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La France, la Francophonie et l’Afrique :Une relation nécessairement pas tout à fait comme les autres ! (2/2)

Publié le mardi 16 octobre 2012 à 07h32min

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La France, la Francophonie et l’Afrique :Une relation nécessairement pas tout à fait comme les autres ! (2/2)

La France est peuplée de Français, l’Amérique d’Américains, l’Asie d’Asiatiques, etc. Mais j’ai toujours l’impression que l’Afrique, quant à elle, n’est pas peuplée d’Africains mais de… chefs d’Etat et de rien d’autre. Et que les populations africaines ne sont qu’un peuple de zombies qui n’a pas été vraiment déterminant dans l’évolution de l’humanité. C’est ce que sous-entendait le « Discours de Dakar » prononcé en 2007 par Nicolas Sarkozy ; « l’homme africain [n’étant] pas assez entré dans l’histoire », les « occidentaux » n’avaient nécessairement pour interlocuteurs que les hommes… d’Etat.

De l’Afrique, on ne prend jamais en considération que les chefs et rien d’autre. Et hormis les « patrons », on ne s’intéresse pas à grand monde. Ainsi, le Panthéon des « grands hommes » de l’Afrique ne fait référence qu’à des leaders politiques ayant exercé le pouvoir quand, ailleurs, on évoquera des hommes d’affaires, des chercheurs, des intellectuels… Vieux réflexe d’esclavagiste et de colonialiste ? Je me suis posé la question en écoutant le discours de Dakar, version 2012, prononcé par François Hollande. Non sans une certaine gêne.

Certes, Hollande peut bien affirmer que « le changement viendra d’abord et avant tout des peuples » et que « les Africains ont pris leur destin en main et [que] ce mouvement ne s’arrêtera pas », mais ce discours me semble bien plus une mise en garde à destination des chefs d’Etat qu’une reconnaissance de l’action menée par les « sociétés civiles ». Le discours de Hollande est d’abord un discours à l’attention des chefs d’Etat et ce n’est jamais une reconnaissance de la vitalité des populations africaines. Normal, il est chef d’Etat ; mais pourquoi, alors, rendre ce discours public et le prononcer dans le cadre de l’Assemblée nationale sénégalaise qui est le lieu, par excellence, de la représentation du peuple ? Ce qu’il évoque dans ce texte, ce n’est pas le quotidien des populations africaines, mais celui de leurs dirigeants.

Un commentateur sénégalais a relevé comme mot-clé de cette intervention celui de « respect ». C’est, effectivement, un des trois éléments (avec la « clarté » et la « solidarité ») fondateurs du « renouvellement de la relation entre la France et l’Afrique » selon le chef de l’Etat français. C’est, dit le dictionnaire, « le sentiment qui porte à traiter quelqu’un avec de grands égards ». Cela me trouble, tant dans le fond que dans la forme. Même si Hollande emploie aussi, souvent, ce mot dans le sens, plus commun et détourné, d’acceptation d’une règle (« respect des valeurs fondamentales : la liberté des médias, l’indépendance de la justice, la protection des minorités »). Ce respect confine, trop souvent, à la condescendance : « Notre devoir, dit-il, c’est de vous accompagner dans les domaines d’avenir : l’agroalimentaire, les télécommunications, les services financiers… » ; « Votre défi, c’est de renforcer la place de votre continent dans la mondialisation » ; « Les grands pays émergents se tournent vers vous et investissent massivement. Vous n’avez pas à avoir peur de cet intérêt nouveau, à la condition expresse que vous sachiez, grâce à vos institutions et vos pratiques, guider et orienter cet afflux d’hommes et de capitaux, et écarter les prédateurs » ; « Nous serons avec vous pour réduire la dépendance aux importations de produits alimentaires, afin que les Africains puissent nourrir les Africains », etc. Ce n’est plus avancer ensemble « épaule contre épaule », c’est : « je vous tiens la main, car je ne suis pas certain que vous sachiez ce qu’il faut faire et comment le faire ».

On notera que l’humanisme « socialiste » a cédé devant le pragmatisme « économique ». Et si Hollande trouve une vertu majeur à l’Afrique en tant que « continent d’avenir » c’est parce que les pays africains « connaissent une forte croissance […] parce que des entreprises sont en train de s’installer, des pays se sont eux-mêmes investis, notamment la Chine et les Etats-Unis ». On pouvait espérer d’un président socialiste (à condition d’avoir des illusions sur les socialistes) un discours plus enthousiasmant que cette prise en considération du taux de croissance. D’autant plus que la réussite économique de l’Afrique est à relativiser. Maëlan Le Goff, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), l’a rappelé, ce matin (dimanche 14 octobre 2012) dans Le Journal du Dimanche (entretien avec Antoine Malo) : l’Afrique a mieux résisté à la crise parce que « les pays africains sont moins intégrés au système financier international » et que sa croissance repose « essentiellement sur l’exportation de matières premières, ce qui rend cette croissance fragile car dépendante de la conjoncture internationale. En outre, cette croissance crée très peu d’emplois ».

Un discours pour rien ? Sarkozy dirait sans doute que Hollande n’est pas encore entré dans l’histoire et qu’à force d’être normal il finit par être insipide. C’est, d’ailleurs, ce qu’ont pensé les Sénégalais qui ont sans doute préféré la polémique de 2007 à l’ennui de 2012. Dakar n’aura guère été convaincant. Kinshasa non plus. Pouvait-il en être autrement ? Le sommet de la Francophonie est, d’abord, une réunion de chefs d’Etat… francophones (mais dont la francophilie laisse souvent à désirer) ; pas des populations concernées.

Abou Diouf, qui en est le patron, a dit que c’était « un succès ». Il y avait une salle de conférence confortable, des hôtels tout aussi confortables pour accueillir les délégations, des Mercedes pour les véhiculer, des per diem pour les uns et pour les autres… What else ? Même Kabila, le chef de l’Etat congolais, a « proclamé sa fierté de la démocratie exercée dans [son] pays », ajoutant sans rire : « Nous pratiquons la démocratie dans ce pays par conviction et pas par contrainte. C’est notre choix et nous sommes sur la bonne voie ». Son père ne disait pas autre chose et Mobutu non plus. Ironie de l’histoire, Diouf s’est senti obligé d’en appeler, dans son discours, au souvenir de Patrice Lumumba, l’emblématique leader congolais. C’est « battre le tambour avec le tibia des morts ».

Dans ce que l’on présente comme la dernière lettre à sa femme Pauline, écrite en novembre 1960, Lumumba (capturé le 1er décembre 1960 et assassiné le 17 janvier 1961) y proclamait que « L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au Nord et au Sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité ». « Cette prophétie, a dit Diouf à Kinshasa, […] la Francophonie l’a résolument faite sienne ». Sauf que, depuis, le Zaïre et plus encore la RDC ont raté le train de l’histoire.

Prenant en compte les voies tracées par Mobutu, Kabila I et Kabila II, Diouf aurait été mieux inspiré de citer « Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte » de Karl Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce ». La « tragédie » des années Mobutu ayant accouché d’une double « farce », les Kabila se sentant obligés, tout comme les Gnassingbé, les Bongo, demain les Nguema (après l’échec des Kadhafi et des Moubarak) de remettre le couvert…

Face à Hollande et aux chefs d’Etat francophones, Diouf aurait été plus inspiré de citer d’autres passages de la « lettre » de Lumumba : « Ce n’est pas ma personne qui compte […], c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir ». Ou encore : « Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi-même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur ».

Mais sans doute faut-il suivre le conseil de Diouf dans son discours de Kinshasa : « Oublions ce que nous n’avons pas été capables de faire jusqu’à maintenant, mobilisons-nous sur ce que nous sommes capables de faire et ce que nous devons faire désormais ». La Francophonie, qui ne manque pas de moyens, aurait aussi des ambitions ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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