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Pour l’histoire, une chercheuse spécialiste des changements sociaux revient sur la crise de 2011

Publié le mardi 16 octobre 2012 à 20h44min

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Pour l’histoire, une chercheuse spécialiste des changements sociaux revient sur la crise de 2011

Pour les historiens, politologues et les générations futures qui voudront un jour analyser avec recul les turbulences sociales et militaires que le Burkina a connues durant le premier semestre 2011, « Burkina Faso 2011, chronique d’un mouvement social » leur sera d’une grande utilité. L’auteur du livre, Lila Chouli, est chercheuse associée à la Chaire sud-africaine d’études sur les changements sociaux à l’Université de Johannesburg et s’intéresse depuis longtemps au Burkina. Elle travaille particulièrement sur les mouvements étudiants burkinabè et ce livre publié en juillet dernier montre tout l’intérêt qu’elle porte aux changements sociaux au Pays des Hommes intègres.

On s’étonne donc que sur certains évènements ou personnalités publiques, son livre comporte des erreurs plus ou moins fâcheuses. Sous sa plume, la date de l’indépendance du Burkina n’est plus le 5 août 1960, mais le « 4 août » de la même année (page 16), les Comités révolutionnaires (CR) sont créés sous l’ODP/MT à la place des Comités de défense de la révolution (CDR) (page 19), ce qui n’est pas exact. Les CDR sont devenus CR le 17 mars 1988, un an avant la création de l’ODP/MT, l’ancêtre du CDP ayant été créé en avril 1989. On découvre aussi l’existence du « Parti-Etat sous le CNR qui demeurera sous le Front populaire » (page 19), mais on aimerait bien connaitre le nom de ce « Parti-Etat », le CNR, c’est-à-dire l’instance dirigeante de la révolution, ayant été plutôt animé par des groupuscules politiques d’extrême gauche, qui n’ont pas été capables de surmonter leurs divergences pour créer un grand parti au service de la révolution.

A la page 184, Frédéric Assomption Korsaga, actuel ambassadeur du Burkina à Bruxelles est encarté « cadre de l’ADF/RDA), alors que, sauf revirement récent qui serait resté confidentiel, ce fidèle de Blaise Compaoré est un militant du CDP. Enfin, contrairement à l’affirmation de l’auteure (page 294), le chef de l’Etat n’a pas profité du mini-remaniement du 23 février 2012 avec le départ du ministre de la Justice Jérôme Traoré « pour abandonner sa casquette de ministre de la défense et des Anciens combattants », mais occupe toujours ce portefeuille.

Lila Chouli le reconnait elle-même : écrit à chaud, « Burkina Faso 2011, Chronique d’un mouvement social » n’a pas la prétention d’être « une vraie analyse » de la crise de 2011, mais se veut « une description des mobilisations qui pourra peut-être servir de support à celles et ceux qui s’intéressent au mouvement social au Burkina Faso ».
Toutefois, en empruntant à Herbert Marcuse, l’auteur de « L’homme unidimensionnel », qui estimait dans les années 1968 que si les chemins menant à la démocratie « se trouvent barrés par des méthodes de répression et d’endoctrinement, alors il ne reste pour les ouvrir que des moyens non démocratiques », Lila Chouli propose une piste permettant de saisir le sens de ce qui s’est produit au Burkina, un pays qui était perçu jusque là comme un havre de paix dans un environnement régional agité depuis le tournant des années quatre-vingt dix. Les Burkinabè se sentiraient-ils contraints de recourir à la violence pour faire aboutir leurs revendications ?

Vu la célérité avec laquelle l’exécutif a satisfait aux revendications des mutins, alors que ces derniers ont utilisé des moyens qui n’étaient pas démocratiques, mais basés sur la violence, en se souvenant que déjà en février 2008, le gouvernement avait suspendu les droits de douanes sur les produits de grandes consommation importés à la suite de à des manifestations de rue à Bobo, Banfora, Ouahigouya, Ouagadougou, des mesures que les syndicats réclamaient sans succès, on peut être tenté de répondre par l’affirmative.
Au départ de ce qui allait déboucher sur une grave crise, une banale dispute entre deux collégiens dans un établissement de Koudougou, dans le centre-ouest du pays, et qui aurait pu être réglée en interne, mais qui se retrouve au commissariat de police où Aminata Zongo a déposé une plainte contre son camarade Justin Zongo, coupable de lui avoir administré une claque.

Convoqué au commissariat de police, il écope d’une amende et se voit sommé de remboursé les frais de santé de Aminata. Il est ensuite interpellé quelques jours après dans l’enceinte de l’établissement en violation des franchises scolaires. Au commissariat, les policiers lui ordonnent de se déshabiller, pratique humiliante hélas bien courante dans les commissariats et gendarmeries dans notre pays. Comme il résiste, il est passé à tabac. Le diagnostic établi à l’hôpital est édifiant : « Plaie béante à la lèvre supérieure, saignements de nez et traumatisme ». Justin Zongo porte plainte auprès du procureur qui convoque et auditionne les policiers mis en cause, ce qui ne plait guère au commissaire de police qui le menace. Un second diagnostic fait état d’un « traumatisme par coups et blessures volontaires ». Il décède dans la nuit du 19 au 20 février.

Très vite, on avance la thèse selon laquelle il serait mort de méningite, des autorités locales jusqu’au conseil des ministres du 22 février qui « déplore que le décès lié à la méningite a été attribué par la rumeur à des sévices qu’aurait subis le défunt dans les locaux de la police courant décembre 2010 ». L’explication ne satisfait pas les élèves du collège qui décident une manifestation pacifique et demandent à rencontrer le gouverneur. Sans succès. Pis, ils sont bloqués par cordon de policiers puis dispersés à coups de gaz lacrymogène.
Le 23 février, une grosse manifestation à laquelle se joignent les commerçants est violemment réprimée : bilan 3 morts et plusieurs blessés. Le gouvernorat est incendié, les véhicules et les feux tricolores cassés. Dans les jours qui suivent, les manifestations gagnent progressivement les autres villes du pays avec les mêmes scènes de violences.

Pour apaiser la colère, le gouvernement limoge le gouverneur et le directeur régional de la police du centre-ouest, fait arrêter les policiers mis en cause, ouvre une enquête sur les circonstances de la mort de l’élève et s’engage à prendre en charge les frais de santé des blessés. Mais le gouvernement s’en tient toujours à la thèse de la mort par méningite, ce qui a le don d’agacer les militants de l’ANEB/Koudougou : « Vous annoncez que les présumés coupables sont aux arrêts sans lever l’équivoque sur la mort de Justin Zongo. Qui, des coupables sont arrêtés ? La méningite ou les policiers qui ont commis ce forfait ? » interrogent-ils avec une ironie mordante.

Au même moment se produit une autre banale affaire de mœurs opposant un militaire à un civil, accusé de faire des yeux doux à sa femme. Avec ses collègues, ils décident de laver cet affront en infligeant des humiliations au prétendant en l’obligeant à se déshabiller et à rentrer chez lui nu, sur sa mobylette, en plein jour ! Meurtri, il porte plainte et cinq militaires sont condamnés le 22 mars pour outrage public à la pudeur, vol, complicité d’outrage public. Quatre d’entre eux sont condamnés à 12 mois de pison ferme, 15 mois pour le cinquième et des dommages et intérêts de 3 millions. Cette condamnation implique leur radiation des effectifs de l’armée. Le soir du verdict, leurs frères d’armes protestent contre une décision venue « d’en haut » en tirant des coups de feu, avant d’envahir les artères de la ville, pillant au passage les stations service, les boutiques, les commerces et les hôtels. Le palais de justice est attaqué et les militaires condamnés sont libérés et informés qu’ils peuvent faire appel de leur condamnation. En réaction contre le comportement des militaires, les commerçants descendent à leur tour dans les rues les 23 et 24 mars.

Le chef d’état major des armées, le général Dominique Diendéré présente ses excuses à la population au nom du commandement et des forces armées nationales. Mais dans le même temps, à Fada N’Gourma, les militaires du 32e régiment d’infanterie commando libèrent un des leurs emprisonné depuis deux semaines pour viol sur une mineure de 14 ans. Comme un effet domino, les mutineries gagnent Dori, Kaya, Gaoua, puis, chose inimaginable, le régiment de sécurité présidentielle. Les militaires de la garde présidentielle, portant considérés comme les mieux soignés se mutinent le 14 avril et revendiquent le versement de leurs primes de logement et d’alimentation.

La résidence de leur patron, Gilbert Diendéré est incendiée. Face à la situation devenue très grave, le président Blaise Compaoré dissout le gouvernement de Tertius Zongo formé début janvier 2011, limoge le chef d’état major des armées. Le 18 avril, Luc Adolphe Tiao, un journaliste de profession, alors ambassadeur du Burkina à Paris est nommé premier ministre. Il compose un gouvernement dont une majorité de ministres sont politiquement moins marqués, Blaise Compaoré se réservant le poste de ministre de la Défense. Objectif du gouvernement : ramener la paix sociale et redorer l’image du Burkina au plan international.

Après des rencontres avec les forces vives du pays, le gouvernement annonce des mesures contre la vie chère : suppression de la taxe de développement communale (TDC), réduction de 10% de l’impôt sur les revenus, l’avancement des fonctionnaires et l’engagement d’apurer les arriérés de 2008 et 2009 en 2011, suppression des opérations de lotissements, objets de malversations dont sont suspectés plusieurs maires, subvention de certains produits de grande consommation, suspension des pénalités sur les retards de paiement des factures d’électricité jusqu’à fin juin2011, etc. Avec les changements effectués par le nouveau gouvernement, on s’attendait à une consolidation de l’accalmie observée depuis quelques jours. Mais fin mai, ça recommence à tirer dans plusieurs camps militaires : Dédougou, Dori, Garango, Kaya et Tenkodogo. Le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Alain Edouard Traoré dénonce une « surenchère inacceptable. Un chantage de la part des gens qui ont des armes et qui croient que l’Etat n’a pas la capacité de maintenir l’ordre ».

Restés jusque là à l’écart des mutineries, les militaires de Bobo entrent à leur tour dans la danse. Bravant le couvre-feu en vigueur, ils se livrent à des pillages, saccages de commerces dans le centre-ville, viols, vols des provisions du magasin de l’intendance de la garnison, et comble du déshonneur, dévalisent la caisse du recouvrement de l’hôpital Sourou Sanou. Dans la deuxième ville du pays règne une ambiance de terreur où personne n’ose mettre le nez dehors y compris les responsables politiques et administratifs comme le gouverneur, qui s’est planqué en lieu sûr d’où par SMS il conseille à ses collaborateurs de faire la même chose. La voie du dialogue ayant échoué, le gouvernement passe à l’attaque. Une réquisition complémentaire spéciale est prise par le premier ministre pour « rétablir l’ordre en empêchant par la force, incluant l’usage des armes le cas échéant, tout tir solitaire ou en groupe, tout acte de pillage ou de vandalisme de la part des éléments militaires mutins au sein des différentes garnisons du Burkina Faso ».

Le message est clair, toute mutinerie sera désormais matée, à commencer par celle en cours en Bobo. Un groupement d’intervention composé d’éléments du régiment parachutistes commande de Dédougou, de la gendarmerie mobile et du Régiment de sécurité présidentielle est envoyé à Bobo le 3 juin au petit matin. Après des échanges de tirs, l’ordre est rétabli. Bilan officiel : 6 militaires tués et une jeune fille, Djeneba Sanou atteinte par une balle perdue ; 25 blessés parmi les civils et 8 chez les militaires ; 57 mutins arrêtés et présentés devant les caméras de la télévision nationale.
Cette opération a permis du même coup au gouvernement de reprendre la main alors qu’il était sous pression et contraint d’honorer les engagements pris auprès de pour satisfaire les revendications venues de toutes parts.

« Comment analyser ces évènements, au total 28 vagues plus ou moins violentes qui ont touché toutes les régions du pays ? », s’interroge Lila Chouli. D’autant qu’il n’y a pas eu une jonction claire entre les mouvements populaires contre la vie chère et les mutineries des militaires, ce qui laisse penser que ces derniers étaient motivés par des revendications corporatistes, sans visée politique. Ce qui est certain, c’est que les militaires ont trouvé une bonne occasion de mettre sur la pace publique des problèmes structurels auxquels ils étaient confrontés sans réponse de la part de leur hiérarchie. Quand les langues se sont déliées, on a ainsi appris que les chefs n’hésitaient pas à envoyer les soldats de première classe « chercher madame au salon de coiffure, ou encore accompagner les enfants au cours de tennis ou de natation », pis, que « les indemnités de militaires morts continuaient d’être touchées par le commandement, tandis que les soldats dans les missions de maintien de la sont eux aussi lésés ».

Certes, la paix sociale est revenue et les Burkinabè s’apprêtent à renouveler le 2 décembre prochain les mandats des députés et des maires. Les militaires ont obtenu satisfaction sur l’essentiel de leurs revendications, mais le fait que le président garde toujours le portefeuille de la Défense montre qu’il éprouve la nécessité de surveiller encore de près, tel du lait sur le feu, la grande muette. Plus d’un an après ces évènements, peut-on affirmer que les causes de la crise ont définitivement et durablement disparu ? « Trêve ou démobilisation sociale ? »

Joachim Vokouma
Lefaso.net

Lila Chouli ; Burkina Faso 2011, Chronique d’un mouvement social ; Ed. Tahin Party, Toulouse, juillet 2012, 8 euros en Europe et 3,40 euros, soit 2227 F CFA en Afrique

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