plus est dans la presse algérienne (notamment Al Akhbar), stigmatisé l’action de Sarkozy et de l’OTAN en Libye, en 2011, les accusant d’avoir « entraîné [le pays] dans un chaos et une perturbation sans précédent ». Or chacun sait que le Qatar a été, dans cette affaire libyenne, la caution arabe à l’engagement de la France et de l’OTAN.

C’est la thèse de la « manipulation » qui tend aujourd’hui à être soutenue pour expliquer les « révolutions arabes ». Elle est défendue par Naoufel Brahimi el Mili, professeur à Sciences Po-Paris, dans un livre intitulé : « Le Printemps arabe, une manipulation ? » (éditeur Max Milo - Paris, 2012). Selon l’auteur, d’origine algérienne, « les soulèvements du monde arabe ont été, sinon orchestrés, du moins encouragés, voire pilotés depuis le Qatar ». « Promouvoir la démocratie chez la plupart de ses voisins, sans l’appliquer sur son propre territoire […] cette duplicité du Qatar est la pierre angulaire d’un « printemps arabe » qui ne doit pas tout à la ferveur des peuples et au sacrifice de la jeunesse révoltée au Caire, à Tunis et à Damas ». Brahimi el Mili voit dans cette « manipulation » (à laquelle participerait la chaîne qatari Al-Jazira), une lutte d’influence idéologico-religieuse avec son grand voisin saoudien.

* Les relations privilégiées entre la France et le Qatar ne faisaient pas problème quand Nicolas Sarkozy était à l’Elysée. Son départ, alors que les projets du Qatar, notamment en « faveur » des banlieues, n’avaient pas fondamentalement évolué, a suscité bien des interrogations à droite. C’est ainsi que l’ex-ministre Bruno Le Maire s’est dit favorable à la proposition de commission d’enquête de Lionnel Luca, tandis que sa collègue au gouvernement, Nathalie Kosciusko-Morizet dénonçait le caractère « un peu ambiguë » du projet du Qatar, initié pourtant sous le règne de Sarkozy.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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