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JUSTIN KOUTABA, AMBASSADEUR DU BURKINA FASO EN CÔTE D’IVOIRE : "La réconciliation ivoirienne est à portée de la main"

Publié le mardi 4 septembre 2012 à 23h09min

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JUSTIN KOUTABA, AMBASSADEUR DU BURKINA FASO EN CÔTE D’IVOIRE :

Justin Koutaba est, depuis le 3 août 2011, l’ambassadeur du Burkina Faso en Côte d’Ivoire. Dans cette interview réalisée à Abidjan, il fait l’état de la cohabitation de ses compatriotes avec les Ivoiriens, apprécie le processus de réconciliation en cours et dresse un bilan humain de la crise postélectorale qui a secoué ce pays de décembre 2010 à avril 2011.

Sidwaya (S.) : Quelle appréciation faites-vous de la cohabitation entre les Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire et les populations autochtones ?

Justin Koutaba (J.K.) : Comme vous le savez, les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sont très séculaires, très historiques et très profondes. La présence des Burkinabè en Côte d’Ivoire, si l’on veut se référer au temps, date de l’avant colonisation. Il y a un grand flux migratoire entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire essentiellement pour des raisons économiques. Aujourd’hui, il est tout à fait plausible de dire que la Côte d’Ivoire est liée de façon irréversible sur les plans social et économique au Burkina Faso. Il est aussi loisible de dire que la Côte d’Ivoire est le plus voisin de nos voisins. Le résultat de tout cela fait que beaucoup de Burkinabè vivent dans ce pays, des millions de Burkinabè y sont venus à la quête d’un mieux-être. Aujourd’hui, cette communauté burkinabè qui est la plus intégrée des communautés de la CEDEAO en Côte d’Ivoire, vit en parfaite harmonie avec les populations ivoiriennes reconnues pour leur hospitalité légendaire, leur sens de l’accueil et leur volonté de vivre ensemble avec les autres. Cela fait que les Burkinabè se sentent chez eux dans ce pays. C’est pourquoi, ils travaillent à construire et à reconstruire de nos jours ce pays qui est une bénédiction divine.

S. : La crise ivoirienne et surtout postélectorale a un peu mis à mal les relations entre les deux pays. Comment se portent aujourd’hui ces relations ?

J.K. : Les relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont toujours été bonnes. Lorsqu’une crise se déclenche dans un pays, on a vite fait d’aller vers les soupçons, parfois vers le bouc émissaire et surtout on ne se gêne pas de faire des accusations gratuites. Cela a fait qu’à un certain moment, il y a eu des turbulences dans ces relations. Mais de nos jours, je pense que tout observateur et tout témoin de l’histoire sait ce qui lie les deux pays à travers les efforts intellectuels, psychologiques, moraux du président du Faso, Blaise Compaoré, pour instaurer la démocratie, facteur de paix. Il faut dire qu’aujourd’hui, le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, travaille d’arrache-pied pour repositionner ce pays, pour construire la Côte d’Ivoire et consolider les relations entre son pays et les pays amis.

Les relations avec le Burkina Faso méritent d’être saluées pour leur qualité, leur profondeur et leur franchise. Ces deux pays qui sont plus que des pays frères et amis travaillent ensemble pour l’épanouissement de leurs peuples et cela, avec des efforts communs et la mutualisation des différents investissements. Le traité d’amitié et de coopération signé récemment entre les deux pays constitue le soubassement d’une volonté commune des deux chefs d’Etat d’aller vers l’émergence en mutualisant leurs efforts et leurs investissements.

S. : Pendant la crise ivoirienne, des Burkinabè ont subi toutes sortes d’exactions. A combien évalue-t-on aujourd’hui le nombre de Burkinabè qui ont perdu la vie ?

J.K. : Nous savons que pendant cette crise atroce, vu le nombre important de Burkinabè en Côte d’Ivoire, beaucoup de nos compatriotes ont perdu et leur vie et leurs biens. En somme, notre communauté a payé un lourd tribut pendant la crise postélectorale. Nous rendons hommage à ceux qui malheureusement ont rendu l’âme et nous soutenons moralement ceux qui ont perdu leurs biens. Ce qui ressort de ce que nous connaissons, c’est que plus de 350 Burkinabè résidant en ville comme en forêt ont été tués. Mais ce que nous retenons aujourd’hui, lorsque nous approchons notre communauté, c’est sa capacité de pardonner. Cela a été dur mais notre communauté travaille avec les autochtones en vue de se réconcilier. Notre souhait le plus ardent est de voir notre communauté s’impliquer dans ce processus de réconciliation. Je pense qu’avec le temps, cette réconciliation sera une réalité.

S. : Dans le cadre de cette réconciliation, y a-t-il des indemnisations qui sont prévues pour les Burkinabè victimes de cette crise ?

J.K. : Au niveau de la commission qui a la charge de travailler pour la réconciliation dans ce pays, des dispositions ont été prises pour dédommager ceux qui ont perdu leur vie et leurs biens. Cela nécessite un travail de longue haleine, des enquêtes, des informations, des approches spécifiques qui permettront par la suite de bien situer les droits des uns et des autres. Cela va nécessiter aussi un effort particulier de l’Etat pour que les victimes soient dédommagées.

S. : Avez-vous déjà entrepris des discussions dans cette perspective avec les autorités ivoiriennes ?

J.K. : Je pense qu’au niveau de l’Etat, beaucoup de choses ont été entreprises. Nous avons travaillé avec les autorités de ce pays et avec les structures spécifiques créées à cet effet de façon à dédommager les victimes. Mais l’essentiel pour nous c’est la réparation morale, la réconciliation qui faisait de ce pays une terre d’hospitalité ; la force et le rayonnement de ce pays qu’il faut retrouver à tout prix. Il faut que le président Alassane Ouattara et son gouvernement travaillent à cela.

S. : En tirant leçon de ce qui s’est passé, est-ce qu’aujourd’hui les Burkinabè investissent mieux dans leur pays d’origine ?

J.K. : Nous ne disposons pas d’instrument de mesure. Mais nous osons croire qu’une crise est d’abord des moments où chacun tire des leçons. Une crise donne toujours à chaque individu, à chaque communauté des enseignements. Si les Burkinabè trouvent de nos jours qu’il n’y a pas de différence entre investir au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, tant mieux. Notre rôle, c’est de les sensibiliser, leur donner des conseils, leur montrer les opportunités qu’il y a à investir dans leur pays. Ce d’autant plus que lorsqu’on voyage, on songe toujours au retour. Rares sont ceux qui voyagent sans chercher à repartir. Mais il est toujours mieux de repartir en étant conscient de ce qu’on a pu réaliser comme étant susceptible de nous aider.

S. : Aujourd’hui, le gouvernement est en train de promouvoir le Projet pôle de croissance de Bagré, y a-t-il des compatriotes qui sont intéressés par ce projet ?

J.K. : Votre question vient à point nommé parce que le jeudi 30 août à 10 h (Ndlr : l’interview a été réalisée le 28 août 2012), nous allons réunir les opérateurs économiques burkinabè résidant en Côte d’Ivoire, les grands planteurs, les compatriotes qui travaillent dans les organismes et les organisations internationaux afin de leur donner les informations relatives au pôle de croissance de Bagré. Nous avons eu un entretien téléphonique avec le directeur en charge du Projet M. Issaka Kargougou, qui va nous dépêcher deux experts à cet effet. Ils auront des informations sur cette grande opportunité qui va permettre à notre pays de relever de grands défis et de les sensibiliser pour qu’ils s’impliquent dans ce Projet.

S. : Quelles sont les difficultés majeures auxquelles les Burkinabè sont actuellement confrontées ?

J.K. : Lorsqu’on est à l’étranger, on n’est pas chez soi dit-on. Mais quand un Burkinabè est en Côte d’Ivoire, il est chez lui car les Burkinabè ont construit tout un réseau de relations dans ce pays. Ils ne rencontrent pas de problèmes d’intégration. Les problèmes auxquels les Burkinabè sont confrontés peuvent être le chômage, des problèmes de cohabitation comme nous les avons vus avec la crise. Cependant, je pense que ces problèmes sont surmontables vu que chacun, dans son combat quotidien, cherche à relever les défis individuels afin que les défis collectifs y trouvent leur compte.

S. : Le président Alassane Dramane Ouattara a engagé un processus de réconciliation. Avez-vous foi en l’aboutissement de ce processus ?

J. K. : D’un point de vue historique, je ne connais pas un pays qui s’est engagé dans un processus de réconciliation et qui n’a pas abouti. Vous prenez l’Europe qui a connu les plus graves crises nationales, des guerres sanglantes. Aujourd’hui, l’Europe est une homogénéité, une harmonie. Quand vous prenez aussi un exemple sur l’Afrique du Sud qui a connu de très graves crises raciales, de nos jours, ce pays connait une réconciliation. La Côte d’Ivoire n’a pas atteint ces degrés de déchirure. Le président Ouattara qui veut du bien pour son pays et pour son peuple ne peut ménager aucun effort afin que la paix y règne. En économiste averti, il sait que sans paix, il n’y a pas de développement. Il y croit. C’est pourquoi, il travaille de façon dense et intense pour la paix. C’est une question de temps, mais d’abord de volonté et de choix ; la réconciliation est à portée de la main.

S. : Pourtant des proches de l’ancien président, Laurent Gbagbo, continuent d’être arrêtés. Cette réconciliation est-elle possible avec ces arrestations ?

J.K. : Je découvre cette information avec vous dans la presse. Mais je crois que les autorités ivoiriennes gèrent la situation actuelle selon les informations qu’elles ont et que cela ne change rien en leur volonté de réconcilier les Ivoiriens entre eux pour les amener à parler le même langage qui n’est autre que l’amour pour leur pays.

S. : Ces derniers temps, on assiste à des attaques contre l’armée ivoirienne. Allons-nous encore vers une reprise de la violence ?

J.K. : Les situations de crise en Afrique en général ont créé un vaste climat d’insécurité à cause de la circulation des armes. C’est pourquoi, dans certains pays, on assiste à une montée de violence, des attaques à main armée. La Côte d’Ivoire qui vient de sortir d’une crise n’est pas exempte de ces genres de situations. Tout demeure aujourd’hui dans la volonté d’aller de l’avant, de changer les comportement et d’asseoir la démocratie et les perspectives de développement sur la base d’une paix sociale, d’un climat de sécurité. Toute chose qui favorise le développement et crée une certaine convivialité susceptible d’attirer des investisseurs. La politique de la sécurité intérieure travaille à instaurer ce climat de sécurité afin que toute personne se sente en sécurité.

S. : Des milliers d’ex-combattants attendent toujours que les autorités leur proposent quelque chose. Pensez-vous que l’Etat ivoirien peut résoudre le problème des ex-combattants ?

J.K. : Le potentiel économique de la Côte d’Ivoire est énorme. De nos jours, un des grands défis de la Côte d’Ivoire et des autres pays du monde est la question de l’emploi et celle de la réinsertion des jeunes. A cause du chômage, les jeunes profitent des périodes de trouble pour trouver un emploi qui leur permet de subvenir à leurs besoins. Le président Ouattara, dans son programme, a mis au premier plan la création d’emplois pour les jeunes dont la plupart ont été des combattants. A notre sens, le défi, c’est celui de la création d’emplois, de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes, de leur formation en vue de leur implication dans le développement du pays.

S. : La presse ivoirienne ne semble pas œuvrer à la réconciliation à cause de ses publications qui n’appellent pas au calme. Comment transformer cette presse en un instrument de la réconciliation ?

J.K. : La presse ivoirienne est diversifiée de nos jours. Elle est libre en ce que toute personne a la possibilité de donner son point de vue, de défendre ses idées. Mais la presse, en tant que pouvoir, doit avoir une éthique particulière. Elle doit s’impliquer dans le processus de réconciliation parce qu’elle peut y jouer un rôle très important. La presse a le droit d’informer. Cependant, la presse qui peut être sélective dans sa lecture, peut induire en erreur. En ce qui concerne le cas de la Côte d’Ivoire, la presse doit jouer un rôle positif car elle est un instrument de paix, de dialogue et de réconciliation. Je pense que la presse ivoirienne qui est diverse est consciente de ce rôle et sait qu’elle doit le jouer.

S. : En tant que représentant du Burkina Faso en Côte d’Ivoire, avez-vous un message à la diaspora et aux compatriotes restés au pays ?

J.K. : Le programme actuel du président Blaise Compaoré est le développement solidaire. Ce programme met l’accent aussi bien sur le vivre ensemble que sur le bâtir ensemble. Je pense que les Burkinabè de la diaspora et ceux restés au pays doivent répondre à cet appel constructif du président Blaise Compaoré. Qu’ils soient à l’étranger ou au pays, chacun doit savoir que le Burkina Faso reste pour tous ses fils et sa construction doit être le rêve et l’œuvre de tous ses enfants.

Enok KINDO

Sidwaya

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