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Lakhdar Brahimi à la rescousse des Nations unies en Syrie : Une vision arabe de la crise du « monde arabe ».

Publié le jeudi 23 août 2012 à 16h07min

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Il faut graver dans le marbre ce commentaire de Lakhdar Brahimi : « Il y dans la quasi-totalité des pays de la région [il évoque le « monde arabe » en général] un sérieux problème qui concerne le changement de génération : nous semblons éprouver beaucoup de peine à passer la main. Les gens de ma génération ont accédé à de hautes responsabilités très jeunes ; nous sommes restés au pouvoir trop longtemps. Les gens en ont assez, ils nous disent parfois poliment de nous écarter. Et parfois, moins poliment : dégage !* ».

Lakhdar Brahimi a 78 ans. Et serait, effectivement, de ces responsables politiques qu’il est insupportable de voir sur le devant de la scène si, justement, il n’avait pas eu l’opportunité d’aller exercer ses talents ailleurs qu’en Algérie, son pays, une fois venu l’âge de la retraite. Brahimi est né le 1er janvier 1934. Moubarak, l’Egyptien, est né en 1928 ; Ben Ali, le Tunisien, en 1936 ; Bouteflika, l’Algérien, en 1937 ; Kadhafi, le Libyen, était né en 1942. Une même génération !

Lakhdar Brahimi vient d’être nommé, le 17 août 2012, médiateur international (des Nations unies et de la Ligue arabe) dans le conflit syrien ; il prend la suite du Ghanéen Kofi Annan qui a jeté l’éponge. Lakhdar Brahimi est sans illusion sur sa mission : « Beaucoup disent qu’il faut éviter la guerre civile, je crois que nous y sommes depuis déjà pas mal de temps ». Sa nomination intervient alors que la position de Bachar Al-Assad est non plus seulement indéfendable mais intenable. Sans que l’on sache de quoi « l’après » sera fait. Mais l’essentiel n’est-il, déjà, de savoir ce qu’est la réalité du conflit syrien, aujourd’hui, et pour cela Lakhdar Brahimi est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Car dans cette affaire, entre les « interventionnistes » (« humanitaires » menés par Bernard-Henri Lévy, BHL, le philosophe-express) qui veulent refaire en Syrie le (mauvais) coup de la Libye, les « attentistes » (puissances « occidentales ») qui évoquent certes une guerre civile et le massacre de populations mais savent qu’il faut éviter de répéter deux fois les mêmes erreurs, et les « souverainistes » (Chine, Russie, Iran…) qui refusent l’ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, il faut reconnaître que personne ne sait vraiment quelle page d’Histoire la Syrie est en train de nous écrire.

Etant ce qu’il est et venant d’où il vient, Lakhadar Brahimi apporte un autre éclairage sur cette affaire. Et c’est la meilleure des choses. Né en 1934, du côté de Tablat, au Sud-Est d’Alger, il a rejoint très rapidement, alors qu’il était étudiant (faculté de droit d’Alger, Sciences-Po Paris), les rangs des nationalistes algériens. Membre fondateur de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), représentant du FLN en Asie du Sud-Est, il rejoindra la diplomatie algérienne après l’indépendance. Il sera secrétaire général du ministère des Affaires étrangères (1961-1963), ambassadeur au Caire, représentant permanent auprès de la Ligue des Etats arabes (1963-1970), ambassadeur à Londres (1971-1979), conseiller diplomatique du chef de l’Etat (1982-1984), sous-secrétaire général de la Ligue arabe (1984-1991), ministre des Affaires étrangères (1991-1993). C’est en 1993 qu’il rejoindra l’Organisation des Nations unies (ONU) où le secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali en fera son représentant spécial. Déjà, en 1989, en tant qu’envoyé spécial du Comité tripartite de la Ligue arabe pour le Liban, il avait été l’instigateur de l’Accord de Taëf qui avait mis fin à dix-sept années de guerre civile.

Afrique du Sud, Haïti, Nigeria, Cameroun, Burundi, Soudan, Afghanistan, Irak…, pendant une douzaine d’années, Lakhdar Brahimi va s’illustrer aux quatre coins de la planète. Fin 2005, il se retire de la scène diplomatique internationale après avoir rédigé le « rapport Brahimi » (août 2000) sur les opérations de maintien de la paix de l’ONU. Il sera rappelé par Ban Ki-moon à la suite de l’attentat du 11 décembre 2007 mais, installé à Paris, œuvrera surtout pour les Global Elders, ce groupe de dix « anciens » réunis en 2007 par Nelson Mandela et dont l’ambition est de faire du dialogue l’outil de résolution des crises.

Lakhdar Brahimi a donc été un observateur attentif du « printemps arabe » de 2011. Il s’est enthousiasmé pour ces révolutions sans révolutionnaires, sans programme ni leader. « Si vous avez un programme, vous allez provoquer disputes et désaccords ; si vous avez un leader, vous ne serez jamais sûr qu’il fera l’unanimité ». Sans jamais cesser d’être conscient des limites de ce spontanéisme : « Si vous n’avez pas de leader, vous êtes à la merci de tous les opportunistes qui veulent s’emparer de votre mouvement ».

Il dit encore que ce sont les « déceptions », parfois l’impression de « trahison » vis-à-vis « des progressistes, des modernistes et des laïques », qui ont poussé les populations arabes vers un « islam politique ». Tous ces pays, dit-il, ont « un point commun, c’est le rejet de situations bloquées et le désir de changement ». Point de départ de tout cela : l’intervention US en Irak. Du même coup, la Turquie, « allié docile des Etats-Unis, est devenu un allié exigeant » ; et l’Iran, « qui se considérait depuis toujours comme un grand pays de la région en raison de son histoire, de ses 80 millions d’habitants, de son pétrole et de sa situation géostratégique, proclame aujourd’hui qu’il est le pays le plus important de la région » dès lors que les Américains ont mis au pouvoir à Bagdad les « chiites irakiens les plus pro-iraniens ».

L’intervention en Libye est venue prolonger les erreurs géopolitiques de l’intervention en Irak. D’abord, les pays voisins (Algérie, Tunisie, Egypte, Mali, Niger) n’ont, selon Lakhdar Brahimi, pas joué le rôle qui était le leur : « Nous connaissons le pays mieux que vous, alors ne venez pas semer la pagaille ». Ensuite, « Français, Britanniques et Italiens sont intervenus à titre national et ont ensuite entraîné l’OTAN. L’ONU n’y a été pour rien. Et c’est ce qui rend furieux Russes, Chinois, Brésiliens, Sud-Africains et Indiens qui, tous, s’opposent aujourd’hui à toute forme d’intervention en Syrie ».

Revenons à la Syrie dont il disait, déjà, fin 2011, alors que la situation se détériorait sans que le changement soit à l’ordre du jour : « C’est un pays original parce que la cohabitation entre communautés religieuses et ethniques se passait plutôt bien. Mais aujourd’hui Al-Assad et son entourage ont réussi à effrayer plusieurs communautés à la fois. C’est une des raisons pour lesquelles ce mouvement en Syrie n’arrive pas à prendre toute l’ampleur nécessaire. Il y a une certaine résistance à ce soulèvement populaire anti-Al-Assad, même si elle ne signifie pas une adhésion au régime. La bourgeoisie de Damas et celle d’Alep ont peur de la guerre civile et du chaos, dit-on. Et vous avez surtout le problème de ces communautés chrétienne, druze et alaouite. Les alaouites ont beaucoup de pouvoir et d’avantages qu’ils craignent de perdre. Et les autres ont la paix et la tranquillité… enfin, il semble qu’on ait convaincu certains d’entre eux qu’ils vivraient l’enfer si on changeait de régime ». Le basculement de la Syrie devrait donc, selon Lakhdar Brahimi, changer la donne au sein du Moyen-Orient : face au « monde arabe » émergent les nouvelles « composantes turque et iranienne ».

C’est le coup d’après qui est essentiel dans ce jeu de go mortel pour le Moyen-Orient et, sans doute, à terme, le monde « occidental ». C’est pourquoi Lakhdar Brahimi affirme que « le changement en Syrie est inévitable » mais qu’il doit être « un changement sérieux, un changement fondamental, pas cosmétique ». C’est la noblesse des médiations d’être « structurantes ». Je l’ai dit récemment au sujet du Mali (cf. LDD Burkina Faso 0310/Vendredi 10 août 2012) ; Lakhdar Brahimi, « médiateur de l’impossible », semble le penser en ce qui concerne la Syrie. Veillons à ne pas aller trop vite, trop loin.

* Toutes les citations de Lakhdar Brahimi dans cette « dépêche » sont extraites de l’entretien qu’il a accordé à François Armanet et Gilles Anquetil, publié dans Le Nouvel Observateur du 8 décembre 2011.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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