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Madiara Koné-Messou veut faire de la Côte d’Ivoire la « ferme de l’Afrique de l’Ouest » (2/2)

Publié le jeudi 4 octobre 2012 à 18h17min

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Bouaflé est une ville intermédiaire. Entre l’Est et l’Ouest de la Côte d’Ivoire. A une soixantaine de kilomètres à l’Est de Yamoussoukro, cet ancien village Gouro s’est bâti sur le Bandama rouge (que l’on appelle la Marahoué), tandis que, non loin de là, sur le Bandama blanc, a été érigé le barrage de Kossou qui a changé la physionomie de la région. Kossou a été le symbole, avec le port de San Pedro, de la croissance exceptionnelle qu’a connue la Côte d’Ivoire dans les années 1970.

Sa réalisation a obligé au déguerpissement de plus de 100.000 habitants que le gouvernement voulait « transferer » dans les nouvelles plantations de cacao et de café du côté de San Pedro et qui préfèreront s’installer sur les rives du lac de Kossou (résultant de la construction du barrage), les agriculteurs se transformant, pour l’occasion, en pêcheurs. C’est à Bouaflé que Madiara Koné-Messou va faire ses premiers pas dans la mise en place et la gestion de structures coopératives agricoles animées par des femmes. Ce sera la Coopérative des femmes exploitantes agricoles de la Marahoué (Coofeama), créée en 1998. Quinze femmes d’abord ; puis, avec le succès et « la reconnaissance des autorités administratives et politiques », les effectifs seront rapidement multipliés par 50.

C’est une première étape. Son mari, cadre à la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) – qui a résulté de la privatisation de l’Energie électrique de Côte d’Ivoire (EECI) en 1991 – est muté à Abidjan. Elle l’y suivra et entreprendra, dans la capitale, de poursuivre ses activités en faveur du secteur coopératif. Entre-temps, Madiara Koné-Messou aura multiplié les formations. Y compris les plus inattendues. Elle touche à tout : cultures vivrières (banane, piment, maïs, aubergine, gombo…) mais aussi à l’élevage des porcs et des poulets. Elle s’occupe de gestion ; mais aussi de production et de commercialisation. Sans oublier la formation. Et la recherche de financements.

On la verra en éleveuse de porcs au SARA 99, le Salon international de l’agriculture et des ressources animales. Mais aussi en formation dans le cadre du Projet d’appui au développement rural de la région des lacs (PADER-Lacs) à Kossou, importante opération d’assistance au développement durable (pêche, élevage, artisanat, transformation et commercialisation des produits agricoles), initiée par les pouvoirs publics (FAD, BOAD, budget de l’Etat) et lancée en juin 2003 : un investissement de plus de 16 milliards de francs CFA au profit des départements de Yamoussoukro, Toumodi, Didievi, Tiébissou. On la retrouvera en Israël pour un stage d’apiculture ; normal, c’est le pays où « coulent le lait et le miel » et les Israéliens ont entrepris de développer une industrie apicole que l’on ne trouve pas dans le monde francophone où cette activité est artisanale et/ou familiale. Elle se perfectionnera, également, en gestion coopérative au sein de l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader), créée le 29 septembre 1993 pour être la structure unique d’encadrement du paysannat (Anader reprenait les activités dévolues initialement à Satmaci, Sodepra, CIDV, cette dernière résultant déjà de la fusion avec Sodefel et de l’Office des semences et des plants).

C’est donc avec une réelle formation théorique et une vraie expérience du terrain, qu’en 2006, à Abidjan, Madiara Koné-Messou va mettre en place l’Ucofeaci : l’Union des coopératives de femmes exploitantes agricoles de Côte d’Ivoire.

Produire, collecter, transformer, commercialiser des produits agricoles, le cacao, le café, l’anacarde, le palmier, les vivriers et les maraîchers, les volailles et les porcs… tels sont les objectifs de l’Ucofeaci. Dans un contexte politique, économique et social difficile. Le XXIème siècle a trouvé une Côte d’Ivoire en plein chambardement : coup de force militaire, transition délicate, élection présidentielle contestée, puis nouvelle crise majeure avec la partition du territoire national, une autre suite de transitions qui ont été tout autant des moments de tensions, puis une consultation électorale trop longtemps attendue après une décennie sans démocratie et une guerre des chefs qui débouchera sur une guerre civile.

La Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny était devenue méconnaissable. Il est vrai que la population est passée de 4,5 millions d’habitants en 1965 à près de 22 millions actuellement ; dans le même temps, la population urbaine a fait un bon en avant : elle est passée de 24 % en 1965 à plus de 51 % aujourd’hui. La crise économique, les tensions sociales, l’insécurité dans les provinces,… se sont ajoutées à la tendance générale qui veut que les villes attirent les populations. Résultat : de plus en plus de bouches à nourrir et de moins en moins de producteurs agricoles tandis que la chute du niveau de vie des populations limitait le recours aux produits alimentaires importés.

Les femmes ont donc pris le problème à bras le corps. « Produire, collecter, transformer, commercialiser ». La devise de l’Ucofeaci recouvre la réalité économique et sociale de la Côte d’Ivoire. L’agriculture dans ce pays, c’est 30 % du Produit intérieur brut, les deux-tiers des emplois et une part majeure des recettes d’exportation (qui varie de 40 à 70 % selon les cours et les niveaux de production des produits agricoles d’exportation notamment le cacao et le café). Mais, pour autant, l’Etat n’a pas accordé, au cours de la dernière décennie, toute l’attention nécessaire à l’activité de ce secteur : moins de 4 % du budget lui a été alloué. Il est vrai qu’Abidjan a choisi de « libéraliser » ce secteur sans repenser son organisation et, surtout, sans donner aux populations rurales les outils de production et de management leur permettant de promouvoir une agriculture moderne. La terre ivoirienne n’est pas ingrate ; quand on la travaille avec efficience, elle produit avec abondance. Les Ivoiriennes ont donc entrepris de s’y atteler. Au-delà du vivrier – secteur dans lequel le ministre de l’Agriculture lui-même, Mamadou Coulibaly Sangafowa, reconnaît qu’elles « se débrouillent très bien » - elles sont présentes désormais dans toutes les spéculations : cacao, café, anacarde, etc.

Ce mouvement devait être accompagné et structuré. C’est la tâche que s’est fixée l’Ucofeaci qui a entrepris d’organiser les coopératives, de former les femmes, de les doter de moyens de production culturale moderne, de leur trouver des financements au plan national comme au plan international. Aujourd’hui, l’Ucofeaci regroupe 178 coopératives réparties sur tout le territoire national. Elles s’adonnent à une spéculation particulière ou sont complémentaires les unes des autres. Sans jamais perdre de vue la devise de l’Ucofeaci : « Produire, collecter, transformer, commercialiser ». Madiara Koné Messou, qui préside son conseil d’administration, a entrepris de sortir le secteur coopératif de « l’informel » et d’assainir son mode de production et de gestion. Mauvaise gestion, mauvaise répartition des excédents entre les membres, confiscation du pouvoir coopératif par des non-coopérateurs, conflits récurrents au sein des coopératives dus notamment à la « politisation » du règlement des différends, conflits d’autorité avec les responsables administratifs (le préfet, mais aussi les directeurs régionaux de l’agriculture), difficultés de financement, manque de contrôle, etc. sont les maux dont souffre le secteur coopératif ivoirien.

Madiara Koné-Messou et son équipe ont donc entrepris d’y apporter les remèdes nécessaires dont les fondamentaux sont la compétence et la rigueur. Mais c’est surtout à travers son relationnel, national et international, que la PCA d’Ucofeaci parvient à promouvoir une activité qui ambitionne de faire de la Côte d’Ivoire la « ferme de l’Afrique de l’Ouest » sur le modèle de ce qu’est le Brésil pour l’Amérique du Sud. Une agriculture familiale mais moderne apte à susciter l’intérêt des investisseurs étrangers via un cadre organisé : l’Ucofeaci. Ce que s’efforce de faire Madiara Koné Messou auprès des investisseurs du Golfe, et notamment ceux du Qatar.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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