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Tiéman Coulibaly : Un politique (mais pas seulement) à la tête de la diplomatie malienne.

Publié le mercredi 22 août 2012 à 23h50min

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Des ministres pour quoi faire ? Ils sont 31 – sans compter le premier d’entre eux, Cheick Mohamed Abdoulaye Souad, dit Modibo Diarra – dans ce gouvernement « d’union nationale ». Soit près d’un tiers de plus que dans la précédente formation gouvernementale. Qui n’avait pas eu grand-chose à faire dans un pays coupé en deux et… coupé du monde. Mais l’essentiel n’est pas d’avoir quelque chose à faire ; cette fois, il s’agit de « mouiller » les leaders politiques dans la résolution de la crise malienne.

Les fossoyeurs érigés en rédempteurs, pourquoi pas ? De toutes les façons, au Mali, il faut faire avec ce que l’on a sous la main. On a donc des ministres dont on pourrait se demander à quoi ils servent, si on ne nous disait pas qu’ils sont là pour représenter la carte « politique » du pays. Dont acte !

Il y a déjà un progrès : pas de ministre d’Etat dans ce nouveau gouvernement. Celui qui l’était jusqu’alors, Sadio Lamine Sow, avait en charge le portefeuille des Affaires étrangères et de la Coopération internationale ; il est retourné jouer les éminences grises sous d’autres latitudes, ce qui lui convient sans doute bien mieux, chacun sachant qu’il n’est jamais bon d’avoir trop de crocodiles dans le même marigot. Et en matière « d’affaires étrangères » et d’étranges affaires, il y en a déjà beaucoup. Exit donc Sow.

Ce qui nous permet de saluer l’entrée fracassante de Tiéman Coulibaly, numéro trois du gouvernement. Un job qui n’est pas lié à sa compétence diplomatique mais à son parcours politique. Qui doit tout à sa filiation : il est le fils de Moussa Balla Coulibaly, ancien patron des patrons maliens, ancien président du Conseil économique, social et culturel, président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD), candidat à la présidentielle 2002 : il a terminé en sixième position avec 3,23 % des suffrages exprimés, et fondateur de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD) !

Diplômé de l’Ecole supérieure de commerce de Saint-Etienne (installée dans les anciens locaux de Manufrance), Coulibaly se serait illustré en France, aime-t-on à raconter dans son entourage, dans les couloirs du métro parisien comme « gratteur de guitare », amateur de musique soul des années 1970 (ce n’est encore, aujourd’hui, qu’un quadragénaire). C’est au début de la décennie 1990 qu’il reviendra au pays. Il intègre alors le groupe d’entreprises de papa avant de s’investir dans les ressources humaines et la communication (agence Stellis, cabinet Antares…) à Bamako, Conakry, Bissau, Ouagadougou.

La dispersion professionnelle qui lui est reprochée (il est bien plus un touche-à-tout du business qu’un entrepreneur) est la conséquence de ses ambitions politiques. Il est revenu au Mali alors qu’ATT, après la transition, avait cédé la place à Alpha Oumar Konaré. C’est au sein de l’UDD de papa, un des premiers groupuscules politiques de la « démocratie », qu’il va exercer ses talents de communicateur, en attendant d’être un « faiseur de rois ».

Elevé à Badalabougou, le quartier résidentiel de Bamako (commune V du district), sur la rive droite du fleuve Niger là où se trouve le campus universitaire, il va s’atteler à faire élire l’UDD Dieudonné Zallé, un géographe spécialiste du maraîchage intra-urbain, à la mairie. Il y parviendra en 1999 (Zallé, aujourd’hui décédé, sera, par la suite, suspendu pour, dit-on, une affaire de détournement de cartes d’électeurs). Après ce succès, Coulibaly rejoindra le bureau exécutif de l’UDD en tant que secrétaire à la communication.

Secrétaire général adjoint de l’UDD en 2003, il va soutenir son « ami », Soumeylou Boubèye Maïga, lors de son entrée en campagne, en 2006. L’ancien patron de la sécurité d’Etat, ex-ministre des Forces armées et des Anciens combattants, qui avait raté l’investiture de son parti, l’ADEMA/PASJ, en 2002, face à Soumaïla Cissé – présidentielle remportée par le « sans parti » ATT – a décidé de se présenter en 2007 contre ATT au nom de « Convergence 2007 ». En vain : il fera 1,46 % des voix au premier tour ! Dans l’affaire, Coulibaly se fera une réputation d’homme libre, fidèle à ses amis plutôt qu’à son parti (l’UDD, en 2007, choisira de soutenir ATT dont le bilan avait été rudement fustigé par Coulibaly en 2006). Il ne parviendra pas, cependant, à se faire élite député de Diéma, dans la région de Kayes (extrême Ouest du Mali), terminant en troisième position lors des législatives de juillet 2007. Pas glorieux pour celui qui était alors, depuis quelques mois (janvier 2007), secrétaire général de l’UDD. Mais cela ne l’empêchera pas d’en être élu, lors du 5ème congrès (13-14 mars 2010), président du conseil exécutif en lieu et place de Me Hassane Barry (reconverti dans la diplomatie ; il est ambassadeur à Luanda pour l’Afrique australe après l’avoir été à Conakry pour les pays de l’Union du fleuve Mano).

Dans la perspective de la présidentielle 2012, l’UDD voulait soutenir le candidat de l’ADEMA/PASJ : Dioncounda Traoré, après avoir pris contact avec les uns et les autres (Ibrahim Boubacar Keïta, Modibo Sidibé, Cheick Modibo Diarra, Soumaïla Cissé). Dans l’opposition à l’ADEMA lors du premier mandat d’Alpha Oumar Konaré, l’UDD était revenue à de meilleurs sentiments (et, du même coup, était entrée dans le gouvernement) lors de son second mandat. En 2002, après l’échec de Balla Moussa Coulibaly au premier tour, l’UDD avait soutenu Soumaïla Cissé, le candidat de l’ADEMA face à « l’indépendant » ATT. Ce qui n’empêchera pas l’UDD de participer aux gouvernements ATT dans le cadre de sa politique « consensuelle ». Cette décision de soutien à l’ADEMA est intervenue le 25 février 2012 alors que le MNLA avait déclaré la guerre à Bamako depuis plus d’un mois déjà. Coulibaly dira alors au journaliste malien Youssouf Diallo (19 mars 2012) : « Cette situation est le fait de Maliens qui ont décidé de s’exprimer de cette manière là, à tort […] Mais c’est aussi le fait d’éléments étrangers, membres d’AQMI, de Boko Haram, de certaines phalanges salafistes. Des combattants qui viennent du Tchad, du Nigeria ou d’ailleurs, qui agressent notre pays. Il faut faire face, combattre et vaincre ».

On connaît la suite. Le coup d’Etat militaire, la chute et la fuite d’ATT, la partition effective du pays, la mise sous tutelle de la Cédéao des institutions maliennes, l’accession au pouvoir de Dioncounda Traoré et de Modibo Diarra à la primature. En tant que patron de l’UDD, Coulibaly va se trouver au contact de la médiation (il a participé notamment à la rencontre de Ouagadougou à laquelle avaient été invitées les « forces vives » (sic) du Mali). Il prônait alors un gouvernement « technique » pour lequel « les partis politiques n’avaient pas à être consultés ».

Il revendiquait sa « liberté » et son « autonomie » afin de procéder au « travail de refondation et créer un réel espace politique avec des exigences bien identifiées par rapport à la conduite de l’action politique ». « La refondation de l’action politique » sera d’ailleurs son mot d’ordre ; d’où son opposition à la junte et sa participation au FDR, le Front pour la démocratie et la République qui s’est opposé au coup d’Etat du 22 mars 2012 (il en est le vice-président). Ce qui était valable pour le premier gouvernement Modibo Diarra ne semble plus l’être aujourd’hui :

Dans un entretien accordé aujourd’hui (mardi 21 août 2012) à RFI, Coulibaly affirme que « la priorité de ce gouvernement sera de rétablir la confiance entre les acteurs politiques sur le plan interne » et que c’est dans cette perspective que « l’essentiel des sensibilités politiques [y] est représenté ». « Sensibilité politique » signifiant sans doute que les leaders politiques veulent désormais avoir voix au chapitre* après l’échec patent des « techniciens ». Ou celui de « la refondation de l’action politique » ?

* Moussa Balla Coulibaly, père du nouveau ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, qui prône « la guerre » avec le Nord (« Je ne peux pas dialoguer avec quelqu’un qui nie mon existence ») et a mis en cause Paris (sous Nicolas Sarkozy) dans le soutien aux « rebelles », appelle, quant à lui, à « une politique de ressaisissement » considérant que « les partis politiques n’ont pas joué le rôle qui devait être le leur » et que « la classe politique doit […] reconnaître ses torts envers ce pays ». Le fils entendra-t-il le conseil du père ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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