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Toyota en passe de mettre la main sur CFAO.Pinault se débarrasse de la vieille dame de l’Afrique francophone ! (1/4)

Publié le lundi 20 août 2012 à 11h55min

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Trop vieille, sans doute. Trop exotique. Trop industrielle et pas assez « people ». Voilà donc que, ce que le groupe Pinault n’a jamais cessé de réfuter - la cession de sa filiale CFAO -, se profile à l’horizon. Le groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute) a annoncé le jeudi 26 juillet 2012 qu’il allait céder, début août 2012, une participation de 29,8 % dans le capital de CFAO

C’est le japonais Toyota Tsusho Corp. (TTC) qui va ainsi devenir le premier actionnaire de l’ex-Compagnie française de l’Afrique occidentale (CFAO), fondée en août 1887, à Marseille, par Frédéric Bohn et qui a été, pendant plus d’un siècle, synonyme de commerce international. La transaction s’élève à 685,4 millions d’euros sur la base de 37,5 euros par action (au-dessus de l’objectif de cours moyen - 36,88 % - établi par les analystes boursiers le 26 juillet 2012), ce qui valorise l’ensemble du groupe CFAO à 2,3 milliards d’euros. « TTC étudie par ailleurs la possibilité de déposer une offre publique volontaire sur le solde du capital à un prix par action identique à celui de l’acquisition du bloc de 29,8 % », note le communiqué. Cette décision concernant une OPV sera prise, « au plus tard », le 15 septembre 2012. D’emblée, PPR s’est engagé, dans cette perspective, à céder les 12,2 % du capital qui demeurent entre ses mains.
TTC, maison de commerce du groupe Toyota, est présente dans la distribution automobile et a développé ses activités dans les biens industriels, l’assurance, les produits agricoles... C’est aussi la structure de gestion des concessionnaires Toyota, notamment dans les pays émergents. TTC emploie 31.000 personnes dans le monde et réalise un chiffre d’affaires de 74 milliards $. L’acquisition de CFAO - principal importateur et distributeur d’automobiles et d’utilitaires en Afrique où le groupe est présent dans 29 pays - s’inscrit dans la perspective de développement de Toyota en Afrique. Le groupe japonais y vend aujourd’hui 200.000 véhicules et ambitionne de multiplier par dix ce chiffre d’ici 2017-2018. A noter que 40 % des approvisionnements de l’activité « automotive » de CFAO (près de 60 % de son chiffre d’affaires) provient directement du Japon ; cette part s’élève à 56 % en y incluant les achats indirects !

La veille de l’annonce de cette acquisition, CFAO avait publié ses chiffres pour le deuxième trimestre 2012 : des ventes en progression de 19,3 % à 908 millions d’euros et un bénéfice net de 63,5 millions d’euros, en hausse de 28,8 %. Si CFAO se porte bien, le conseil de surveillance a cependant estimé que le projet d’acquisition par TTC « présentait des perspectives intéressantes pour la société, ses filiales, ses salariés et ses actionnaires et que cette opération intervenait dans un contexte amical ». Pour CFAO, Toyota reste la marque numéro un de ses ventes au Sud du Sahara mais Peugeot est toujours bien considéré, notamment pour ce qui est des véhicules utilitaires ; CFAO envisage de se développer sur le créneau des véhicules de loisirs (Suzuki et Mitsubishi) et d’entrée de gamme notamment chinois.
Cette acquisition de CFAO par TTC s’inscrit dans l’évolution de la compagnie, notamment son introduction en Bourse qui a été l’événement majeur de l’année 2009 parce qu’il concernait un groupe mythique : PPR, et une famille : les Pinault, qui s’est imposée comme « la plus riche de France », mais aussi parce que CFAO n’est pas une quelconque entreprise mais le numéro un du commerce international sur le continent africain.

Depuis son fondateur, Frédéric Bohn, les présidents se sont succédé à la tête de CFAO : Julien LeCesne, Antoine Guithard, Léon Morelon, Jacques Mullier, Paul Paoli, François-Henri Pinault, Richard Bielle. A la veille de son centenaire (1987), le premier groupe français de commerce international en Afrique occidentale rassemblait 160 sociétés et employait 20.000 personnes. La distribution alimentaire venait en tête de son activité devant celle de biens de consommation et de biens d’équipement, d’automobiles (les trois secteurs majeurs : près de 75 % de l’activité totale du groupe). Quant à l’Afrique, sa part était passée en-dessous de la barre des 50 % en 1985 mais demeurait significative : 47,8 % de l’activité totale en 1986 ! La puissance du groupe était illustrée par le flamboyant siège parisien (le siège social reste à Marseille, au 32 Cours Pierre Puget) du 7, Place d’Iéna, à quelques encablures de la Seine et du Trocadéro.
Le 16 mars 1990, Paul Paoli avait démissionné à la suite de « divergences intervenues entre lui et des administrateurs sur la stratégie future du groupe ». Les administrateurs étaient, il est vrai, des nouveaux venus. Dont François Pinault. Paoli l’avait appelé pour résister à l’assaut d’un autre prédateur : Vincent Bolloré. Pinault avait mis des sous (1,5 milliard de francs) et pris place au conseil d’administration avec en poche 20 % du capital. La gestion de Paoli n’était pas la sienne. Il s’alliera avec un autre financier actionnaire, Gérard Eskenazi, pour le bouter dehors. Paoli, 60 ans, était un Marseillais qui n’avait que le bachot mais avait fait carrière au sein de CFAO, à compter de 1949 (il n’avait pas encore vingt ans !), sur le terrain (Haute-Volta, Ghana, Nigeria) avant d’être nommé directeur général adjoint (1965-1974), directeur général (1975), administrateur-directeur général (1976) et PDG à compter de 1983. Pinault, quant à lui, n’était pas encore la tête d’affiche du monde des affaires qu’il est devenu depuis. Breton, d’origine modeste, autodidacte lui aussi, il avait démarré dans le commerce du bois et s’était fait remarquer lorsqu’il a pris le contrôle d’Isoroy en 1986. Il va jouer les « Tontons flingueurs » et le « roi de la découpe » dans le monde des affaires (il y gagnera le surnom de « Tapie de l’aggloméré ») et multipliera par dix son chiffre d’affaires entre 1987 et 1991. Le lundi 24 septembre 1990, après s’être débarrassé de Paoli, Pinault va décider l’absorption de CFAO par son groupe : Pinault SA. Beau tour de passe-passe : Pinault ne contrôlait que 33,13 % de CFAO qui réalisait un chiffre d’affaires près de trois fois supérieur au sien. Dans les années suivantes, Pinault va se désengager de l’industrie du bois et multiplier les acquisitions dans la distribution : Conforama, Le Printemps, La Redoute, Prisunic… Le groupe devenait dès lors Pinault-Printemps. CFAO n’était plus que la « tête de gondole » de l’activité commerce international.
Le conseil de surveillance de Pinault-Printemps rassemblait alors l’élite de la finance française : Ambroise Roux, Antoine Berheim, Patricia Barbizet, Loïc Deraison, Gérard Eskenazi, Daniel Lebèque, Loïk Le Floch-Prigent, Alain Minc… Pinault nommera son fils, François-Henri, PDG de CFAO tandis que la direction générale sera confiée à Stephen Decam. Il ne faudra pas longtemps à François Pinault pour devenir « l’homme le plus riche de France » (L’Express - 10 décembre 1998) ; grâce à son sens des affaires (la vente puis le rachat de Pinault Distribution en 1973), la spéculation sur le sucre (en 1974 : les 300.000 francs investis alors lui auraient rapporté 10 millions en un an !), la reprise de La Chapelle Darblay (acquise en 1987 avec un prêt du Crédit Lyonnais et revendue en 1990 avec une plus-value de 525 millions de francs), ses connexions politiques (Jacques Chirac) et affairistes (Ambroise Roux, « parrain » du business français) et son immixtion dans la presse (Le Point en 1997 + une participation dans Le Monde). En 1992, Artémis deviendra sa holding patrimoniale tandis que la fusion de La Redoute et de Pinault-Printemps lui permettra la création, en 1994 (année où il prend le contrôle de la FNAC), de PPR. Il s’impose dans tous les secteurs d’activité, achète, vend, fusionne, démantèle…, c’est le « ferrailleur » du monde des affaires avant d’imposer l’image d’un homme de culture et d’un entrepreneur du luxe en investissant dans les vignobles bordelais, Christie’s (une institution mondiale pour la vente aux enchères d’objets d’art), en installant au Palazzo Grassi, à Venise, sa collection d’œuvres d’art contemporain. Du même coup, CFAO sera perdue dans la masse ; à la fin des années 1990, elle pèsera moins de 7 % dans le chiffre d’affaires de PPR.

Jean-Pierre BEJOT

La Depeche Diplomatique

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