LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Toyota en passe de mettre la main sur CFAO : Pinault se débarrasse de la vieille dame de l’Afrique francophone ! (3/4)

Publié le jeudi 23 août 2012 à 15h57min

PARTAGER :                          

Les conditions dans lesquelles CFAO va mettre la main sur SCOA (88 % du capital pour 1 franc symbolique – nous sommes en mars 1996 – puis 25 francs par action pour les 12 % du capital aux mains des minoritaires dans le cadre d’une OPA) vont être alors contestées par Serge Pouillet, le patron du GPG, qui dénoncera (selon une enquête de Renaud Lecadre, publiée dans Libération du lundi 17 juillet 2000, intitulée : « Les trop bons calculs de Pinault ») la collusion, dans cette cession, de François Pinault, PDG de PPR, Philippe Lagayette, directeur alors de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) avant de rejoindre le conseil de surveillance de… PPR, et René Barbier de Serre, alors président du Conseil des Bourses de valeurs (CBV) et, par la suite, président du conseil de surveillance de… PPR.

Dix ans plus tard, à la fin de l’année 2009, CFAO ne passionnait plus beaucoup les Pinault. Et moins encore François-Henri Pinault, le fils de « papa » devenu le patron, qui ambitionnait d’ancrer son groupe non plus dans le « business » mais dans le « glamour ». Pinault, c’était désormais l’industrie du luxe, les fashion weeks et les pages des magazines people où François-Henri s’affichait aux côtés de son épouse, l’actrice mexicaine Salma Hayek*. La compagnie de commerce internationale ne passionnait plus beaucoup celui qui en avait été le PDG lors de son rachat par « papa » ; une CFAO qui avait été, pour une large part, le moteur de la puissance financière de PPR. La perspective de son introduction en Bourse sera l’occasion de la ramener sur le devant de la scène. La CFAO d’avant, quand elle était la puissante Compagnie française de l’Afrique occidentale, incontournable en Afrique francophone. Une CFAO qui, de nouveau, s’exprimait sur ses ambitions et non plus une CFAO sur laquelle s’exprimait ceux qui reconnaissaient, certes, ses mérites mais n’en faisaient plus, pour autant, une priorité.

Alain Viry, PDG de CFAO depuis 1997 avant d’en être nommé président du conseil de surveillance, ne s’était guère exprimé sur le développement de sa « boîte ». Le mardi 10 novembre 2009 – introduction en Bourse oblige – il avait confié cette tâche au président de son directoire : Richard Bielle. Cet entretien publié par Les Echos, le quotidien économique, avait donc des allures d’événement médiatique. C’est d’ailleurs Antoine Boudet, qui avait interviewé Viry le 15 janvier 2004 (c’est, me semble-t-il, un des rares entretiens significatifs de Viry et le dernier avant la cession en Bourse de la majorité du capital), qui était chargé d’interroger Bielle. Analyse comparée. En 2004, les rumeurs étaient déjà persistantes quant à une cession de CFAO.

Réponse de Viry : « Le groupe CFAO s’inscrit de façon très claire dans la stratégie de PPR […] Il y a un potentiel de croissance organique important, un niveau de rentabilité et une capacité à générer du cash qui entrent tout à fait dans ses critères […] CFAO est très bien dans PPR, où serait-il mieux ? ». Bielle, de son côté, rappellera, cinq ans plus tard, que CFAO a été cotée en Bourse pendant cent ans avant de rejoindre le groupe PPR pendant une vingtaine d’années. Exact : l’action CFAO avait été cotée, à l’origine, en 1888, à la Bourse de Marseille et avait été, ensuite, introduite au marché à terme à Paris en 1921, elle avait figuré au marché à Règlement mensuel dès sa mise en place en octobre 1983 ; notons par ailleurs qu’elle avait versé chaque année un dividende à ses actionnaires !

Bielle précisera, en 2009 : « Le groupe sait donc vivre avec un actionnaire de référence comme de façon autonome ». Il ajoutait : « PPR, depuis 1990, a conduit une phase de développement qui n’aurait pas existé sans lui. Nous souhaitons poursuivre cette dynamique avec un actionnariat diversifié […] Pour autant, il n’y a pas d’urgence. L’option qui consiste à s’introduire en Bourse est avant tout une question stratégique et démontre la confiance de notre actionnaire dans la capacité de la CFAO de voler de ses propres ailes ». L’accord était total entre Viry et Bielle sur les « moteurs de croissance » du groupe et sur « le périmètre géographique » qui était le sien : l’Afrique (la CFAO y était présente dans 34 pays). 1 – La croissance des marchés africains ; 2 – L’augmentation des pays du marché ; 3 – La conquête de nouveaux marchés. Bielle était clair : « Notre principal moteur, c’est l’Afrique elle-même dont le réservoir de croissance n’échappe plus à personne ». Un discours que ne pouvait pas encore tenir Viry en 2004 alors que CFAO avait des ambitions asiatiques (notamment au Viêt-Nam). Pour Bielle : « L’Afrique se connecte au monde », tandis que pour Viry « elle continuera […] à progresser avec finalement assez peu de corrélation avec l’évolution des économies américaine et européenne ».

En 2004, CFAO ambitionnait de sortir de son « pré carré » traditionnel. La « priorité » de Viry était l’Algérie (qui va rapidement devenir le premier pays d’implantation du groupe en termes d’activité, notamment dans le secteur automobile) et, plus globalement, l’Afrique du Nord avec le Maroc, principalement, la Tunisie (alors en prospection) et surtout l’Egypte (en perspective). Il se passionnait aussi pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe : « Nous trouvons des marchés très vivaces, souvent plus concurrentiels ». Bielle, quant à lui, cinq ans plus tard, se focalisait moins sur les pays que sur les secteurs d’activité et laissait penser que CFAO pourrait se redéployer sur son « pré carré » dès lors que, malgré les « crises » qu’ils traversaient, ces pays étaient dans le collimateur des « autres ». « D’ailleurs, soulignait-il, là où d’aucuns y voient des risques, les Chinois eux y perçoivent des opportunités. Nous également ».

« Opportunités nouvelles » étaient d’ailleurs les mots-clés de Bielle qui soulignait que, malgré l’étroitesse des marchés, « tout reste à faire avec l’émergence progressive d’une classe moyenne ». Bielle ne fermait pas cependant la porte à une nouvelle tentative de diversification géographique : « Notre priorité, c’est le continent africain. Nous voyons du potentiel dans des pays où nous ne sommes pas encore présents. Mais s’il y ailleurs, et ponctuellement, des opportunités de relais de croissance dans nos métiers majeurs, pourquoi pas ? ».

Plus que les pays d’implantation, c’étaient les secteurs d’activité qui préoccupaient effectivement Bielle. Automobile d’une part, médicaments pharmaceutiques d’autre part. Mais c’était un héritage de Viry qui soulignait dans son entretien avec Boudet, en 2004, que CFAO était historiquement dans la grande distribution et que, progressivement, ces activités ont été fermées au cours des dernières années tandis que les activités industrielles (qui contribuaient alors à hauteur de 18 % au chiffre d’affaires du groupe) étaient, « en terme stratégique, [une] problématique [qui] s’inscrit dans le long terme : elles font partie d’un héritage historique ». Bielle, de son côté, voyait dans « la diversité de nos métiers […] un principe de saine gestion » et donnait des chiffres qui ne manquaient pas d’intérêt même s’ils étaient globaux : 1,4 million de voitures neuves immatriculées en 2008, soit 0,2 % de la population contre 3 % en Europe et 1 % dans le monde ; 4 euros de dépenses pharmaceutiques par habitant en Afrique contre 196 euros en Europe et 422 en Amérique du Nord !

* La « peoplelisation » dont raffolait François-Henri Pinault va finir par le rattraper. En mai 2012, devant un tribunal de New York, le mannequin canadien Linda Evangelista, qui a entretenu une brève liaison avec l’homme d’affaires en 2006, lui a réclamé une pension mensuelle de 35.000 euros au titre de la pension alimentaire nécessaire à l’éducation du garçon qu’ils ont eu ensemble et que Pinault a reconnu après des tests ADN. Ce passage devant les tribunaux a été l’occasion, selon Le Parisien (7 mai 2012), de « décrire le mode de vie fastueux de l’industriel ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique